Fantasia : les premiers dinosaures de Disney qui bouffent Jurassic World

Déborah Lechner | 20 juin 2022
Déborah Lechner | 20 juin 2022

Walt Disney était un génie précurseur. La preuve encore avec l'ambitieux Fantasia de 1940 et plus particulièrement le segment Le Sacre du printemps qui retrace la création du monde et l'ère des dinosaures.

Bien avant que Don Bluth et Steven Spielberg offrent aux dinosaures un regain d'intérêt - que ce soit pour les enfants avec Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles ou le grand public avec le premier Jurassic Park -, Disney avait déjà participé à l'essor des sauriens sur grand écran avec Fantasia. Ce troisième long-métrage d'animation du studio est sorti en 1940 et a, après Le Monde perdu de 1925 et le King Kong de 1933, continué à façonner l'imaginaire collectif et à alimenter notre fascination pour ces géants disparus. 

 

Fantasia : photo"Ils se déplacent en troupeau"

 

MICKEY SORT LES DENTS ET LES GRIFFES

Après le premier court-métrage animé sonore et le premier long-métrage d'animation traditionnelle, Disney a continué ses expérimentions cinématographiques pour exploiter toutes les possibilités du medium avec Fantasia, le premier ballet de musique classique animé. Ce troisième long-métrage et chef-d'oeuvre du studio est composé de huit séquences qui illustrent de célèbres morceaux de musique classique rejoués par l'orchestre de Philadelphie sous la baguette de Leopold Stokowski. Le film laisse ainsi au second plan la dimension divertissante des productions Disney habituelles - notamment en supprimant tout dialogue - au profit d'une pure démonstration artistique, bouleversante de poésie et d'esthétisme

Le quatrième segment, intitulé Le Sacre du printemps, réinterprète l'oeuvre éponyme du compositeur russe Igor Stravinsky qui évoque le primitivisme à travers un grand rite sacral païen et ses danses tribales. Pour pousser la signification encore plus loin, Disney a donc repensé le ballet pour qu'il narre la création de la Terre.

 

Fantasia : photoPrehistoric Planet 
 

Les cuivres percutants, les notes aiguës et les rythmes chaotiques du premier tableau, L'Adoration de la Terre, se transforment ainsi en déluge de lave, de feu et de roches dans de somptueux plans impressionnistes aux airs apocalyptiques. Le second tableau, Le Sacrifice, retrace quant à lui le règne des dinosaures jusqu'à leur extinction après l'assèchement de la planète. Mais le passage le plus mémorable reste l'apparition d'un tyrannosaure iconisé : la musique et le montage qui s'emballent, les dinosaures qui prennent peur et la foudre qui s'abat au moment de son arrivée.

S'en suit son impressionnant affrontement contre un stégosaure animé par Wolfgang Reitherman, un des neuf sages de Disney qui a marqué le premier âge d'or du studio. La violence, le gigantisme des combattants et le dénouement sauvage ont un peu plus établi le statut de prédateur ultime du T-Rex en plus d'ancrer son image dans l'imaginaire collectif

 

Fantasia : photoL'ancêtre de Dents Tranchantes
 

L'HISTOIRE DE LA VIE

En plus d'adapter la narration et l'animation à la musique, Le Sacre du printemps a été un double défi. Contrairement aux animaux mignons et fantaisistes des Alice Comedies, Silly SymphoniesBlanche-Neige ou Pinocchio (sorti la même année), Walt Disney voulait représenter les créatures avec plus de véracité scientifique, dans une démarche réaliste, voire naturaliste, très éloignée de l'imagerie féérique du studio. Cette approche lui a également permis de se distinguer du court-métrage Gertie le dinosaure de 1914, considéré comme le premier film avec un dinosaure, ce dernier étant dépeint de façon plutôt sympathique et fantasque. 

La réalisation semble d'ailleurs avoir été pensée comme celle d'un documentaire animalier. Les nombreux travellings décloisonnent l'environnement et donnent parfois l'illusion d'être dans un safari jurassique pour observer le mode de vie des différentes espèces : tricératops, diplodocus, ptéranodon, ankylosaure ou brontosaure. Le spectateur est invité à découvrir des bribes de leur quotidien, et par moment leur mort qui est montrée de front, sans être suggérée, mais sans qu'elle soit particulièrement choquante étant donné le détachement émotionnel du public.

 

Fantasia : photoLe Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles, les scènes coupées

 

S'il est possible d'étudier le mouvement avec de vrais acteurs, animaux ou objets, cela n'a pas été possible pour les dinosaures, dont les connaissances ne sont que théoriques et approximatives (ce qui vaut également pour le début de la séquence se déroulant dans l'espace). À la place d'une étude préliminaire sur des sujets palpables, Le Sacre du printemps a donc nécessité beaucoup de documentation en amont, notamment auprès d'un biologiste, d'un paléontologue et d'un astronaute, malgré ses anachronismes et erreurs de paléontologie (l'apparence de certaines espèces, notamment le corps du T-Rex). La flore luxuriante et les reliefs de la planète ont quant à eux été inspirés par des illustrations de revues scientifiques.

Après avoir participé à sa naissance, Disney a de nouveau surfé sur le phénomène avec le film Dinosaure de 2000, qui ambitionnait également de reproduire des créatures les plus crédibles possible, mais avec un succès beaucoup plus mitigé et un impact forcément moins puissant. Soit autant de raisons de revoir Fantasia et son Sacre du Printemps, disponible en France sur Disney+.

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commentaires
toine35
21/06/2022 à 00:30

Bah ils étaient en rien précurseurs alors si il y avait déjà eu avant, Le Monde perdu de 1925 ,Vu que Fantasia date de 1940.

dams50
20/06/2022 à 20:50

Voilà, bravo, merci pour cet article qui fait honneur à ce monument.
Mon 1er disque de musique classique, je l'ai acheté suite au visionnage de ce Fantasia, et c'était Le Sacre du Printemps de Stravinsky. Je l'ai découvert par le bais de l'animation, mais c'est autant la musique qui m'a marquée. J'étais juste sidéré par ce morceau (et par son illustration bien entendu). Impact puissant, oui, c'est tout à fait cela. Même si d'autre segments ont des images fortes. Je pense au segment illustrant Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgsky, dont le démon a bien du inspirer (dans mes rêves) le dernier boss de Shadow of the Colossus. Ou encore, les lentes processions sur les chœurs de l'Ave Maria.
Mais indéniablement, le segment illustrant le Sacre est le plus fort.
Mais le morceau en lui-même est un truc de fou. A sa 1ère représentation, c'était la folie, les gens invectivaient Stravinsky, criaient au scandale. J'aurais bien voulu voir ça.
Mais ca donnée des carrières aussi. J'avais vu par exemple une interview de la Pietra Gala pour laquelle le Sacre du Printemps avait été une révélation.
Enfin, bref, morceau de ouf.
(Petrouchka aussi dans un autre genre, c'est cool, ca me rappelle du Magma).