Saint-Jean-De-Luz 2017 : L'Echange des Princesses - critique historique

Christophe Foltzer | 4 octobre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 4 octobre 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Deuxième long-métrage du romancier Marc Dugain, L'échange des Princesses ose le pari de la reconstitution historique en nous racontant un épisode de l'Histoire de France plutôt particulier.

Qu'importe l'époque et le système gouvernant le pays, le plus important est la diplomatie et la politique. Maintenir l'entente entre les peuples, se prémunir de la guerre, des thématiques terriblement actuelles que L'Echange des Princesses nous expose très vite et transpose dans l'histoire vrai de l'accession au pouvoir du Louis XV à l'âge de 11 ans. Pour éviter une nouvelle guerre avec l'Espagne, le régent Philippe d'Orléans décide de marier le futur roi à l'infante  Anna Maria Victoria, âgée de 4 ans, tandis qu'il envoie sa propre fille, Mlle de Montpensier, épouser le futur Roi espagnol afin de guarantir une paix durable entre les deux royaumes. Evidemment entre le projet politique et les réalités humaines, il y a un fossé qui se creuse de plus en plus avec les années.

 

Photo l'échange des princesses

 

SATISFAIT OU REMBOURSE

En adaptant le roman de Chantal Thomas (qui a participé au scénario), le romancier-réalisateur Marc Dugain n'a clairement pas choisi la facilité, que ce soit sur le fond ou sur la forme. Nanti d'un budget modeste pour l'ambition du projet, L'Echange des Princesses aurait très bien pu ressembler à ces petits films qui se prennent pour des blockbusters et ont l'audace de se comparer de à Barry Lyndon parce qu'ils deux costumes d'époque. Heureusement, il n'en est rien ici et la reconstitution fonctionne, notamment grâce à une photographie absolument magnifique qui met en valeur les intérieurs autant que les corps, laissant aux extérieurs le soin de montrer cet Empire un brin décadent sous son vrai visage. Des petits détails par-ci par-là (murs gris ou sales, boiseries craquelées), jamais jetées au visage du spectateur mais qui participent beaucoup à l'ambiance générale.

L'autre pari, et il est énorme, c'était ses comédiens. Si l'on passera sur Olivier Gourmet et Lambert Wilson (tous deux très bons mais dans des registres très différents), il nous faut évidemment nous attarder sur les enfants qui incarnent les malheureux héros de cette histoire sordide. On le sait, c'est toujours risqué d'utiliser un enfant pour jouer un rôle important, surtout dans un film français, et les frissons de la honte ne sont jamais bien loin. Or, encore une fois, Marc Dugain réussit un véritable miracle en nous proposant quatre jeunes acteurs à l'intensité et à la qualité de jeu proprement incroyables. On s'étonne d'ailleurs régulièrement de voir une telle maturité de jeu chez d'aussi jeunes comédiens, tous reflétant à merveille l'aspect désabusé de leurs personnages, contraints et résignés à passer leur vie utilisés comme un outil politique alors qu'ils espéraient juste pouvoir vivre leur enfance. Tous les quatre sont troublants de vérité.

 

 

Photo l'échange des princesses

 

LE ROI ET MOI

Bien entendu, le film n'est pas parfait, mais les quelques défauts mineurs qui apparaissent de-ci de -là n'amenuisent en rien la qualité de l'ensemble. On pourrait par exemple lui reprocher la sensation qu'il perd quelque peu le fil de son histoire dans sa seconde partie, pour le reprendre par la suite heureusement, que certains seconds rôles dénotent par un jeu particulièrement outrancier qui s'intègre mal à l'ambiance (notamment le premier ministre du Roi), mais ce ne serait que chipotages et en effet, le film a d'autres richesses à offrir, que l'on passe outre ces quelques aspects.

Ce qui impressionne sur le fond du film,et c'est vraiment une surprise, c'est que dès le départ nous sommes dans une désacralisation de la figure Royale, présentée comme un destin tragique et déterminé où l'humain n'a guère de place. Une vision peu courante de la royauté qui montre la lutte intestine entre la religion très présente et l'évolution d'un adolescent qui s'éveille à la vie, marqué par la mort depuis son plus jeune âge. Il y règne ainsi une sorte de fatalisme doux qui transforme ses personnages tout au long du film tout autant qu'il les prive de leur enfance. Et lorsqu'une fille de 4 ans parle déjà de mort et d'inéluctabilité, cela procure une sensation très, très étrange.

 

S'il comporte quelques imperfections, L'Echange des Princesses est cependant un très bon film, d'une grande ambition mais pleinement conscient de ses limites. Magnifiquement mis en lumière et traversé d'un jeu d'acteur époustouflant, il fait très plaisir à voir, surtout en ce moment. Si l'on pourra tirer des parallèles avec l'époque actuelle, il s'agit avant tout d'une fresque historique tragique et saisissante qu'on aurait tort de bouder au moment de sa sortie le 27 décembre prochain.

 

Photo l'échange des princesses

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commentaires
Aurea
09/10/2017 à 00:37

J'ai vu ce film aujourd'hui, en clôture des RDV de l'Histoire de Blois, présenté par Marc Dugain et Chantal Thomas, et la photo, les couleurs, m'ont absolument éblouie au plan esthétique, déjà : une reconstitution somptueuse qui reste pourtant sobre et d'un rare bon goût, portée par une musique choisie et très bien dosée, jamais prégnante voire envahissante.
Question interprétation, beaucoup aimé le jeune Louis XV, dont le regard ne se départit jamais d'une tristesse et d'un sérieux qui annoncent déjà cette "crainte de la mort" qu'il évoque à la fin du récit, une conscience aiguë de la précarité de l'existence qu'il exprime très bien.
Mention spéciale aussi, à la petite infante d'Espagne, expressive et touchante et aux belles scènes avec la Princesse palatine Andréa Ferréol, vivante et humaine dans ce personnage.
Kacey Mottet-Klein m'avait semblé assez inexistant dans Keeper ( film raté pour moi), meilleur dans Quand on a 17 ans de Téchiné, là, son jeu est plutôt bon et le passage avec sa jeune femme, enfin "apprivoisée" : Anamaria Vartolomei fait passer une belle émotion.
Un bon et beau film, oui, qui repose des réalisations actuelles tout en offrant un panel varié et intemporel des sentiments humains.

Dirty Harry
04/10/2017 à 16:33

Comme quoi les charges qu'un Roi pouvait avoir, et ce dés l'enfance, n'avait pas grand chose d'enviable niveau liberté (car beaucoup de républicains, nourris de propagande jacobine, mettent sur le même plan des empereurs mégalos et dangereux comme Caligula et des Rois consciencieux de Justice et d'équilibre dans le royaume). Ici Louis XV a toujours été quelqu'un qui n'a pas aimé prendre cette charge et cela se traduisit par de nombreuses erreurs (la crise spéculative de la bulle du Mississippi, le retour des jansénistes au Parlement, faux catholiques énervants et donneurs de leçons lourds et initiant avec les physiocrates la loi du Marché importée d'Angleterre qui avait comme objectif de remplacer le prix fixé par le Roi sur le pain des français par la loi de l'offre et de la demande, première mesure libérale entrainant la guerre des Farines, créant les conditions des futures révoltes de 1789...