Julianne Moore, je t'aime : déclaration d'amour à l'actrice, encore une fois géniale dans Maps to the Stars

Geoffrey Crété | 27 mai 2014 - MAJ : 11/03/2019 12:47
Geoffrey Crété | 27 mai 2014 - MAJ : 11/03/2019 12:47

Il n'y tenait plus, notre Geoffrey national s'est fendu d'une lettre à Moore, d'une déclaration pour Julianne, actrice honorée par le Festival de Cannes en sa soixante-septième édition. Voici donc un texte hommage à l'une des comédiennes les plus exigeantes et audacieuses de sa génération, attention toutefois, il contient quelques spoilers quant à la teneur de son dernier rôle.

Dans Maps to the Stars de David Cronenberg, tu chies, tu chiales, tu hurles, puis crèves la gueule ensanglantée, fracassée par un minable prix d'interprétation en plaqué or. Belle ironie donc que le Festival de Cannes te décerne, Julianne Moore, le Prix de la meilleure actrice, récupéré en ton absence par le scénariste du film Bruce Wagner, auteur du roman Toujours L.A. qui lui a valu une comparaison à Brett Easton Ellis. Un délectable tableau donc pour ce retour au premier plan, arrivé à point nommé pour rappeler ta puissance intarisable dans le paysage hollywoodien.

 

 

Un prix que personne n'a honnêtement vu venir, mais que nul ne remettra en cause dans la farce d'après-festival, où chaque cinéphile dissèque le palmarès. Car en plus de sacrer une performance réjouissante, ce sacre tombe vingt ans après la sortie française de Short Cuts, le chef d'œuvre iconoclaste de Robert Altman.

En 1994, alors que tu n'es qu'une belle rousse vue dans le soap As the World Turns, ou encore Le Fugitif avec Harrison Ford, il t'enlève le bas dans une scène inoubliable, qui va façonner ta carrière de comédienne d'une manière aussi belle que choquante. Encore aujourd'hui, on se demande s'il faut être excité ou dégoûté par cette image de housewife déculottée, qui assure à son mari que celui avec lequel elle l'a trompé n'a pas joui en elle, un sèche cheveux à la main.

 

  

Tu décroches une miette du Golden Globes qui récompense la distribution folle de ce film, puis t'envole vers de nouveaux défis sans perdre une seconde. Oublions Assassins avec Antonio Banderas, oublions Neuf mois aussi avec Hugh Grant : Louis Malle dira de toi, après t'avoir filmée dans le méconnu Vanya, 42ème rue, que tu es une beauté digne de Jeanne Moreau.

En 1995, tu rencontres Todd Haynes, une autre pièce maîtresse de ta filmographique, qui t'offre un rôle ahurissant dans Safe : celui d'une femme au foyer qui sombre dans la folie moderne, étouffée par son monde, jusqu'à terminer dans une secte new age au milieu du désert californien. Une évidence alors : tu es une actrice fabuleuse, vouée à retourner les esprits. Tu diras toi-même, des années après, qu'il reste l'un de tes rôles les plus importants, car le premier à ta hauteur, nous préciserons.

 

 

A l'aube du nouveau millénaire, tu entres dans l'arène hollywoodienne par la porte dorée : tu t'écrases sur le pare-brise d'un camion, accroché à une falaise, le temps d'une scène extraordinaire dans le sympathique Le Monde perdu : Jurassic Park de Steven Spielberg. La même année, comme pour affirmer que tu n'es pas prête à vendre toute ta carcasse à Hollywood, tu te déshabilles pour Boogie Nights de Paul Thomas Anderson, évocation Scorsesienne glaque de l'industrie porno des années 70. Tu y es fabuleuse en porn star désséchée, et tu décroches une nomination à l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. Manque de chance, une autre pute récolte la récompense - Kim Basinger pour L.A. Confidential.

 

 

Dès lors, tu entres dans le cercle très fermé des actrices en vogue. Tu t'envoles pour les frères Coen dans le futur film culte The Big Lebowski, participe au trip Psycho de Gus Van Sant où tu reprends le rôle de Vera Miles, retrouve Robert Altman pour le mineur Cookie's Fortune, donne toutes les larmes de ton corps dans l'oublié Une carte du monde avec Sigourney Weaver, te souille dans l'insupportable Un mari idéal et le drame rase-motte La Fin d'une liaison - qui te ramène une nouvelle nomination aux Oscars, que nous préférons oublier tant elle ne te sied pas.

Mais surtout, tu retrouves Paul Thomas Anderson dans le fabuleux Magnolia, où tu incarnes une garce rongée par la culpabilité, autant que son vieux mari par la maladie. Tu hurles dans une pharmacie, tu chantes dans une voiture, tu avales des médicaments pour en finir, jusqu'à ce que ton ambulance se prenne une averse de grenouilles. Le cinéaste rend un vibrant hommage au Short Cuts d'Altman : la boucle est bouclée. Tu entres intacte dans l'âge moderne du cinéma d'auteur.

 

 

Puis, lorsque Jodie Foster déserte la suite du Silence des agneaux, Anthony Hopkins, qui t'a eu comme muse dans Surviving Picasso, souffle ton nom à Ridley Scott pour reprendre la flamme de Clarice Starling dans Hannibal. La critique tombe comme une fronde sur le film, mais qu'importe : tu y es parfaite. Te voir coincée entre le cannibale et un vieux frigo, dans une longue robe noire Gucci, sur la musique de Hans Zimmer, a procuré de sensationnels frissons érotiques. Tu démontres aussi un certain humour avec Evolution, où tu joues une scientifique maladroite, puis Terre Neuve, où tu joues, tout simplement.

En 2002, doublé gagnant : Todd Haynes t'écris sur mesure le premier rôle du mélodrame Loin du paradis, évocation douce-amère du cinéma de Douglas Sirk, entre pastiche et provoc. Même coiffure et époque pour The Hours, variation éminemment belle de la housewive des années 50, ce rôle qui te colle à la peau mais que tu renouvelles, sans cesse, avec une douceur déstabilisante. De quoi décrocher deux nominations aux Oscars la même année, et entrer dans le club inutile des rares comédiennes ayant eu ce privilège. Troisième et quatrième défaites suprêmes. Là encore, tu rapportes à la maison un morceau d'honneur après la récompense de groupe à Berlin pour The Hours.

 

 

En guise de représailles, ou par simple déprime, tu t'engouffres dans une sale impasse. La preuve avec tes partenaires d'infortune : Matthew Broderick dans Marie et Bruce, et Pierce Brosnan dans Une affaire de cœur. Tu acceptes vraisemblablement de tourner Mémoire effacée sans être allée au bout du scénario, et tu n'as probablement pas ouvert celui de Trust the Man, réalisé par ton mari Bart Freundlich. La planète critique atomise La Couleur du crime, un thriller de deuxième choix avec Samuel L. Jackson, où tu pleurniches beaucoup, mais très bien. Mais la rédemption viendra d'ailleurs - symboliquement, de l'autre côté de la frontière.

D'abord avec Les Fils de l'homme d'Alfonso Cuaron, où tu ne fais pas long feu, puis Blindness de Fernando Meirelles, où tu es de chaque plan. Entre temps, tu parviens même à nous faire avaler l'immonde Next avec Nicolas Cage (tu diras toi-même que « ça ne parle de rien. Ca dure deux heures, et je crois que je suis un agent du FBI ») avec le sulfureux Savage Grace, histoire d'inceste entre une mère et son fils, et une apparition amicale dans I'm Not There de ton cher Todd Haynes. D'un coup, la Julianne qu'on aime nous est rendue.

 

 

Mais un doute subsiste. Car pour un second rôle magnifique dans A Single Man de Tom Ford, il y en a un autre, oubliable, dans Les Vies privées de Pippa Lee. Pour le beau Chloé d'Atom Egoyan, que peu d'entre nous ont défendu, il y a l'innommable Le Silence des ombres, série Z impardonnable, qu'on espère t'entendre descendre d'ici quelques années, lorsque tu admettras l'avoir accepté pour payer ton loyer. Tu aides Lisa Cholodenko à financer le film The Kids are All Right et contacte toi-même Annette Bening pour jouer ta partenaire lesbienne : elle aura les honneurs d'une nomination aux Oscars, après t'avoir battue aux Golden Globes. Après le succès un peu nauséabond de la niaiserie Crazy, Stupid, Love, tu enchaînes les films indé What Maisie Knew, Monsieur Flynn avec De Niro et The English Teacher - dans l'ordre décroissant de qualité, le premier étant particulièrement juste et sensible, et le dernier, sans intérêt aucun.

Comme tant d'autres, tu brilles finalement dans les salons avec le téléfilm Game Change, où ta performance en Sarah Palin te mène vers un Emmy et un Golden Globes. Hasard ou destin : Tina Fey, créatrice et star de la série libérale 30 Rock, où tu es apparue le temps de 7 épisodes, en avait déjà tiré une performance sensationnelle lors des élections.

 

 

En 2013, tu nous fais peur. Très, très peur. D'abord parce que tu te mesures au classique de De Palma, Carrie, dans un remake pernicieux, où tu sembles réduite à une partition assez minable. Dans Non-Stop ensuite, que tu as sans doute accepté par amitié pour Liam Neeson. Pour ta défense, tu avoueras que le producteur Joel Silver t'a supplié d'en être. Enfin, dans Don Jon, échec discutable dirigé par Joseph Gordon-Levitt et adoubé par la presse. Avec une quatrième catastrophe en cours de validation puisque la sortie du Septième Fils, une horreur bourrée de CGI, qui marquera sans doute de tristes retrouvailles avec Jeff Bridges, a été repoussée à 2015.

Voilà donc pourquoi ce Prix d'interprétation cannoise qui t'a été décerné pour Maps to the Stars n'est pas qu'un simple honneur : c'est aussi une nouvelle chance de revenir à la source du Mal, cette détresse furieuse, envoûtante bien que terrorisante, qui hante ta filmographie depuis deux décennies. Une occasion de rayonner à nouveau sur le majestueux cinéma américain, si une nouvelle génération de cinéastes avait besoin d'une preuve de ton existence solide.

Une main tendue vers les nouveaux Robert Altman, Todd Haynes et Paul Thomas Anderson, ceux qui t'ont forgé. Ta rencontre filmique avec David Cronenberg a rallumé quelque chose, à différents niveaux de la conscience, qui n'est pas sans rappeler les fantômes qui hantent les pauvres héros de cette fable corrosive. Après t'avoir vue titiller l'american dream toute ta carrière, te voir récompensée à Cannes pour l'avoir incarné au pire de sa forme semble magique.

 

 

Mais déjà, tu sembles prête à passer le relais à une nouvelle génération. Tu n'étais pas à Cannes pour recevoir ton prix car tu tournes les derniers épisodes de la saga Hunger Games, où tu prendras sous ton aile Jennifer Lawrence pour l'aider à mener la révolution du fameux oiseau. Tu as aussi en stock le drame Still Alice, où Kristen Stewart sera ta fille, qui affronte ton Alzheimer. Il y a aussi Freeheld, où tu seras la compagne mourante d'Ellen Page, puis Maggie's Plan, une comédie avec Greta Gerwig.

Ce prix cannois, tu l'as soufflé à Marion Cotillard et Hilary Swank, deux actrices adoubées par l'Académie des Oscars, là où tu as échoué à quatre reprises. Pour un peu, en pensant aux cinq défaites d'Amy Adams, on crierait à la conspiration contre les rousses. Mais on préfère se dire que d'ici 2015, tu sauras revenir à la mémoire du dieu Hollywood, pour enfin être saluée par la profession. Car décrocher l'Oscar pour un rôle de magnifique pétasse pathétique qui en rêve, n'est-pas la plus belle des récompenses ?

 

 

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commentaires
Geoffrey Crété - Rédaction
11/03/2019 à 17:30

@Andarioch

Ce n'est pas mon cri, mais comme on sent qu'il vient du coeur (et pas que) pour vous, on valide :)

Andarioch
11/03/2019 à 17:25

Ben alors Geoff! Pas de cri de ralliement de EL.
Pourtant on sent bien que ce ne serait pas forcement anachronique.
Mais tu as raison. ça réduirait la critique à un bête élan priapique (tiens mon correcteur ne connait pas ce mot... Inculte!)
Alors qu'avec Julianne Moore on est sur du tellement plus, du tellement mieux. Le ton est juste et l'hommage approprié. Change rien.
Du coup je vais m'en charger.
Mais c'est juste pour rendre service.
...
Kiki tout dur!