Tobe Hooper nous a quittés. Le réalisateur de Massacre à la Tronçonneuse compte parmi les rares artistes à avoir durablement transformé leur médium. Mais s’il est de bon ton de voir dans le cinéaste l’homme d’un seul film, sa carrière est bien plus riche qu’on ne veut bien l’écrire.
Victime de la malédiction du grand culte, qui veut parfois qu’un chef d’œuvre éclipse l’entièreté d’une carrière et en masque longtemps les richesses (Nabokov l’expérimenta avec son sulfureux Lolita), Tobe Hooper aura mis des années avant d’être reconnu autrement que comme le père d’un monstre de foire, et gageons qu’il faudra encore un moment avec qu’il ne soit appréhendé comme l’auteur complexe qu’il fut.
Il faut souffrir pour être une Scream Queen
UN ECRASANT CHEF D’ŒUVRE
Si on œuvre ne se limite pas à Massacre à la Tronçonneuse, impossible néanmoins de faire l’impasse sur cette création qui aura agi sur le cinéma de genre à la manière d’une bombe à fragmentation, ou d’un virus merveilleusement insidieux. Quand Leatherface déboule en 1974, personne ne s’attend à la déferlante.
Bricolé avec une économie de moyens qui le pousse à une viscéralité inédite, le metteur en scène propose un film d’horreur totale, au montage inventif et brutal, ainsi qu’un grand film politique. Au-delà des restrictions qui l’amènent à envisager une horreur le plus souvent suggérée, Hooper dynamite ses séquences de l’intérieur en pulvérisant la géographie, transformant progressivement un Texas cauchemardesque, vaste no-man’s land social abandonné à des laissés pour compte cannibales, en un espace mental réduit à un système entropique implacable.
La célèbre danse du soleil de Leatherface
Les vieux mangent les jeunes. Marilyn Burns, instantanément scream queen devant l’éternel passe ainsi la majeure partie du métrage seule, au cœur d’un univers pulvérisé, labyrinthe affamé pressé de la dévorer, au mépris revigorant d’à peu près toutes les conventions narratives du genre.
On retient bien sûr l’imparable cinégénie du métrage, son super 16mm granuleux, son atmosphère poisseuse et l’impact vertigineux de sa dernière bobine, mais également la symbolique qui exsude de ce grand corps malade. En 1974, représenter deux générations s’entredévorant, dans le cœur arythmique d’une Amérique dont on exhume les morts pour tromper l’ennui, c’est bien sûr la métaphore d’une guerre du Viêtnam où les uns somment les autres de s’envoler pour la grande boucherie.
L’onde de choc provoquée par Massacre à la Tronçonneuse sera d’autant durable que dans de nombreux territoires, le film sera interdit et/ou censuré, alors que sa réputation enfle à toute vitesse (il ne sortira dans l’Hexagone qu’en 1982). Il s’impose naturellement comme un classique instantané pour les amateurs, autant qu’un jalon de l’obscénité inhérente à une insupportable sous-culture pour les tenants du bon goût. Le culte va pouvoir croître de manière exponentielle.
UNE CARRIERE TRONCONNEE
Pour qui ne s’est pas penché en détail sur la question, difficile de ne pas lire à peu près partout et unanimement combien Tobe Hooper n’est jamais revenu au niveau de Massacre à la Tronçonneuse. S’il n’a jamais livré aux cinéphiles une autre création promise à un culte immédiat, son CV est riche de multiples réussites, que ne doivent pas ternir ses derniers efforts, plus inégaux.
Dès 1976, l’artiste enchaîne avec Le Crocodile de la Mort, dont le titre et la promotion dissimulent la nature surréaliste et cinéphile, mise en scène et scénario s’amusant à tordre les règles Hitchcockiennes établies par Psychose pour les adapter à l’univers tordu de Hooper.
Non content de révéler Robert Englund (le futur Freddy Krueger), le métrage à la fascinante photo saturée nous offre un cauchemar qui explore, sans jamais chercher la psychologisation, la psyché de son tueur. À la limite du film expérimental, Le Crocodile de la Mort est l’occasion de constater l’étendue de la palette de Hooper, ici aux antipodes stylistiques de Massacre.
Hooper, monomaniaque de la tronçonneuse ? C’est faux.
Massacres dans le Train Fantôme constituera également une très jolie série B, où les thèmes et obsessions de l’auteur se cristallisent. Symboliquement et narrativement forain, le métrage range définitivement son metteur en scène aux côtés des marginaux, des freaks, rares protagonistes de ses films à faire preuve d’authenticité, le plus souvent victimes des extrémités auxquelles le monde les condamne. Méconnu et pourtant bourré d’idées affolantes, le film aura sans doute servi d’inspiration à Rob Zombie, tant sa volonté d’inverser les sources de rire et d’effroi rappelle aujourd’hui la mécanique glaciale de The Devil’s Rejects.
Objet étrange, impossible à répertorier, qui surprend, agace, choque, divertit mais inquiète, en fait encore aujourd’hui une oeuvre totalement méconnue, en dépit de son étonnante richesse.
Massacres dans le train Fantôme : une maison pas si fun…
Puis viendra Poltergeist, formidable roller coaster horrifique, qui malgré l’amour que lui porte le public, ternira encore un peu la réputation infâmante du réalisateur. Embauché par Steven Spielberg, officiellement producteur, pour réaliser le film, mais surtout assurer, au beau milieu d’une importante grève Hollywoodienne, la continuité du tournage. Conséquence, la paternité du film lui sera logiquement disputée, les témoignages affirmant que le film a majoritairement dirigé par Spielberg affluant de toutes parts. Il n’empêche que l’on reconnaît ici et là des fulgurances crapoteuses typiques de l’artiste, dont il serait bien déraisonnable de sous-estimer l’apport.
Avec Tobe, il y a toujours un cadavre dans le placard
Encore largement tenu pour une atrocité, Lifeforce est peut-être un des Hooper qu’il est le plus urgent de réévaluer. Bien trop long, totalement foutraque et produit un peu n’importe comment, le film est certes bourré d’imperfections, mais demeure un véritable festin de curiosités cinéphiliques. Traversé de visions (notamment dans sa première heure) de Sf extrêmement dark, aux frontières de la fantasy, ce blockbuster de SF à la charge érotique toujours intacte semble de changer de direction narrative toutes les quinze minutes, alterne entre grand spectacle, enquête, délire intimiste et SF apocalyptiques.
Traversé de visions inoubliables, le film est porté par el formidable score de Mancini. Cet attelage improbable symbolise toute une époque, où risque, folie et curiosité n’avaient pas déserté Hollywood. Une proposition azimutée que l’on doit évidemment à la Cannon, toujours prête à saigner ses caisses pour se lancer dans des projets tantôt pharaoniques, tantôt absurdes.
Matilda May dans Lifeforce
LE RIRE DES MARTYRS
Puis viendra Massacre à la Tronçonneuse 2 en 1985, c’est suite à ses récents insuccès que Tobe Hooper se voit acculé à ce projet de séquelle. Les suites sont alors aussi mal vue du public que méprisé par les exécutif des studios, qui y voient une manière peu coûteuse de rentabiliser un produit et pas encore les planches à billets sur lesquelles investir massivement qu’elles finiront par devenir.
Si le film sera un nouvel échec pour Tobe et s’avèrera relativement incompris à sa sortie, il ne manque pourtant pas d’atouts. Casting aux oignons, où reviennent quelques trognes du précédent épisode, une direction artistique aussi grotesquement monumentale qu’inspirée, un gore récréatif bienvenu et surtout un double sens passionnant en font une série B goûtue.
La famille Adams peut gentiment aller se rhabiller
En versant frontalement dans la comédie gorasse au mauvais goût assumé (toutes les scènes où se démène un Dennis Hopper vengeur sont absolument irrésistibles), le film se fait une mise en abîme féroce du système hollywoodien et se grandiloquence, ainsi qu’un décodage en règle du premier opus.
Tobe Hooper nous révèle ainsi que s’il n’a jamais versé dans le second degré goguenard, il n’est pas le metteur en scène du monstrueux que certains veulent absolument aduler. L’œuvre de Hooper a en effet toujours été nimbée d’un humour noir féroce, tenant parfois à d’infimes décalages, capables de faire dérailler la construction minutieuse de tout une séquence. Le réalisateur pousse ici les potards au maximum et rend indiscutable, contagieux et euphorisant cet humour poisseux qu’il maîtrise à la perfection.
Une autre œuvre, parmi les dernières à avoir été produites par le maître de la tronçonneuse, achèvera d’éclairer son parcours sous un œil malicieusement mélancolique. Dans son roman Midnight Movies, Tobe Hooper se met en scène, vieux routier du genre, dépassé, à la mémoire vacillante et responsable malgré lui d’une orgie virale de furie sexuelle que ne renierait pas David Cronenberg.
Dennis Hopper for the win !
Extrêmement drôle, souvent cruel avec son auteur et la population cinéphage, le texte achève de dévoiler combien l’homme est capable de tendresse retorse, de lucidité et s’efforce toujours de dépasser les cadres classiques des genres qu’il visite. Pour bizarre et horrifique qu’elle puisse être, l’œuvre de Tobe Hooper est aussi celle d’un homme qui n’abandonne jamais l’empathie et n’oublie pas que les monstres qui traquent ses semblables sont avant tout des créatures terrifiées, poussées à bout par un monde qui les consume.
Ces créations atypiques méritent mieux que l’ombre de Massacre à la Tronçonneuse ou la réputation contagieuse de Mortuary ou de The Mangler, qui comptent parmi les ratés de l’artiste. Tobe Hooper disparaît, et avec lui un maître, expérimentateur du Nouvel Hollywood, électron inclassable des eighties dominées par les studios, avant de connaître une consécration tardive qu’il aura néanmoins eu la chance de contempler.
La tronçonneuse s’est éteinte, son silence est de mort.
Pour aller plus loin, on vous recommande Une Expérience Américaine du Chaos, de Jean-Baptiste Thoret, qui met en lumière l’oeuvre culte de Tobe Hooper.
Craven, Romero, lui, bon bah il manque Carpenter et une génération mourra.
Vite fait le tour les pépites du gars sont :
Massacre à la tronçonneuse 1/2
Poltergeist
et quelques épisodes de série le reste a éviter ce sont des navets
Craven, Romero, Hopper… je serais Carpenter, je serais inquiet.
Tiens bon, big john!!
@matt oui je sais pas si c étais le cas mais Refn donnait l’impression de prendre Hooper de haut genre j ai du pognon je peux t’aider si tu galère et Hooper donnait l’impression » il se prend pour qui lui ? » un peu » je m’en fout « , c’était peut être pour les caméras, après c’est qu une impression
@的时候水电费水电费水电费水电费是的 cooper. Exact. Belle édition bluray d’ailleurs.
De plus Refn avait l’air certes totalement sous le charme du film mais de nouveau, j’avais le sentiment qu’il s’entendait un peu parlé et qu IL pouvait redonner un second souffle à Tobe.
Bof bof l’attitude même si cela reste louable.
@matt oui c’est vrai ca m’a fais pensé a cette interview du coup quand j ai vu que Hooper étais mort, c’était au festival de Cannes justement et dispo dans les bonus de » massacre a la tronçonneuse » de la dernière version remasterisée, mais il me semble que Hooper n’avais pas du donner suite, il me donnais l’impression de se foutre un peu de ce que lui disais Refn.
Bon » massacre a la tronçonneuse » le chef d’oeuvre de sa filmographie bien sur, le 2 j’avais pas compris le délire au debut mais quand on y est fais il est bien sympa quand meme,, sinon j’avais plutôt bien aimé » le crocodile de la mort « , » the mangler » ultra raté impossible de regarder en entier pourtant la nouvelle de King étais génial, » les vampires de salem » a mal vieilli, il avait meme réalisé un épisode du film a sketch » body bags » où il dirigeait Mark Hamill dans son épisode, sinon jamais vu » lifeforce » faudra que je regarde ca j ai vu qu’il étais dispo sur netflix il me semble
Dire que Nicolas Windin Refn devait aider Tobe Hooper à monter un projet à condition qu’il soit aussi viscéral que son Texas Chainsaw Massacre. Mais ça remontait déjà à 2014…
Too bad. See you Tobe…