UNE ÉQUIPE DE RÊVE
Dramaturge et scénariste de talent, Molly Smith Metzler réadapte sa propre pièce Elemeno Pea pour Netflix avec Sirens. Quelque part entre satire sociale, comédie de mœurs et humour noir, la série se présentait comme une sorte de version alternative du phénomène White Lotus. Au menu, on retrouve en effet des ultra-riches caricaturés, un cadre idéal et cet esprit sale gosse indéniable. Même le thème musical du générique rappelle les compositions de Cristobal Tapia de Veer pour la série de Mike White.
L’écriture de Molly Smith Metzler parvient cependant à éviter le piège de trop coller à un modèle déjà établi et acclamé. Sirens réussit très rapidement à se créer une identité propre. La série s’avère notamment bien plus méchante et corrosive que White Lotus. Le récit joue sur plusieurs niveaux d’humour, allant de la gêne au cynisme. Sans oublier les gags visuels qui frôlent le burlesque, notamment dans la séquence lors de laquelle le personne de Devon boit l’eau des arroseurs automatiques au beau milieu d’une île paradisiaque.

Il semble impossible de détailler les nombreuses réussites de la série sans évoquer son casting, plus particulièrement son trio d’actrices. Meghann Fahy, Julian Moore et Milly Alcock se complètent à merveille. Elle incarnent parfaitement les subtilités et les extravagances de ces trois protagonistes complexes, parfois détestables mais systématiquement attachantes. Les rôles secondaires sont également irréprochables, avec une mention spéciale pour Kevin Bacon qui a l’air de s’amuser comme un enfant dans le rôle d’un milliardaire désoeuvré en pleine crise existentielle.
La réussite technique de Sirens tient également à son trio de réalisatrices. Molly Smith Metzler est allée chercher des techniciennes compétentes, capables de donner une identité visuelle forte à son œuvre. On retiendra notamment Nicole Kassell (The Leftovers et Watchmen) et Lila Neugebauer (Causeway) qui mettent en scène les épisodes les plus marquants. La série alterne entre esthétique camp, mise en scène plus intimiste façon film Sundance ou encore pastiche des réseaux sociaux et des influenceurs. Très riche visuellement, chaque épisode déborde d’idées de mise en scène.

LUTTE DES CRASSES
La bande-annonce nous promettait un défouloir sur l’obscénité des ultra-riches et le contrat est parfaitement rempli. En ce sens, le premier épisode fait partie de ce qu’on a vu de plus drôle et mordant ces derniers mois. Le ton cru et la méchanceté fonctionnent à merveille. Les dialogues mémorables s’enchaînent à une vitesse folle. Pour n’en citer qu’un, on retiendra la notion hilarante de « La Tourette des riches » théorisée par Devon.
Le propos politique est également énoncé de façon plus subtile. Notamment par l’écart insensé qui se fait ressentir entre Devon, qui incarne parfaitement le point de vue du spectateur, et l’élite qui peuple cette île faussement paradisiaque. D’un côté, une femme qui croule sous les responsabilités et ne peut s’offrir qu’un psychothérapeute par texto, faute de moyens financiers. De l’autre, un monde où l’achat compulsif d’une robe à plusieurs centaines de milliers de dollars ne soulève pas le moindre sourcil épilé.

Une des forces évidentes de Sirens, c’est sa capacité à capter intelligemment toutes les dérives qui flirtent avec le sectarisme new age. Culte de la personnalité, détournement de causes nobles pour faire mousser un égo surdimensionné, spiritualité en carton, féminin sacré et patriarcat faussement bienveillant en prennent pour leur compte. Loin d’enfoncer timidement des portes ouvertes, Molly Smith Metzler préfère les dynamiter sans sommation.
Lors de plusieurs séquences marquantes, qui se déroulent essentiellement de nuit, la série adopte une esthétique quasiment gothique. Le manoir sorti tout droit du rêve humide d’un milliardaire de la tech se transforme en château moderne hanté. Julian Moore, filmée comme un spectre, vient raviver certaines douleurs du passé qui hantent Meghann Fahy. La lutte des classes se transforme alors en possession symbolique. Ou plutôt en dépossession. Sirens semble alors filmer des élites qui, lorsqu’elles ne dépouillent de façon matérielle, s’affairent à récupérer la force mentale des plus faibles pour assoir leur domination.

RESPECT THE BALANCE
Alors que Sirens semble initialement proposer une aventure relativement linéaire, une bascule majeure se produit à l’issue du troisième épisode. De façon surprenante, la série verse alors bien plus du côté du drame intimiste et familial que de la satire sociale. D’un seul coup, tous les thèmes secondaires qui étaient à peine abordés se déploient à l’écran. On parle de charge mentale, de conflits familiaux, de la difficulté à s’occuper d’un proche malade.
Les traumatismes des personnages et la toxicité dont ils sont capables ressurgissent avec bien moins de rires et bien plus de finesse. Lors d’une dispute entre Simone et Devon, les deux sœurs que tout oppose, Sirens développe un propos déchirant sur le besoin de sentir que l’autre va mal pour donner un sens à sa propre vie. Et c’est bien là que la série vient nous bousculer, en nous rappelant qu’au beau milieu de ce théâtre absurde, il y a rien d’autre que des humains égarés qui tentent de survivre.

De façon global, la série s’avère assez prévisible dans ses rebondissements majeurs. On peut lui reprocher également de se disperser avec certaines intrigues secondaires inutilement étirées, notamment avec un paparazzi qui attend littéralement dans une pièce close durant un épisode entier. En revanche, Sirens nous surprend constamment par sa subtilité d’écriture et sa finesse dans le traitement de situations ambigües.
Il y a quelque chose d’assez enthousiasmant à voir la série détruire progressivement tout ce qu’elle avait mis en place lors de ses trois premiers épisodes. La comédie cynique est remplacée par du drame sincère. La critique sociale hilarante est remplacée par l’amertume d’une vision plus fataliste, l’impression désagréable que tout cela n’est qu’un cirque absurde. Et même la partie d’enquête improbable se voit subitement expédiée comme une vulgaire théorie du complot. Cette bascule frustrera sans doute plus d’un spectateur mais il convient de saluer la radicalité et l’intelligence d’un tel geste.
Sirens est disponible sur Netflix depuis le 22 mai 2025.
