Le film-concept : une mécanique malléable

Guillaume Meral | 31 mai 2013
Guillaume Meral | 31 mai 2013

Une standardiste de la police reçoit l'appel passé depuis un téléphone portable d'une adolescente coincée dans le coffre de voiture d'un tueur en série. Va alors s'engager une course contre la montre pour localiser la victime, perdue dans la fourmilière du trafic routier de Los Angeles...A l'affiche ce mercredi dans nos salles, The call, le nouveau film de Brad Anderson (The machinist) fait partie de ces films-concept, dénomination recoupant des pitchs malins circonscrivant le cadre spatio-temporel du récit dans un environnement atypique.

Plébiscités par les studios, ces films se distinguent du tout-venant de la production mainstream pour trois raisons : les faibles coûts de production engendrés par leur postulat, leur propension à drainer des stars reconnues et surtout, leur capacité à attirer l'attention du public sur la seule foi de leur histoire. En effet, alors que les studios se livrent une guerre acharnée à coups de millions de dollars alloués au marketing afin de permettre à leurs métrages de se distinguer dans une conjoncture de sorties en salles pléthorique, l'iconoclasme de son synopsis suffit souvent au film-concept pour engendrer sa visibilité.

Si l'on devait caractériser le film-concept à l'aune des récurrences traversant les œuvres s'insérant dans cette catégorie, on peut avancer qu'il s'agit d'un type de films qui repose sur une dialectique atypique imposée par les propriétés de son cadre spatial (Oxygen, Phone game, Cellular...) ou temporel (Memento, Meurtre en suspens...) , qui permet de dynamiser les codes et figures habituels du genre dans lequel il s'inscrit, le thriller. Or, dans la mesure où questionner un genre à l'aune de ses déclinaisons conduit inévitablement à scruter  ses origines, difficile d'évoquer le thriller sans  revenir vers Alfred Hitchcock, dont le cinéma affirme encore une fois son statut matriciel.

En effet, Hitch peut être tenu à bien des égards pour l'inventeur du film-concept au travers de deux de ses œuvres les plus atypiques : La corde, et son récit déroulé en temps réel, et surtout Fenêtre sur cour, qui pose les jalons structurels du genre. On y retrouve une unité de lieu rigoureusement respectée (l'appartement de James Stewart), un cadre dramaturgique qui impose ses contingences à la narration, et une  dialectique nouée entre l'immobilité de l'un et le mouvement de l'autre (d'où la nature paradoxale du film, et qui rejaillit de façon diffuse sur les films-concept ultérieurs: un huit-clos dans lequel l'intrigue se déroule à l'extérieur). Un concept qui, à l'instar de la plupart des figures de style du maître, va se pérenniser au sein d'une formule dont les variables ne contrarient en rien son schéma narratif. De fait, force est de constater que le jamais-vu des intrigues, souvent vanté à tout-crin durant les promotions comme un gage de qualité par les principaux instigateurs, repose finalement sur des éléments de structures inoxydables.

Ses fondements théoriques, le film-concept les puise donc dans le cinéma d'Hitchcock, probablement pas conscient de mettre au point un squelette appelé à faire autorité lors de la conception de Fenêtre sur cour. D'autant que le genre n'a jamais perdu une occasion de démontrer l'attrait  qu'il exerçait auprès du public, intrigué par le ludisme véhiculé par des dispositifs narratifs contenant en leur sein leurs lots d'émotions fortes. Là est la nature du film-concept aux yeux du public : celle d'une promesse de cinéma assimilable à une attraction, dont la fascination émane de l'incertitude de ses contours. Une dimension qui n'est sans doute pas sans rapports avec la mise en abyme hitchcockienne de la position du spectateur à l'œuvre dans Fenêtre sur cour, qui utilisait précisément son dispositif pour placer le public dans les baskets de L.B Jeffries, dont le statut d'observateur neutre et sécurisé dans ses murs va être progressivement remis en  cause à mesure que son implication dans l'action s'accentue. Un aspect théorique balisé depuis par les variations sur le même thème des thuriféraires du cinéaste (Brian de Palma en premier lieu), et devenu aujourd'hui un code narratif comme un autre, delesté de sa portée transgressive .

La notion d'immobilité renvoyant inconsciemment le spectateur à une phobie façonnée par sa propre expérience de cinéphile ?  Sans doute un des fondements d'une expérience narrative et sensitive telle que Buried, qui pousse le genre dans ses retranchements conceptuels en ne quittant jamais le cercueil dans lequel est enfermé Ryan Reynolds (même si ce dernier conserve un lien avec l'extérieur via le téléphone portable. Toujours la dialectique entre le mobile et l'immobile, l'extérieur et l'intérieur). Un pitch aux jalons posés par Oxygen de Richard Shepard, avec son inspectrice de police confrontée à un psychopathe ayant kidnappé et enterré une femme à qui il n'a laissé que quelques heures d'oxygène.

Cependant, c'est peut-être Phone game qui se montre le plus conscient de l'héritage hitchcockien dans son récit, dans la mesure où son héros, immobilisé dans la lunette du viseur du sniper le tenant en joue, finit également par être observé par les badauds rameutés par les médias au courant de l'affaire. Le spectacle de sa mise à nue émotionnelle se trouve de fait offert au public par les médias, l'espace privé procuré par la cabine téléphonique n'étant plus qu'un lointain souvenir à mesure que celle-ci se transforme en théâtre de l'intime accessible à tous. Une filiation à Hitch dans le thème, sans doute à mettre au crédit du scénariste  Larry Cohen au scénario, vieux routard de la série B auteur de quelques pépites du cinéma d'exploitation (Meurtre sous contrôle). Celui-ci tentera de réitérer  avec Cellular, sorte de roller-coaster roublard évacuant les possibilités de son concept  sur l'autel d'une dramaturgie de l'effet joyeusement mongolo. Un exemple qui ne saurait toutefois figer le film-concept dans le cadre rigide du thriller minimaliste, si tant est que la migration de ses virtualités vers d'autres horizons se concilie avec les codes du genre abordé.

Ainsi en est-il de Speed de Jan De Bont, dont l'argument adapte avec un certain succès l'immobilisme du film-concept avec l'impératif du mouvement inhérent au film d'action (les personnages contraints de rester dans un bus explosant s'il descend en dessous d'une certaine limite de vitesse). Il sera d'ailleurs édifiant de constater la façon dont Alfonso Cuaron s'est démené de ce paradoxe avec son imminent Gravity, et son personnage dérivant dans l'espace sans maitrise sur sa trajectoire (sans doute l'une des œuvres les plus excitantes de l'année rappelons le... Ainsi que la promesse d'une révolution visuelle qui risque de traumatiser nos rétines... Oui, j'utilise l'espace dont je dispose pour faire du lobbying hardcore, m'en fous).

Il y a quelque chose de profondément ludique dont le cadre dramaturgique épuré du film - concept, comme si le grand-huit esquissé par l'ébauche de ses mécaniques narratives justifiait à lui-seul le déplacement. Toutefois, une fois la mise en place effectuée, c'est souvent la trajectoire émotionnelle et le parcours effectué par les personnages qui vont permettre au récit de ne pas se borner au seul atypisme de son procédé, et tomber dans les travers du film dit de « petit-malin ».

La saga Saw en constitue un bon exemple : alors que le premier parvenait à ménager avec plus ou moins de bonheur l'exploitation jusqu'au-boutiste de son concept avec l'évolution de ses protagonistes, ses suites n'ont eu de cesse de capitaliser jusqu'à la putasserie les ressorts conceptuels mis au point par le duo Wan /Whannell (on passera poliment sur les Paranormal activity). Ainsi, c'est bien souvent lorsque le film-concept élève sa mécanique pour pousser ses héros à l'introspection que le genre transcende ses aspérités purement triviales.

C'est sans doute la raison pour laquelle des acteurs relativement côtés s'embarquent dans l'aventure du high-concept, le défi représenté par la traversée de différentes strates émotionnelles, le tout dans un cadre resserré autour de leur seule présence, représentant un bon moyen d'asseoir leur crédibilité dans le milieu. Le respect gagné par Ryan Reynolds avec Buried en constitue un exemple éloquent, à plus forte raison que le film de Rodrigo Cortés constitue sans doute un modèle du genre dans sa construction narrative. De même, le Memento de Christopher Nolan, et son récit qui commence par la fin pour indexer son point de vue sur celui de son héros qui perd la mémoire toutes les  15 minutes, se mue progressivement en portrait poignant d'un homme condamné à vivre avec le souvenir horrible et constamment rafraîchi de la mort de sa femme.

Plébiscité pour ses élans iconoclastes, le film-concept constitue donc une catégorie plus homogène qu'elle n'y paraît, et incarne par certains aspects une forme d'épure du genre resserée autour de son postulat narratif. Toutefois, comme le prouve ses réussites les plus éclatantes, le film-concept n'atteint jamais sa quintessence que lorsqu'il place sa machinerie au service du parcours de ses personnages. Une catégorie qui n'induit donc aucun déterminisme vis-à-vis de sa portée émotionelle. N'est un petit malin que celui qui le désire.

 

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