Top horreur n°10 : Massacre à la tronçonneuse

Florent Kretz | 21 octobre 2009
Florent Kretz | 21 octobre 2009

Pour fêter le mois d'Halloween, la rédaction d'Ecran Large a pris son courage à deux mains et s'est lancée dans l'impossible : élire ses 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma. Pour être le plus rigoureux possible, des règles ont été établies comme celle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste dans le classement final (sauf une exception mais chut on vous expliquera à la fin du mois pourquoi). 12 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 40 films préférés. A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'à la fameuse nuit d'Halloween qui révèlera le numéro 1 de la rédaction. Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma d'horreur. 

 

10 - Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper

 

Laurent Pécha

Une expérience éprouvante et physiquement difficilement supportable. LE cauchemar éveillé absolu.

Didier Verdurand :

Un monument du genre dont on parlera encore après notre mort. Et dire que l’histoire est inspirée de faits réels… 

Patrick Antona :

Poisseux et stressant, le film de Tobe Hooper demeure un des sommets de la série B horrifique qui a permis l’émergence de toute une génération de nouveaux cinéastes et générer de nombreuses vocations. 

 

A ce niveau de la sélection, il n'est pas rare de découvrir quelques métrages qui mériteraient amplement d'obtenir la première place. Massacre à la tronçonneuse est de ceux-là. D'ailleurs, le calvaire filmique de Tobe Hooper est de loin bien au dessus du lot, étant même un sérieux prétendant à une toute autre catégorie: celle des véritables Œuvres, des pièces d'Art, des morceaux de bravoure... Plus encore qu'un film d'horreur, bien plus qu'un élan génial de créativité, le chef d'œuvre de Hooper s'empare de toutes notions pour les transcender et les dynamiter. Mise en scène, technique, narration, social, concept d'abstraction et de démonstration (...): tout y passe et se réinvente, Massacre à la tronçonneuse se faisant réceptacle des fantasmes et des dégouts, des délectations ou des cauchemars, chacun y voyant en fait ce qu'il y souhaite. Pas étonnant alors que le Musée d'Arts Modernes de New-York se soit empresser de racheter le négatif original, trop conscient d'être face à une œuvre majeure des années 70! 

Une pièce ultime et légendaire qui, bien que se suffisant totalement à elle-même, se verra dépasser par la réalité: totalement prohibée dans un nombre considérable de pays, interdite, censurée, coupée, plus encore que le film lui-même ce sont son aura et ce qu'il représente qui dérangeront. Maudit ou culte, Massacre à la tronçonneuse laissera planer son ombre pendant des années sur les milieux créatifs et artistiques, n'ayant jamais été surpassé ou même égalé. Une réputation et une richesse qui ne donneront à quiconque aucun répit et qui ne se montreront jamais clémentes ou bénéfiques envers l'initiateur du projet. Comme tout monument qui se respecte, sa sulfureuse gloire sera suivie d'une descente aux enfers sidérantes, le poids du génie étant bien trop souvent un fardeau. Car en ouvrant véritablement la voie à un cinéma de genre indépendant, roublard et teigneux (déjà bien lancé avec La nuit des morts vivants de Romero ou La dernière maison sur la gauche de Craven), Hooper ne saura jamais réellement rebondir et ainsi prolonger l'essai...

Mais qu'y-a-t-il réellement dans Massacre à la tronçonneuse pour se voir ainsi célébrer inlassablement? Qu'a bien pu commettre Tobe Hooper pour susciter autant d'adulation et de mépris? Difficile à évoquer tant son film s'aborde subjectivement... D'autant plus que dès les premières projections en 1974, le film posera véritablement problème. « Vicieux tas de merde » pour le réputé critique Stephen Koch tandis que son confrère Roger Ebert rappelait la virtuosité du film à s'extirper du carcan que représente un genre et ses conventions, « bien au dessus de tout ce qui avait été fait» pour Variety mais interdit en France sous la présidence de Giscard d'Estaing, personne (ou peu) ne semble être à même d'appréhender l'impressionnante complexité du métrage. Et même s'il se gratifie de lignes directrices rassurantes et facilitant son approche (la dimension sociale, le statut de film de genre, l'aspect Grand Guignol...), Massacre à la tronçonneuse reste une expérience viscérale redoutable, un voyage dans les nerfs du chaos et une invitation à la démence pure. Une folie qu'aucun texte ne pourra jamais rapporter, l'horreur naissant autant de la Bête que de son absence...

A l'époque, Hooper rumine sacrément: cinéphile acharné ayant passé sa jeunesse dans les salles de cinéma, responsable du département audiovisuel de l'université du Texas et papa de quelques courts métrages expérimentaux (Eggshells en 69), il ne parvient pas à passer à l'acte, ses dernières prouesses cinématographiques s'apparentant à de véritables blagues (la captation d'un concert de Peter, John et Mary en 71). Gagnant approximativement sa vie en bouclant quelques taches qu'il juge ingrates (films d'entreprises, spots pub...), il décide de cracher sa haine et sa colère une bonne fois pour toute: complètement dépité par sa situation, terrifié par l'horreur du Vietnam et en pleine désillusion quand aux utopies hippies, il rédige avec son ami Kim Henkel le script de Headcheese. Histoire d'horreur s'inspirant des macabres coutumes du serial killer Ed Gein, Hooper l'enrichit de détails bien à lui, à commencer par l'arme du crime -la fameuse tronçonneuse- outil qu'il fantasme comme objet salvateur un jour de sur affluence dans un grand magasin!

Narrant les aventures d'un groupe de jeunes baba-cools en virée croisant la route d'une famille de bouchers cannibales au chômage, Hooper, conscient de l'impossibilité de monter un film sans boite de production, décide de mettre la main à la patte et s'investit corps et âmes dans l'entreprise. Recrutant quelques unes de ses connaissances qui s'improvisent dans divers rôles de l'équipe technique, le réalisateur parvient à obtenir un soutien financier de Bryantson pictures, petite société affiliée à la mafia et ayant percée grâce  à l'extraordinaire rentabilité du renommé Gorge profonde. Avec un budget de 60000 dollars, le tournage est donc réparti sur les deux dernières semaines de juillet 1973. Débauchant des comédiens prêts à tout pour percer, il offre à un de ses collègues, Gunnar Hansen, le rôle de Leatherface, psychopathe possédant la fâcheuse habitude de se grimer du visage de ses victimes. Avec pour seule préparation quelques semaines dans un hôpital psychiatrique où il s'inspire des pulsions des patients , Hansen s'apprête à entrer dans la légende.

Tout comme Marilyn Burns d'ailleurs, jeune actrice qu'Hooper souhaite suffisamment forte pour subir les supplices du film mais surtout du tournage! Car soucieux de repousser les limites du faisable et de l'acceptable, le jeune metteur en scène déploie une énergie folle à persécuter l'ensemble de son équipe, certain que la hargne ambiante finira bien par suinter sur la pellicule. Et cela ne manque pas, Hooper ne laissant aucune place au hasard: s'il travaille à ce que son image soit petit à petit contaminée par la saleté locale et ainsi imprégnée par la crasse et la rage nauséeuse, il s'acharne littéralement à faire surgir l'horreur au sein même du plateau. Encourageant Robert Burns, son chef décorateur, à innover toujours un peu plus (ils commandent de véritables squelettes en Inde pour des questions de rentabilité et de crédibilité), il l'invite même à aller se procurer des dépouilles de bovins fraiches pour en utiliser les entrailles. En résulte un impressionnant décors établit dans la partie d'une maison louée à quelques autochtones présents en permanence sur les lieux du tournage. Un décors mais aussi une ambiance, la chaleur texane faisant remonter les effluves écœurantes s'échappant des vieilles carnes...

Mais Hooper ne lâche rien et pousse même le vice encore plus loin: à la requête d'un des comédiens devant porté un imposant maquillage (John Dugan) et souhaitant que l'on fasse les prises au plus vite, le réalisateur se met en tête de filmer toutes ses prises d'une traite! D'où 36 heures de tournage dont les seules interruptions seront les gerbes de l'équipe ou les allers et venues à l'hôpital. Car la folie approche a grand pas! Ainsi, par exemple, pour éviter la mise en place d'effets spéciaux, Gunnar Hansen coupe réellement le doigt de Marilyn Burns! Tout comme Hooper qui, ne trouvant pas la défenestration d'une cascadeuse crédible, pousse sa comédienne du premier étage! Ou encore, une accessoiriste qui, injectant du formol dans les aliments d'un plan, loupera son coup et s'enverra la dose directement dans la cuisse! Autant d'anecdotes improbables et délirantes qui offrent un peu de leur monstruosité à la puanteur du film...

Elles sont légions ces histoires! Car le tournage ne s'arrêtera pas là, deux semaines de calvaire s'ajoutant inévitablement au planning un peu trop serré. Que ce soit Paul A. Partain, interprète de l'handicapé Franklin, qui est interdit de quitter son fauteuil roulant entre les prises ou Hansen qui n'aura pour costume qu'une seule chemise empestant la sueur et que Hooper refuse que l'on nettoie... Ou encore ces séquences de poursuites nocturnes durant lesquelles aucun soin n'est apporté à la jeune femme lorsqu'elle s'écorche... Une véritable folie qui, comme prévu, s'étale littéralement sur le support argentique. Révulsant et fétide au possible, Massacre à la tronçonneuse offre une image faisandée qu'Hooper abime encore plus: il gonfle sa pellicule du 16mm au 35mm, augmentant ainsi le grain. Et lorsque son film sera présenté pour la première fois lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en mai 1974, il préparera une petite surprise au public: grimpant dans la cabine de projection, il boostera le volume saturant ainsi sa bande conçue d'après les bruits d'un abattoir. Ainsi le scandale naîtra...

Inaccessible durant des années, il fera les grandes heures, en France, de René Château qui parviendra à le distribuer après pas moins de cinq ans d'interdiction. Là, les spectateurs découvriront le spectacle alarmant d'une Amérique se dévorant, d'un pays se tuméfiant au risque d'exploser... Coup de gueule magistral, appel au secours tonitruant des oubliés de l'Oncle Sam ou dénonciation virulente du carnage mondial, Massacre à la tronçonneuse restera pourtant, pour l'inconscient collectif, qu'une aberration filmique prônant la violence sous quelques déluges gores... Mais à tort puisque le sang ne sera, d'une part, que très peu présent à l'image et que, finalement, on parlera beaucoup plus du film qu'on ne le verra... C'est ça, en fait, la magie de Massacre à la tronçonneuse: avoir incarné durant une heure vingt le seul et véritable cauchemar éveillé... Nous!

Florent Kretz 


 

 

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