Merzak Allouache

Didier Verdurand | 13 mars 2005
Didier Verdurand | 13 mars 2005

Merzak Allouache sait qu'il n'a pas très bonne presse avec son nouveau film mais il est habitué aux mauvaises critiques. Cela n'avait pas empêché Chouchou en 2003 de faire rire près de 4 millions de spectateurs... L'intérêt principal de Bab el web est de montrer une Algérie où on partirait volontiers en vacances. On est loin des idées reçues et cela valait bien une rencontre avec un cinéaste spécialisé dans les films-constats.

Avez-vous ressenti une pression particulière après le triomphe de Chouchou ?
Non. Si Chouchou avait été mon premier film, j'aurais peut-être pété les plombs mais le fait est que Bab el web est mon douzième, que je fais du cinéma depuis trente ans et que j'ai connu des hauts et des bas, donc je garde les pieds sur terre. Le problème principal qui s'est présenté après Chouchou, c'est que je pouvais devenir le pur réalisateur français et enchaîner sur une comédie formatée dont l'identité n'était pas la mienne. J'ai été présenter Chouchou en Algérie, où il a eu du succès et j'ai pris conscience que c'était là que je voulais faire mon film suivant.

Justement, que représente un succès en Algérie au box-office ?
Chouchou a fait 50 000 entrées, et pour le comparer à un poids-lourd, Titanic en compte à peu près 90 000 mais il faut savoir qu'on n'a pas toujours les vrais résultats. Rajoutez un peu pour vous rapprocher des chiffres exacts !

Ca serait plutôt le contraire en France, où des distributeurs sont soupçonnés de grossir parfois les chiffres…
Oui ! En même temps, derrière ces chiffres, n'oublions pas que présenter un film ou une pièce de théâtre en Algérie est un événement culturel. Pareil quand une star de la chanson s'y produit.

Considérez-vous Bab el web comme un film français ou algérien ?
Franco-algérien, car c'est un film passerelle, je raconte des histoires d'ici et de là-bas à travers les personnages principaux qui sont algériens et français, et les situations qu'ils rencontrent. L'ambiance est tout de même plus algérienne vu que l'histoire se déroule à Alger, où nous avons tourné.

Que pouvez-vous nous dire sur la santé du cinéma algérien ?
Quelques-uns se tournent avec beaucoup de difficultés et ils existent pour la plupart parce qu'ils sont en coproduction avec d'autres pays. Six ou sept films se sont réalisés ces deux dernières années dont un seul 100% algérien, tourné en DV. On peut donc dire que le cinéma algérien se trouve dans une situation sinistrée, d'autant plus qu'à une époque, la production était régulière. Mais quelques jeunes essaient de reprendre le relais et je veux être optimiste. Grâce aux antennes paraboliques, les jeunes sont en contact avec l'extérieur et restent ouverts à tout ce qui se fait. Cela engendre une frustration car les films dont on parle ici ne sont quasiment jamais distribués là-bas d'où le développement du piratage. Bab el web doit être déjà disponible sur internet j'imagine… Quand j'y avais présenté Chouchou, on pouvait le trouver en VCD ! La concurrence n'existe pas dans les salles tant les sorties sont limitées, ce qui n'est pas plus mal pour Bab el web ! (Rire.) Aucun choix n'est offert au spectateur, ce n'est pas intéressant pour la vie culturelle. J'aurais aimé rester plus longtemps à Alger pour suivre le film, pour discuter avec tous ces jeunes qui aiment le cinéma… J'ai emmené là-bas quatre copies qui tournent à travers l'Algérie. Enfin, trois villes : Alger, Tizi Ouzou et Annaba. Voilà pourquoi je parlais de situation sinistrée : à une époque, nous avions environ 375 salles. La plupart ont fermé pour se transformer en salles de fête ou en salle de projection vidéo, sur "grand" écran ou carrément une télévision comme ça a pu arriver.

Comment se porte internet ?
Il y a une multiplication de web cafés, dans des lieux aussi divers que des caves ou des appartements. Les tchats, forums de discussions et tout ce qui a un attrait à l'évasion, à l'extérieur pour assouvir une soif de connaissances. C'est delà que m'est venu l'idée de Bab el web.

Je trouve que Bab el-Oued City est votre meilleur film mais le plus incroyable avec vos œuvres tournées dans ce quartier populaire d'Alger, c'est qu'elles deviennent un véritable témoignage historique qui va encore finalement plus loin que le cinéma !
J'ai tourné trois films à Bab el-Oued, en 1975, 1993 et 2004. Pendant le tournage de Bab el-Oued City, je croyais que c'était mon dernier film, les conditions étaient épouvantables. En 1993, l'Algérie basculait vers la violence la plus totale et la caméra était un vrai tabou. J'avais une équipe légère, nous tournions en Super 16 et les comédiens avaient peur de travailler avec moi. Je n'arrivais pas toujours à suivre mon scénario car je ne pouvais tourner plus d'une journée au même endroit, c'était trop risqué. Il en résulte un film proche du documentaire comme on n'en voit pas tous les jours. Dix ans plus tard, avec Bab el web, je retrouve un quartier toujours pauvre et populaire mais libre. Nous n'avions pas la peur de mourir en travaillant ! J'avais donc l'occasion de montrer une autre image, décontractée cette fois, de l'Algérie, plus conforme à la réalité actuelle et c'est pourquoi j'ai utilisé le cinémascope. Je suis très satisfait de la lumière et de la photo de Bab el web.

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Merzak Allouache.

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