Qu'Allah bénisse la France : rencontre avec Abd al Malik

Simon Riaux | 10 décembre 2014
Simon Riaux | 10 décembre 2014

Ambassadeur du Slam, écrivain et poète, désormais cinéaste, Abd al Malik est un artiste complet que nous avons eu l’occasion de rencontrer à l’occasion de la sortie de son premier long-métrage, qu’Allah bénisse la France.

Enfant chéri d’une partie des médias, Abd al Malik demeure une figure insaisissable. Que son engagement soit social, poétique ou plus théorique, il est aux confluences d’idées et de situations que peu d’artistes peuvent se vanter de synthétiser. Parce qu’il faut bien commencer par le commencement, c’est avec un soupçon de lui défiance qu’on lui demande ce qui l’amène aujourd’hui à la mise en scène.

« Dès le départ, j’ai trois passions : la littérature, la musique et le cinéma. Je savais que je me dirigeais vers le cinéma, mais ce que j’avais en tête, c’était plutôt le travail du scénario ou d’adaptation. »

Et comme souvent, c’est à une bonne fée que l’artiste a dû la concrétisation de ce désir latent.

« Quand mon livre est sorti, pas mal de producteurs sont venus me voir et voulaient que j’adapte mon histoire pour le cinéma. Mais une personne m’a encouragé continuellement à ne pas le confier à quelqu’un mais à m’en occuper moi-même. C’était Matthieu Kassovitz, il était persuadé que j’étais capable de le faire et il a fini par me convaincre. »

 

S’il y a bien une particularité de Qu’Allah bénisse la France qui frappe le spectateur, c’est son mélange de réel brut et ses indiscutables ambitions formelles.

Le cinéma social hexagonal étant traditionnellement porté vers un naturalisme grisâtre, on ne pouvait manquer de demander au néo-réalisateur comment il avait préparé ce baptême de la pellicule.

« Pour mon premier film, je voulais rendre un hommage fondamental au cinéma. Je pense aux films du néoréalisme italien, le duo Carnet-Prévert, le cinéma d’un Bresson, Mathieu (Kassovitz), les 400 Coups de Truffaut.

Tu as remarqué que je ne t’ai parlé que de films en noir et blanc ? Pour moi un film c’est muet et en noir et blanc. A l’origine. On film n’est pas muet, mais il y a bien dedans l’idée de rendre hommage à tout ce cinéma.

Je voulais que le spectateur voie avec mes yeux. Le noir et blanc souligne les émotions et s’y prêtait bien. »

Déjouant les clichés politico-débilisants typiques d’un certain cinéma, l’artiste affiche bien haut un héritage culturel classique et maîtrisé. De quoi battre en brèche un certain cinéma militant, dans lequel il ne se reconnaît pas, pas plus qu’il n’y reconnaît les lieux, personnages et situations que son film décrit.

« Qu’Allah bénisse la France, c’est un film de l’intérieur, Bande de filles, c’est un film de l’extérieur. C’est un autre langage que celui des bobos branchés qui fantasment sur l’animal de Cité. (…)

Mathieu par exemple, avec La Haine, c’est mon ami, j’aime son film et son regard. Un regard qui est très bienveillant avec cette indignation qui monte. Mais ça reste un film de l’extérieur. »

Et si Abd al Malik se défend à raison de tout militantisme primaire, il n’en a pas moins une conscience aiguë du rôle que pourrait jouer son film.

« Je pense que des films comme le mien sont importants. On est dans le pays des Deleuze, des Sartre, des Camus, des Derrida. Quand quelqu’un comme Zemmour, qui est un polémiste, quand les polémistes deviennent la pensée, que les politiques les écoutent et que les intellectuels sont inaudibles, les artistes doivent prendre le relais.

Ma démarche c’est de dire qu’on fantasme énormément sur les Cités, la banlieue, l’Islam, moi je vais vous en parler de l’intérieur. Parce que je suis à la croisée des chemins. »

On quitte Abd al Malik sur sa promesse de nouveaux projets de films, toujours sous influence des mêmes auteurs. Et si l’on est toujours aussi impressionné et plein de questions sur l’homme et son parcours, on en doute pas d’entendre très vite parler de lui et de ses créations.

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commentaires
JCVD
11/12/2014 à 08:44

Attention, c'est Marcel Carné et pas Carnet !