Guillaume Ivernel et Arthur Qwak (Chasseurs de dragons)

Maud Desmet | 24 mars 2008
Maud Desmet | 24 mars 2008

Arthur Qwak et Guillaume Ivernel, les créateurs du film d'animation en 3D Chasseurs de dragons, qui connait déjà un franc succès dans son format série télé, ont accepté de revenir sur le travail de longue haleine (8 ans) effectué sur cette histoire de quête épique et intime. Lian-Chu, Guizdo et Zoé, les trois protagonistes du film, doivent affronter un défilé de dragons en tout genre, du plus drôle au plus terrifiant, ainsi que leurs démons intérieurs.

 

 

Quels sont vos parcours ?

 

Guillaume Ivernel : J'ai fait les arts appliqués. J'ai appris l'animation sur le tas en travaillant dans les premières séries d'animation en France. Au bout de plusieurs années, j'ai quitté le monde de la série parce que ça ne me correspondait pas. J'ai pas mal bossé pour des développements pour les U.S. et le Japon. C'est là que j'ai commencé à apprendre le métier des images de synthèses. La première fois que j'ai été confronté aux images de synthèses, c'était pour un film de Moebius qui s'appelait Star Watcher. Ca aurait pu être le premier film du genre, avant  Toy Story, mais ça ne s'est pas fait. Et après, j'ai fait de l'habillage de chaîne pour France 3 Jeunesse, pendant deux ans. Toutes ces années m'ont permis d'aborder la synthèse d'une façon très précise, sur des petits projets. Je pouvais vraiment travailler l'image et le découpage de façon plus précise que sur les séries où tout doit aller très vite. Je dirais, quand même, que la série, c'est une très bonne école, parce que ça apprend à penser et à réagir vite. Pour les budgets qu'on a eu ici, avec Chasseurs de dragons, ce n'est pas mal de savoir faire ça. J'ai fait aussi des pubs avec Jeunet, des développements de films. J'ai travaillé sur Peut-être de Cédric Klapisch. Et puis, il y a huit ans on a commencé à travailler sur Chasseurs de dragons. Ca a pris des années, durant lesquelles j'ai continuer à penser que le film se ferait peut-être un jour. J'ai travaillé dans l'optique d'apprendre tout ce qu'il faut pour, un jour, faire un film.

 

Arthur Qwak :  Moi je viens des arts déco. J'ai arrêté assez rapidement parce qu'à l'époque, les studios Gaumont montaient les deux long-métrages d'animation, Astérix et les bretons et Le coup du Menhir. J'ai été storyboarder sur les deux films. Parallèlement, j'ai fait pas mal de bande-dessinées. Il y a eu notamment Le soleil des loups chez Vent d'Ouest, et, plus récemment, Lola Cordova chez Casterman. Et puis, j'ai réalisé des séries télés, Orson et Olivia dans les années 90 pour Canal Plus et TF1, et Malo Korrigan. J'ai aussi créé des génériques, des pilotes, des développements. Quand j'ai rencontré Guillaume, on a beaucoup travaillé ensemble sur des projets très ponctuels. Très vite, on a compris que c'était bien qu'on bosse tous les deux. On a une vraie complémentarité et, en même temps, on a chacun notre univers. Ce qui a bâti Chasseurs de dragons, c'est la cohabitation de ces deux univers et de ces deux expériences.

Guillaume Ivernel :
On a chapeauté beaucoup de postes dans le film, par rapport à nos influences communes.

Arthur Qwak :
On ne s'est pas contenté d'être réalisateurs, on a cumulé plusieurs postes, y compris servir le café !

 

 

 

Dans le film, on sent bien qu'il y a cette cohabitation de deux univers distincts. Il y a même une différence entre l'esthétique des personnages et celle de leur environnement. Est-ce que cela était voulu ?

 

Arthur Qwak : Non, on ne trouve pas qu'il y ait une différence.


Guillaume Ivernel :
Beaucoup de gens nous ont dit que ça marchait bien ensemble.

 

Arthur Qwak : Ce qui se mélange en fait, c'est la comédie et l'aventure. C'est, à la fois, du Tom et Jerry et du Harry Potter ou Le Seigneur des anneaux. Mais ça, par contre, c'est totalement voulu. On désirait vraiment que ce film mélange les genres, parce que la vie est faite de rires, de larmes, de frayeurs, de moments de bonheur, etc. Donc il n'y a aucune raison pour que le film se contente de ne développer qu'un aspect de l'existence.

 

 

 

Il y a aussi beaucoup de dérision, notamment à travers le personnage de Zoé. Une petite fille qui n'est pas adorable, comme on pourrait s'y attendre dans ce type de films, mais totalement agaçante !

 

Arthur Qwak : On s'est demandé ce qui pouvait se passer en mettant des gens normaux, comme nous, qu'on pourrait croiser dans la rue, dans un environnement totalement fantastique et dangereux.
 

 

 

Comment se passe la conception d'un film d'animation et combien de temps cela prend t-il ?

 

Guillaume Ivernel : Ca a démarré il y a huit-dix ans avec cette idée et ce concept, qui étaient donc Chasseurs de dragons, et qui avaient pour vocation d'être développés en même temps pour une série et pour un film. On s'est attelé à améliorer l'aspect graphique et approfondir les personnages avec deux scénaristes : Fred Lenoir qui a travaillé sur le long métrage et Laurent Turner qui a beaucoup travaillé sur la bible littéraire de la première saison de la série. Et puis il y a aussi Valérie Hadida, qui s'est occupée des personnages. Puis, toute une phase de recherche, de développements et l'aboutissement d'un dossier et d'un pilote. Puis pendant toute la phase du montage financier du long métrage, la série a été produite et diffusée. Il y a eu l'écriture du film. Ca a été un peu long, parce que c'est compliqué de trouver 12 millions d'euros en Europe, mais ça nous a permis de travailler le script avec du recul à chaque fois et de pouvoir aller plus loin dans certaines intentions ou d'en mettre d'autres de côté. Ensuite, le film est entré en phase de préproduction et là, on a fait le travail de préparation, c'est à dire, tous les designs, storyboard, l'animatic, qui est le storyboard filmé.

 

Arthur Qwak : Une des choses qui a été intéressante dans le fait d'attendre, c'est que ça nous a permis d'amener notre projet à maturation. Pendant des années, on a pu y penser, même inconsciemment. On l'a vraiment fait au bon moment. Il y a huit ans, on aurait conçu un autre film, c'est sûr. Ce qu'on voulait vraiment faire avec les dragons n'était possible qu'au moment où on l'a fait, ne serait ce qu'au niveau de la technologie 3D. Là, on en est encore à la préhistoire de la 3D, ça va encore beaucoup évoluer. C'est pour ça que c'est un outil qui nous passionne.

 

 

Pourquoi des dragons ?

 

Arthur Qwak : Ca faisait partie du concept dès le début. On voulait être dans un Moyen-âge alternatif, à la campagne, où on suit des gens ordinaires. Pas des guerriers ou des super-héros, mais plutôt des seigneurs analphabètes et des chasseurs de dragons plus ou moins losers qui vivent dans un environnement sauvage et dangereux, avec un bestiaire de créatures qu'ils appellent « dragon ».Ca nous permettait aussi d'avoir une totale liberté au point de vue du graphisme, pour décliner plein de créatures différentes.

 

 

 

Le premier dragon du film est d'ailleurs surprenant parce qu'on ne s'attend pas à voir ça. C'est plus une grosse limace qu'un dragon. Ca crée un effet comique.

 

Guillaume Ivernel : Il n'y a jamais de dragons dans le film en fait. Ce sont des nuisibles que les personnages appellent « dragons », mais c'est juste une appellation. Le seul dragon que l'on voit dans le film c'est l'image dans le livre gothique de Zoé. Sans ça, il n'y a jamais de dragon qui ressemble à un vrai dragon.

 

Arthur Qwak : Si on avait décidé de ne faire que des dragons, disons, plus traditionnels, la série télévisée aurait très vite tourné en rond. Là, l'idée, c'était d'ouvrir tout un champ de possibles. On peut faire des petits dragons qui sont de vraies fourmis, d'autres, qui sont énormes. Ils sont plus ou moins dangereux et ont, à chaque fois, des capacités différentes. Il y en a qui crache du feu, il y en a qui mange, qui avale, il y en a qui sont invisibles. Il y a vraiment un territoire très ouvert pour l'écriture et le graphisme. Tout est possible dans cet univers là.

 

 

 
Ca peut faire un bestiaire intéressant. Vous n'avez jamais songé à sortir un livre d'illustration qui regrouperait tous les dragons ?



Guillaume Ivernel : Peut-être.

 

Arthur Qwak : Déjà, il y a un art book qui est sorti du film.

 

Guillaume Ivernel : On pensait faire un bestiaire, mais il y a eu tellement de boulot sur tout.

 

Arthur Qwak : C'est vrai qu'on avait envisagé à un moment de faire un livre très scientifique et en même temps complètement délirant.

 

Guillaume Ivernel : Très scientifique et très déconnant en même temps. Peut-être un jour.

 


Quelles ont été vos influences pour l'esthétique du film ? On sent celle de Miyazaki.

 
Guillaume Ivernel : Miyazaki, c'est clair. On ne le renie pas, au contraire, c'est un hommage. Je l'ai découvert en traînant avec Moebius sur le tournage du film Star Watcher.  C'était il y a quinze ans, Moebius revenait du Japon et il me donne une cassette pour que je regarde ce que fait ce mec là. C'était Le Château dans le ciel. Ma vie en a été changée. Je me suis dit : quand je serai grand, c'est ça que je veux faire. Au niveau des influences, on voulait croiser le graphisme des vieilles pochettes psychédéliques californiennes des années 70 avec la peinture romantique allemande, Gustav Freidrich principalement. On s'est dit que ça pourrait être marrant ce mélange. Pour l'esprit du film, on n'a pas été vraiment cherché dans les dessins animés, mais plutôt dans des choses très différentes, comme Les Dents de la mer, par exemple.




L'idée des lapins qui volent est-elle une référence volontaire à Wallace et Gromit et le lapin-garou, où l'on voit aussi des lapins voler dans les airs dans le grand aspirateur de Wallace ?

 

Guillaume Ivernel : Ca n'a rien à voir, en fait. Les lapins font complètement référence à l'illustration californienne des années 70, avec ses couleurs saturées. Les lapins, c'est venu comme ça. On nous a aussi parlé du nouveau Mario Bros, où il y a des lapins qui volent mais bon, il vient de sortir. Nous, ça fait déjà des années qu'on bosse dessus.

 

Arthur Qwak : De toute façon, tout ce monde volant, je pense que c'est quelque chose qui est ancré. C'est plus ancien que ça. Ca date des tableaux de Dali. Je crois que dans l'inconscient, ce côté aérien, c'est vraiment une idée fantasmagorique, qui fait appel au rêve. C'est un cadre d'univers qui est assez répandu, parce qu'il fait appel à des choses inconscientes très, très ancrées chez nous.

 

 

 

Quel est votre personnage préféré dans Chasseurs de dragons et inversement, celui dont vous n'êtes pas entièrement satisfaits au final ?

 

Guillaume Ivernel : Déçu, moi il n'y en a pas. Mon personnage préféré c'est Lian-Chu mais c'est complètement personnel.


Arhur Qwak : Lian-Chu est intéressant parce que c'est le seul personnage dont on apprend quelque chose par l'image, notamment par les flashbacks, donc ça crée une proximité avec ce personnage là parce qu'on sait que ni Guizdo ni Zoé ne savent ce qui lui est arrivé. C'est probablement le personnage qui subit la plus grosse épreuve dans le film, à partir de son traumatisme d'enfant.

 

Guillaume Ivernel : On a fait le travail qu'il fallait pour au final, ne pas être déçu sur quoi que ce soit. Les regrets qu'on a pu avoir à un moment, c'est quand on travaillait parce qu'on se disait parfois, ça ça ne va pas, il faut le modifier encore jusqu'à ce que ça nous plaise. On a essayé de ne pas avoir de regrets, que ce soit sur l'histoire ou sur les personnages. On revendique l'intégralité de la chose. Ce qui n'est pas forcément évident pour un premier film.


Arthur Qwak : Je pense aussi que le fait d'avoir réalisé le film à deux, c'est une vraie solution pour éviter les regrets, parce qu'on a plus de recul sur le travail que tout seul. Le fait d'être obligé de confronter les idées pour que les deux soit d'accord sur ce qu'il y a à faire, ça donne un recul immédiat et du coup, il n'y a pas une scène du film ou un personnage dont on ne soit pas content. On a réussi à faire exactement ce qu'on voulait faire.

 

 

 

En ayant un budget plus petit que ce que vous auriez pu avoir, ça vous a permis de garder une certaine liberté, non ?

 

Guillaume Ivernel : Exactement. On aurait eu 5 ou 10 millions d'euros en plus, c'est vrai que ça aurait été plus confortable au niveau de la fabrication, mais on aurait peut-être pas pu faire le film tel qu'il est. Et si on avait travaillé pour une major américaine c'est sûr qu'il y a des choses qui ne serait pas passées. La mort de Zoé, par exemple, des choses comme ça.

 

 

 

Quels dessin animés vous ont marqué pendant votre enfance ?

 

Guillaume Ivernel : Moi, il y en a un qui me vient tout de suite à l'esprit c'est Brisby. C'est une vraie référence.

 

Arthur Qwak : Moi c'est Wizzard.



Guillaume Ivernel : Pour moi, la vraie référence en animation c'est Le roi Léo, que je regardais avec mon père. C'est un des premiers films d'animation japonais qui passait en France, et leur technique et leur système de narration m'ont beaucoup marqué. Je devais avoir six ou sept ans et c'est toujours resté. Le Prince Saphir m'a aussi beaucoup plu. Mes premiers souvenirs c'est l'animation japonaise. A l'époque, tout le monde trouvait que c'était de la merde. Ca a duré longtemps comme ça alors que maintenant tout le monde trouve ça formidable.

 

Arthur Qwak : Il y a aussi les vieux Walt Disney qui m'ont pas mal marqué aussi, notamment Fantasia, qui a en partie inspiré le Bouffe-monde de Chasseurs de dragons et puis, Tex Avery, Tom et Jerry. Le dessin animé entre 5 et 10 ans, ça remplit complètement l'enfance.




Et en ce moment, quels DVD, films, dessin animé ou série, avez-vous dans votre lecteur ?

 

Arthur Qwak : Moi le dernier truc qui m'a bouleversé c'est Alpha Dog, du fils Cassevetes. J'ai trouvé ça énorme. En dessin animé, Les Indestructibles m'a vraiment beaucoup plu.

 

Guillaume Ivernel : Moi aussi, Les Indestructibles et puis aussi Paprika qui m'a beaucoup touché. Tout n'est pas réussi dans ce film, notamment la fin, mais il y a des trucs qui m'ont totalement parlé. Et c'est en ça aussi que notre collaboration est intéressante, c'est que, bien qu'on est des choses en communs, on n'a pas forcément les mêmes goûts. On amène peut-être à l'autre une manière de voir les choses un peu différente. Et c'est ce qui donne Chasseurs de dragons.

 

 

 

Pensez-vous que le cinéma peut changer le monde ?

 

Arthur Qwak : Bien sûr. Le cinéma a déjà changé le monde. Il le fait tous les jours. D'une manière plus large, la culture modifie le monde, le fait évoluer, le fait réfléchir, réagir. Si on imagine un monde sans cinéma, sans littérature, sans peinture, sans architecture, sans musique, on est encore en train de casser des cailloux, et de chasser le mammouth.

 

 

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