Joe Dante, l'homme qui aime le cinéma

Jonathan Deladerriere | 25 mars 2011
Jonathan Deladerriere | 25 mars 2011

28 novembre 1946, Morristown, New Jersey. Joe Dante vient au monde. Fils de golfeur, il préfère les dessins animés projetés en première partie aux films eux-mêmes. Du moins jusqu'à la vision du Météore de la nuit de Jack Arnold. Fasciné par la science-fiction des années 50, Dante vit un choc qui se répercutera tout au long de son œuvre. Les Monstres attaquent la ville de Gordon Douglas en 1954, Planète interdite de Fred McLeod Wilcox en 1956, tels sont les films de chevet du réalisateur.


Devenu cinéphage et adorateur de la Hammer ou de la firme American International Pictures, Dante n'attend qu'une chose : les doubles programmes du samedi après-midi auxquels il rendra souvent hommage. De Tex Avery à la revue Mad, le chemin était tout tracé pour sa première publication dans le journal Famous Monsters of Filmland, traitant essentiellement du cinéma horrifique. Les films de monstres des années 30/40 étant son péché mignon, il leur rendra hommage durant les Movie Orgy de l'université de Philadelphie dont la programmation lui était confiée. Tout naturellement et par l'intermédiaire de Jon Davison, il se retrouve à concevoir les bandes-annonces des films du célèbre Roger Corman. La réalisation finira donc logiquement par poindre le bout de son nez. Rencontre avec un passionné.

 

 

 



Début de séance



Hollywood Boulevard : le début de l'aventure

Candy Hope débarque à Los Angeles pour devenir actrice. D'un intellect plutôt limité, la jolie Candy se fait d'abord escroquer : pensant tourner dans un film, elle sert de chauffeur à des gangsters durant l'attaque d'une banque. Une fois rechapée de cette mésaventure, son fantasque agent Walter Paisley, dénicheur de talents pour le compte de la Miracle Pictures, la met en relation avec P.G., producteur de films à petit budget.

Ce film plutôt anecdotique doit surtout être considéré eu égard à son postulat de départ : réaliser le film le moins cher de la New World. Avec un budget de 60 000 dollars, 10 jours de tournage et un ton versant plutôt dans la comédie vite oubliée, Dante en compétition avec un autre aspirant réalisateur : Allan Arkush, vit sa première expérience de réalisateur de long-métrage.

 


Piranhas : le rendez-vous manqué

Une nouvelle espèce de piranhas créée par l'armée, capable de vivre en eau douce et en eau salée, est accidentellement relâchée dans un fleuve durant l'été. Le carnage commence...

1976. Sorti pendant une grève et donc passé totalement inaperçu, Piranhas, qui subit également de nombreux remontages, se voulait au départ une leçon de suggestion de l'horreur. Malgré la présence de la légendaire Barbara Steele, Dante avoue lui-même que le rôle, lui aussi, était bien loin d'être un cadeau. Celui-ci était prévu pour un homme, et Mme Steele, elle, se voulait productrice. Grâce à un budget cette fois multiplié par 10 et lorgnant de façon on ne peut plus explicite du côté des Dents de la mer, Dante réussit à livrer un bon plagiat aidé notamment par les effets spéciaux de Phil Tippet et Rob Bottin.

Suivit Rock'nroll High School, trois ans plus tard et des retrouvailles avec Arkush pour un film à l'ambiance rétro pas forcément inoubliable.

 


Hurlements ou le Lycanthrope modernisé

Karen White, une présentatrice télé, fait une pause dans sa carrière à la suite d'un incident traumatisant avec un tueur en série. Sur les conseils du docteur Waggner, elle rejoint la « Colonie », un centre de repos peuplé d'énergumènes en tout genre. Ses cauchemars lui rappellent sa rencontre avec le tueur... jusqu'à ce que celui-ci réapparaisse à la pleine lune et attaque les résidents de la Colonie.

Dans Hurlements Dante désire réaliser une sorte de slasher affranchi de références historiques. Ce film sera celui de la révélation. Rob Bottin y fait des merveilles et Dante réalise peut être le meilleur film de loup garou de l'histoire en concurrence avec Wolfen et Le Loup-garou de Londres. Sorti en 1981, doté d'un budget d'1 million de dollars, et s'inspirant de l'ouvrage de Gary Brandner, Dante se permet même quelques caprices en nommant certains personnages de noms de cinéastes ayant réalisés des films de loups-garous ! Le film est impressionnant de maîtrise, des transformations au climax, de la bande originale à la photographie, et l'on est aujourd'hui encore, troublé par ce bijou.



La Neuvième dimension ou la confusion du réel

Un homme d'affaires raciste se retrouve poursuivi par des nazis dans la France occupée. Dans un hospice, un homme fait revivre leur enfance à des vieillards. Pour recréer un monde issu de son imagination, un jeune garçon utilise de mystérieux pouvoirs. Un homme fait d'étranges cauchemars quand il prend l'avion...

Première collaboration avec Steven Spielberg, Twilight Zone : le film, oscille souvent entre cartoon et sérieux de l'entreprise. Joe Dante y réalise le troisième segment ainsi que l'épilogue. Sachez qu'il y retrouva des noms aussi prestigieux que ceux de Georges Miller ou John Landis. Tourné en 1983, il y retournera deux ans plus tard pour les épisodes couleurs de la célèbre série en compagnie de Wes Craven, John Milius ou William Friedkin !

 



Gremlins: les chefs d'œuvre


Rand Peltzer offre à son fils Billy un étrange animal : un mogwai. Son ancien propriétaire l'a bien mis en garde : il ne faut pas l'exposer à la lumière, lui éviter tout contact avec l'eau, et surtout, surtout ne jamais le nourrir après minuit. Sinon...
 
À l'origine, le film le plus interactif de l'histoire du septième art devait non seulement compter une pellicule brûlée à l'écran, mais aussi des marionnettes dans la salle elle-même !
Une fois de plus, ces thématiques d'entremêlement du réel et de l'imaginaire chères au cinéaste ont failli repousser les limites du cinéma de genre mais la frilosité des producteurs mit un terme à « l'attraction ». Ici, Chris Columbus se base sur une vieille légende urbaine et confie le scénario à Steven Spielberg qui, privilégiant le coté subversif à la violence, préféra le transmettre à Dante.

Le film est donc devenu une sorte de parallèle avec les divertissements familiaux américains comme les métrages de Capra par exemple. L'œuvre traite des sujets chers à Dante : la perte de l'innocence, la désillusion, les idéaux bafoués ou l'injustice. Les Gremlins sont des métaphores de l'enfance et Billy trop immature, renvoie lui, au rôle du père. Celui du patriarche responsable tenu par le vieil asiatique est à ce titre une merveille de personnification explicite.

Mêlant à la fois mises à mort « toonesque » (on pense souvent à Bip Bip et Coyote), niveaux de lectures en strates selon l'âge du spectateur et déchaînement d'énergie bienfaitrice, le film devient vite l'un des tous meilleurs divertissements grand public de l'histoire.

La suite, sortie six longues années plus tard est un majeur bien tendu à l'attention d'Hollywood. Sans aucune retenue, Dante se fait plaisir et livre un film d'une maturité et d'une intelligence inattendue. Depuis, le cinéaste ne s'est jamais caché de sa préférence pour cette suite, bien plus proche de sa personnalité.

 

 

Budgété tout de même à 50 millions de dollars, Gremlins 2 verse beaucoup plus dans la gaudriole, sans pour autant prendre le spectateur pour un parfait imbécile. Film d'action tourné avec des marionnettes, les références au septième art se font multiples et plus ou moins bien distillées. On retiendra un vrai plaisir de cinéma familial, souvent subversif, parfois potache mais universellement apprécié.

1985. Après le succès des petits monstres à ne pas nourrir après minuit, Dante est en odeur de sainteté au pays de l'Oncle Sam. C'est donc logiquement qu'il se voit confier un nouveau projet : Batman. Le réalisateur décline. Mauvaise idée puisqu'à la place, il s'occupera du projet Explorers. Dépossédé de son film avant la fin du montage par la Paramount, le film à la thématique pourtant parfaitement calibré aux affects du cinéaste (des enfants rêvent d'exploration spatiale) sera un échec.

La même année, il tourne des épisodes de la série Amazing Stories pour la télévision et pour lesquels il n'a que peu d'affection si ce n'est toutefois l'occasion de retrouver l'esprit films à sketch si cher à cet amoureux inconditionnel de The Twilight Zone.

 

L'Aventure intérieure : avec un grand A !

Son  retour se fait en 1987 avec L'Aventure intérieure. Encore un film où l'improvisation tient une place prépondérante. Par ces acteurs se parlant via une oreillette savamment dissimulée ou regardant le jeu de leur interlocuteur sur moniteur, le film se tourne comme un stand up à deux, comme un duo d'équilibristes qui finira par convaincre des producteurs hésitants. Ils avaient malheureusement raison puisque malgré un casting haut de gamme et sans attaquer la qualité du long-métrage,  la promotion calamiteuse entraînera le film vers un bide retentissant. Dante commence à être persona non grata.

L'année suivante, le cinéaste marque le pas avec Cheeseburger film sandwich, film à sketch dont le titre fait ouvertement référence à un autre long-métrage qui inspira fortement les comiques français Les Nuls : Hamburger Film Sandwich.

 

 

The Burbs : l'inénarrable

Tourné cette fois durant une seconde grève de scénaristes (en 1989), le réalisateur fut contraint de  filmer les scènes des Banlieusards par ordre chronologique. Ainsi, les nombreuses improvisations que l'on aperçoit à l'écran trahissent souvent un manque de matière des personnages. La fin du métrage fut-elle, également modifiée : dans le script original, Tom Hanks devait décéder, mais la visualisation imaginaire des exactions des voisins se voulant plus horrible encore que ce qui pouvait être montré à l'écran, l'épilogue fut modifié. Vendu en catimini, le film mêle pourtant avec savoir-faire, réflexion sociale et déferlement anarchique, paranoïa ambiante ou clins d'œil à répétition. Il reste en l'état un divertissement efficace.



Panic sur Florida Beach : sea, sex et sang !

Assurément l'un des films les plus personnels du réalisateur. On y retrouve les propres figurines et dessins de Dante, comme à l'époque où il tournait seul en 8mm et faisait sa propre postsynchronisation. On peut d'ailleurs voir ses travaux d'époque sur son site : trailersfromhell.com, où  il y commente ses vieilles bandes.

Nous sommes maintenant en 1993 et Dante préfère revenir vers un cinéma plus intimiste. Il met beaucoup de lui-même dans cette adaptation et rend une copie qui parle de cinéma, pour les amoureux du cinéma, tout simplement. L'échec du film sera très douloureux pour le cinéaste.


Runaway Daughters
permet ensuite à Dante de prendre du bon temps derrière la caméra et de retrouver quelques potes. Téléfilm remakant de vieilles productions de l'AIP, le film adopte un ton âpre et frontal assez inhabituel chez le réalisateur. Les expériences malheureuses commencent peut être à laisser des traces...



Suivra La seconde guerre de sécession, autre téléfilm au ton encore plus incisif : Aux Etats-Unis dans un futur proche, le gouverneur de l'Idaho refuse l'asile politique à un charter d'orphelins rescapés d'une guerre nucléaire entre l'Inde et le Pakistan. L'Idaho appelle à l'indépendance et les milices locales se préparent à affronter l'armée fédérale.

Joe Dante commence à montrer les crocs et, tout en rendant hommage à l'immense Dr Folamour, livre une critique acerbe du nationalisme et de l'industrie des médias. Joe is back !

 

 

 

Small Soldiers: c'est l'heure de jouer !

Nouveau bide commercial pour Dante en 1998 à la sortie de Small Soldiers. Celui-ci ne put s'empêcher de transgresser le produit marqueté prévu à l'origine et livra un produit hybride, mélange de nombre de ses longs-métrages, caprice de réalisateur (les voix sont doublées par les acteurs des Douze salopards ou de Spinal Tap !) et propos parfois redondant. Le métrage n'est en effet pas aussi bon qu'espéré et la déception un peu de mise. Le cinéaste reconnaîtra notamment avoir raté l'attaque finale dans la maison.


 
Les Looney Toons : enfin le projet d'une vie ?


Bugs Bunny travaille avec son collègue Daffy Duck pour la Warner. Mais le canard décide de partir, ne supportant plus le traitement de faveur réservé au lapin. Il est bientôt rejoint par D.J. Drake, un vigile apprenti cascadeur licencié le même jour. Ce dernier découvre au même moment que son père disparu, ancienne star de cinéma, était un agent secret à la recherche du mythique Diamant du Singe Bleu et kidnappé par le sombre Mr. Chairman. D.J. décide de reprendre la quête de son illustre paternel et de retrouver sa trace, aidé par Daffy.

5 ans d'absence suffiront-ils à Dante pour canaliser ses ardeurs ? La réponse est claire : non. Le film s'en prend aux studios et, surprise, ne rapporte pas un centime. Difficile à avaler pour un film qui a coûté 80 millions de dollars !

Un film où l'on croise Robby de Planète interdite, Le Cerveau de la planète Arous ou un mutant des Survivants de l'infini en se basant sur les personnages de Chuck Jones ne peut être qu'un film mûri par un amoureux du septième art. Dans cet anti Space jam, le réalisateur effectue un véritable acte d'amour envers l'ancien rendez-vous télé des têtes blondes. Mais le film a connu bien trop de problèmes pour en sortir indemne. Ici, on citera entre autres désidératas, pas moins de 26 personnes ayant travaillé au scénario, de grosses coupes opérées par le studio, une coopération trop intensive avec le directeur de l'animation, un réalisateur à la fois directeur d'acteur et monteur ou enfin un tournage de 6 mois pour un an de postproduction...

En découle un enthousiasme bien entamé pour un réalisateur qui avoue lui-même qu'il ne réitèrerait pas l'expérience. Sa passion du storyboard et du cadrage lui venant de la BD, Dante voulut avec ce film lui rendre hommage. Mais les projets les plus intimes ne sont pas forcément les plus aboutis.

Le réalisateur erre à cette époque dans des projets sans envergure. Il réalise des épisodes et pilotes de séries télé comme Picture Windows, Night Visions ou Warlord : Battle for the Galaxy. Travaux classés sans suite, ceux-ci le condamnèrent même à des courts-métrages destinés à des parcs d'attractions.

 



Salvateurs Masters of Horror

L'inégale mais parfois géniale série de Mick Garris semble s'être spécialisée dans la réhabilitation d'anciennes gloires du fantastique.


Vote ou crève

Après qu'un conseiller en communication de la Maison Blanche ait regretté lors d'une interview télévisée que des soldats américains morts au combat ne puissent pas affirmer que la cause du conflit était juste, ces derniers sortent de terre pour restaurer leur dignité bafouée en allant voter contre le pouvoir en place... 

Poing levé face à l'administration Bush et la guerre en Irak, critiquant les mensonges et la complicité de certains médias, Dante n'a rien perdu de sa verve et évoque autant les élections truquées que les scandales de Guantanamo. Joe Dante truffe son segment de clins d'œil à Tourneur ou Romero. Il réalisera pour la seconde saison Guerre des sexes, au rythme inégal et retombant comme un soufflet. Ici L'horrifique entame se dilue peu à peu et accouche d'un climax sans saveur.

En 2006 avec Trapped Ashes, coproduction américano-japonaise restée inédite chez nous, Dante tente une incursion dans une série de films à sketch horrifique sans gloire. Sempiternelle critique Hollywoodienne commençant à sentir le réchauffé, l'intransigeance artistique de Dante lui coûte les projets qu'il mérite.



Dante-Goldsmith : des visions au diapason
   
Comme à son habitude, Dante s'entoure des meilleurs et surtout de gens de confiance, le suivant film après film. Ces assistants récurrents sont la marque de fabrique d'un travailleur honnête et fidèle. D' Amazing Stories à The Burbs, de Gremlins à Explorers, la collaboration de ces deux monstres du cinéma parvint à nous donner quelques compositions sachant mêler avec brio comédie et émotion pure. Energique, révérencieuse dans le bon sens du terme et souvent originale dans l'emploi de certains bruitages (aboiements etc.), la musique atteint sa raison d'être : conduire vers la perfection les images qu'elle illustre.

 

 

Les clins d'œil

Gizmo s'extasiant devant La Guerre des mondes, le caméo de Chuck Jones, le titre provisoire de La chose d'un autre monde sur la façade d'un multiplexe... Le cinéma de Dante regorge de petits hommages sincères. Dans Panic sur Florida Beach, le concept du double programme est une nouvelle référence déguisée. On pourrait étudier les films ad vitam aeternam car pour un homme qui hait les projections-test, Dante fait pourtant souvent appel à la salle de cinéma comme endroit privilégié. Il se plait ainsi régulièrement à placer des œuvres dans le contexte cinématographique de leur époque. Mais il arrive parfois que ceux-ci ratent le coche, à l'image de ce Roger Corman cherchant indéfiniment de la monnaie dans une cabine, ralentissant grandement l'intrigue de Hurlements.

Le cinéma de Dante s‘illustre parfaitement avec une scène se déroulant dans les salles obscures. Une mère tente d'empêcher son fils d'assister à une projection mais celui-ci parvient à se cacher sous les sièges et ce, jusqu'à la fin du programme, sous les yeux du réalisateur lui-même. Une horreur saine, une frayeur fantaisiste, une épouvante salvatrice partagée avec ses spectateurs... Appelez ça comme vous voulez, c'est en tout cas du très bon cinéma. Un cinéma qui, avant la sortie de son projet The Hole en 3D,  toujours inédit chez nous,  laisse le réalisateur perplexe.

 

Dans le livre : Joe Dante et les Gremlins d'Hollywood, celui-ci explique : «  Dans les années cinquante, on encourageait les enfants à prendre l'habitude d'aller au cinéma. Ils se construisaient une expérience collective, ils avaient peur ensemble (...) Maintenant il y a Disney et le reste, et les gosses de huit ans vont voir Sexe Intentions. Je ne vois pas lequel d'entre eux aurait plus tard envie de faire des films pour d'autres raisons que d'être célèbres et baiser. »

 

Le constat est dur mais pas aussi cynique qu'il n'y parait et dresse un constat lucide : l'industrie des rêves n'est plus... Heureusement, pour ça, il nous reste Joe Dante.

 

Tout savoir sur Joe Dante

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