Cartel : après La Griffe du Chien, Don Winslow montre les crocs

Jacques-Henry Poucave | 8 septembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 8 septembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Si Don Winslow commence à compter dans le paysage français parmi les figures du thriller d’espionnage contemporain, avec Cartel, on devrait probablement assister à une véritable déferlante aux couleurs de l’auteur. Car après le passionnant La Griffe du Chien, l’écrivain signe avec Cartel un retour en force surpuissant.

 

Cartel contre Cartel

Hollywood ne s’y est pas trompé, et cela fait déjà quelques temps que la machine à rêve a décidé de faire de l’artiste une de ses matrices à scénario. Oliver Stone proposait il y a peu avec Savages un aperçu de ce que pouvait offrir la prose de Winslow, mais ce film de gangsters efficace quoique manquant un peu d’éclat devrait rester un coup d’essai, puisque le prochain à porter ses écrits à l’écran sera rien moins que Ridley Scott.

Le réalisateur d’Alien s’apprête en effet à adapter Cartel (rien à voir Cartel, titre français de son Counselor, joyaux injustement décrié où officiait Michael Fassbender). Et à la lecture de ce nouvel opus de l’auteur américain, on se dit que Scott tient là un matériau ahurissant, une œuvre à la force exceptionnelle.

 

Don Winslow

 

 

Remettons les choses dans l’ordre. Cartel est la suite de La Griffe du chien, paru en 2007, dont nous retrouvons le héros, Art Keller, retiré des voitures dans un monastère où il se livre à l’apiculture. Manque de bol, le plus gros boss de cartel, qu’il a contribué à mettre derrière les barreaux, s’échappe et décide d’en finir avec lui.

 

Pulp my Ride

Ce n’est pas une nouveauté, mais Winslow est toujours le meilleur écrivain en activité à se pencher sur le narcotrafic et la guerre contre la drogue menée avec plus ou moins de cynisme par les Etats-Unis. Connaissance précise de son sujet, savoir encyclopédique, capacité à transformer un réel noirissime en matière littéraire brute et abrasive… Le talent du maître est intact, sinon décuplé.

Sauf que vient désormais s’ajouter à son style une dimension populaire plus prononcée, une capacité à digérer la dimension pulp inhérente à tout genre mettant en scène flics et voleurs, agents fédéraux et gangsters.

 

Don Winslow

 

 

Car si Winslow n’a toujours pas son pareil pour digérer l’actualité – derrière la figure terrifiante de Barrera on devine El Chapo, dont les déboires ont fait les gros titres de la presse internationale – il sait avec une maîtrise similaire jouer le jeu du genre et de ses archétypes. De ses personnages cabossés, de son duel aux proportions quasi-mythologiques en passant par les explosions de violence, tout dans Cartel sonne parfaitement.

 

Muerta Mexico

L’autre source de la puissance de Cartel, c’est sa capacité à dépoussiérer instantanément tout un pan de l’inconscient collectif, pourtant régulièrement visité par la littérature, mais aussi le cinéma. Et si on ne va pas ici prétendre que le roman ringardise des réussites telles que Sicario, Cartel a le mérite de nous faire pénétrer bien plus profondément dans la folie qui ensanglante actuellement le Mexique.

 

don winslow

 

Cartel se fait ainsi le témoignage d’une ère sans nom, morale ni valeur, un sorte de précipité solaire et tragique de ce que l’humanité peut engendrer de pire quand puissance de feu, soif de pouvoir et libéralisme se rencontrent. Si Ellroy fut l’écrivain qui décoda le rêve américain pour en vomir la face noire et protéiforme, Winslow serait l’auteur d’après.

L'écrivain qui oblitère les fantasmes d'un territoire disparu, devenu un vaste no man’s land, perdu dans un cauchemar halluciné. Don Winslow n'est pas un énième radiographe de l'Amérique et de ses vicissitudes, il est son plus impitoyable légiste.

CARTEL EST DISPONIBLE AUX EDITIONS DU SEUIL.

 

don winslow

Tout savoir sur Cartel

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Rayonne
11/08/2019 à 10:19

J’ai été fascinée du debut à la fin des deux tomes ( la griffe du chien et cartel ) par ce duel homérique : lutte Bien /Mal , tragique condition humaine avec ses bassesses et ses grandeurs, dissection d’un « système » devenu fou et qui rend fou ...l’ espèce humaine mérite t elle d’ être sauvée?
Ecriture magistrale , poignante , avec des éclats d’ humour pour reprendre son souffle .
Un vrai chef d’oeuvre !

Bishop
09/09/2016 à 11:41

Il y a des publi-reportages sur EL ?