Pris au Piège : Alex de la Iglesia, ou la comédie du chaos

Sophie Sthul | 29 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sophie Sthul | 29 août 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

On aura vite fait de voir dans Alex de la Iglesia un satire rigolard de la société espagnole contemporaine, un pourfendeur des (in)humanités urbaines, doté d’un formidable sens du pastiche. Mais si le réalisateur espagnol est tout cela, il est également bien plus, comme nous le rappelle Pris au Piège (El Bar), qui débarque chez nous en VOD, DVD et Blu-Ray.

 

LA FIN DES MONDES

Le metteur en scène ne s’est jamais contenté de pousser dans leurs derniers retranchements des situations de crise, et si son cinéma aboutit toujours à d’euphoriques paroxysme, ce n’est pas tant parce qu’il aurait, comme on le caricature souvent, une tendance à l’hystérie, mais bien parce qu’il est un authentique peintre de l’apocalypse. Le rire et le détournement, toujours présents dans ses œuvres, ne masque que très superficiellement les cataclysmes qu’ils dépeignent.

 

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Qu’il s’agisse de l’univers balisé d’un séducteur de supérette dans Le Crime Farpait, de l’Espagne franquiste en pleine déliquescence morale dans Balada Triste, du pourrissement (humain, moral et symbolique) d’un homme de médias dans Mi Gran Noche, ou du rituel cathartique des Sorcières de Zugarramurdi, il est toujours question de monde s’apprêtant à sombrer.

Une situation similaire pousse à la folie furieuse les adorables salopards de Pris au Piège, où des anonymes retranchés dans un bar, par la faute d’une menace invisible, voient leur environnement se rapetisser, jusqu’à littéralement les inhumer. C’est de cette folle capacité à transformer le moindre théâtre des vicissitudes humaines en tragédie existentielle qui permet à Alex de la Iglesia de ne jamais confondre électricité et légèreté, dynamique et superficialité.

Que ses héros s’entredéchirent, luttent pour leur survie ou se liguent contre un formidable adversaire, c’est toujours la survie de leurs valeurs et d’un modèle d’existence menacé qu’ils défendent.

 

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MOVIDA IS BACK

Et pourtant, les œuvres du cinéaste comptent parmi les plus kaléidoscopiques, colorées, chaleureuses, que propose actuellement le cinéma ibérique. En cela, il n’est pas tant un ambassadeur du cinéma de genre espagnol que la réminiscence d’un mouvement qui accompagna son explosion européenne dans les années 80 et dont Pedro Almodovar fut le héraut triomphant.

On parle bien sûr de la movida, renaissance aux désirs excessifs, incontrôlables, à la forme changeante, véritable explosion des conventions et des tabous, si ces expressions sont loin d’avoir toutes traversé les âges avec élégance, il est frappant de voir combien la mise en scène de Iglesia, notamment dans son utilisation de l’humour, emprunte à cette mouvance qui fit de la rupture de ton une véritable signature.

 

Photo Álex de la Iglesia

 

C’est cette imbrication de tempos, de tonalités ou de mécaniques en apparence irréconciliables, qui font de ses longs-métrages des êtres mutants, le plu souvent imprévisibles. Et c’est ainsi qu’il parvient à transformer dans Pris au Piège un effeuillage humiliant mais attendu, en un réquisitoire simultanément féroce, à la drôlerie acide, qui ne minimalise jamais la portée des gestes des personnages.

 

LA POLITESSE DU DESESPOIR

On dit que le rire est la politesse du désespoir. Voilà une expression qui convient totalement aux créations du réalisateur. Chez lui, il apparaît clairement que l’humour, pour ravageur et contagieux qu’il soit, n’a pas pour rôle d’amadouer le spectateur, ou d’atténuer la violence des charges politiques qu’il mène.

 

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Au contraire, il en souligne les arêtes, démultiplie l’impact, comme dans son dernier film, où chaque sortie de route et acte manqué se voit sublimé par la mise en scène, mais aussi par la grammaire déployée par l’auteur. Plutôt que de souligner ses effets et leur sens, au lieu de sur-signifier, Alex de la Iglesia choisit toujours l’explosion de sens, la multiplication de motifs.

Par conséquent, quand les ambitions des uns broient les autres, que la veulerie détruit tout, le rire n’a plus besoin de gags ou de scénettes pour se répandre et apposer sa délicieuse morsure. C’est cette hybridation rarissime de gravité, de symbolisme, enrobé de grâce sardonique, qui font de Alex de la Iglesia un des plus grands artistes espagnols.

 

Photo Álex de la Iglesia

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