Festival des scénaristes 2009 : De Pascale Ferran à Jean Gruault

Marjolaine Gout | 3 juin 2009
Marjolaine Gout | 3 juin 2009

Festival International des Scénaristes

 

Le gratin de Bourges en rangd'oignons s'enfourne dans le théâtre Jacques Cœur. Après un long jeu de siègemusical à essayer le strapontin voisin, au cas où celui-ci serait davantagemoelleux que celui de gauche, la salle comble, bavassant alors à haut volume,se cristallise dans un silence. L'ouverture du festival international desscénaristes va être déclarée. Tour à tour, se succèdent au lutrin maire, viceprésident du conseil général du Cher et autres farfadets des coursives administratives. Pascale Ferran, l'invitéed'honneur de ce festival et à l'occasion lauréate de la meilleure agitatrice dela cérémonie des Césars,  est enfinprésentée avant de subir un interrogatoire public marquant le démarrage de la12ème ère du festival.

Du 25 au 29 mars 2009, Bourgescélébrait le coup d'envoi de ses festivités avec son premier festival de lasaison celui des scénaristes. Alors que bardes, aboyeurs, ménestrels et voix decrécelle allaient emplir sous peu la ville de leurs incantations musicales, letraditionnel marathon de 48 heures, celui des escrimeurs de l'imaginaire, setint. L'occasion pour Ecranlarge de se faufiler pour contempler la futureconcurrence à occire. C'est que dans nos archives, scénarios oscarisables à foisonnous avons ! Bref, le grand gagnant de cette édition, anéantissant les 25concurrents, fut Brice Ormain pour Le Palais de Juno. D'autresprix récompensèrent Agnès Holo, Sébastien Lefebvre, Laetitia Castellano, DavidD'Aquaro et Jonathan Lennuyeux.

En annexe du concours, laprogrammation du festival fut une nouvelle fois palpitante avec des rencontreset séminaires constructifs et divertissants. Jean Gruault, trublion et têted'affiche incontestable, convié à la demande de Mrs Ferran, nous enchanta.  Avec une diction digne de Cyrano, panachéed'un brin de Tarantino et diaprée à la sauce Audiard, Jean Gruault se révélaêtre aussi captivant qu'un Bogard ensorcelant Bacall. C'est donc avec brio,véracité, humour et un soupçon de vitriol qu'il nous fit partager ses récitsexquis en brossant, deci - delà, ses amis réalisateurs pour lesquels il prêtasa plume. Autres moments délectables de ce festival, Pascale Ferran avait éludomicile au Théâtre Jacques Cœur pour la projection de ses films et pas moinsde trois séminaires. Jean-Claude Petit, la musique derrière Cyrano deBergerac, Manon des Sources...nous berça de sescompositions au piano et l'avant-première de la série sur l'occupation, UnVillage Français, eut lieu, sans blocus.

Bref, sans ajouter d'élucubrations,voici un résumé des quatre événements de ce festival.

 

Pascale Ferran

Invitée d'honneur

Derrière ce petit bout de femme,à la toison grisonnante, se cache une répartie fulgurante, un savoir et unedémarche singulière. Rescapée des émissions de Guy Lux, en réussissant l'exploitde ne jamais être virée, Pascale Ferran, femme orchestre, a su cultiver unepolyvalence après avoir écumé l'artillerie complète des métiers del'audiovisuel. Depuis, cinéaste aguerrie, elle croule sous les récompenses.

Passionnée de cinéma et delittérature aux goûts éclectiques, elle les intègre dans ses films et nous y retranscritcette curiosité débordante qui l'anime et son intérêt pour l'humain. Elle s'estainsi imposée dans le paysage cinématographique en élaborant consciencieusementses scénarios et ponctuant ses films de gros plans fixes, vecteurs d'unenarration subtile. Le Baiser, Petitsarrangements avec les morts, L'âge des possibles, 4jours à Ocoee ou encore ses deux versions de Lady Chatterley attestentd'un parcours insolite et renouvelé au fil de rencontres ou de lectures.

Pascale Ferran s'est donc prêtéedurant ce festival des scénaristes à expliquer son travail. On retientnotamment ses commentaires sur son travail d'adaptation d'une œuvre à l'écran, sursa démarche en tant que scénariste et cinéaste ou encore sur son intérêt àcapturer la sexualité en dehors d'un protocole de voyeurisme dans les films de LadyChatterley. Passant de Peau D'âne, son film de jeunesse, à lasérie Six Feet Under ou de Deleuze à Jean Gruault, ces séminairesfurent loin d'être soporifiques, décortiquant et s'attardant sur des œuvres etdes aspects divers de l'audiovisuel. Elle partagea ses convictions à l'instardu fait qu'il n'y a ni règle ni secret pour écrire un scénario ...néanmoinsPascale Ferran prescrit, pour résoudre les problèmes scénaristiques, uneplongée dans le visionnage de films. Une observation aiguë est ainsi propice audéblocage et reste par ailleurs le meilleur apprentissage : à la foisconcret et efficace. Enfin, on se souviendra surtout qu'  « ona le droit de raconter des histoires qui ne se racontent pas » !

 

Un VillageFrançais

Projection enavant-première

Scénaristes, réalisateurs etacteurs... avaient effectué le déplacement pour présenter cette nouvelle série  de 52 minutes qui débarquera dans peu de tempssur nos écrans cathodiques.  Le jour Jest fixé le 4 juin à 20h35 sur France 3.

 

 

 

Ce qui est certain, c'est que cepremier épisode n'a rien de convaincant même si on sent une volonté de hisserce feuilleton dans la lignée des productions américaines ou britanniques madein HBO ou BBC. Un travail léché de l'image témoigne l'envie de nous offrir unephotographie digne voire mirifique. On sent ainsi que la post production a aidéà booster les couleurs. Ce premier épisode nous dévoile donc l'armature de lasérie qui tend à nous représenter le quotidien de la France occupée. Bienvenudans un village d'irréductibles gaulois aux prises avec l'envahisseur germanique.En première ligne, le valeureux médecin, la frêle et candide institutrice, devaillants communistes, un industriel infidèle, une fermière infidèle, un fuyardqui fait peurrrr, des mioches, des « boches » ... se retrouventconfrontés à un débarquement impromptu dans leur paisible village,  mis « sang dessus dessous ». Dommagequ'un sentiment d'amertume s'en dégage rapidement. On a l'impression qu'unépisode de Band of Brothers s'est infiltré dans La petite maison dans la prairie.En effet, si le sujet semble a priori audacieux, le jeu des acteurs, l'orchestrationet le déroulement narratif sont loin d'être transcendants. En bref, ce premierépisode est décevant mais ne condamnons pas cette série sur un jugement hâtif.Ce pilote n'est qu'une simple mise en bouche, espérons que la suite nous étonneet nous captive. Verdict sur France 3, où les douze premiers épisodes serontdiffusés. Souhaitons que la qualité et l'audience seront au rendez-vous carsinon ce sera rideau pour la production qui serait contrainte de capituler.

 

Jean - ClaudePetit

Ecrire la musiquede film

« Le 1erfrisson de ma vie c'est quand [...] je me suis retrouvé devant un orchestre etj'entendais ce que j'écrivais » J-C Petit.

Si vous avez aimé le diptyque Jeande Florette / Manon des sources, Cyrano de Bergerac,Le Hussard sur le toit ou encore Lumumba c'estsûrement dû à la réceptivité de votre cavité tympanique à la musique deJean-Claude Petit. Ce compositeur a un talent indéniable pour réinventer lamusique du passé et surtout pour lui insuffler une aura contagieuse, porteused'émotion. Contrairement à certains, il n'illustre pas ou n'accompagne pas uniquement.Ses partitions racontent, apposent sur la pellicule un récit chargé de sens.Auteur sans pareil, c'est du bout de ses doigts que Jean-Claude Petit nousévoque le mieux son travail. Au piano, il nous explique la naissance d'unecomposition, sa transformation puis son intégration dans le film. DixitJean-Claude : « Le vrai travaildu compositeur c'est bien sûr  de trouverun thème mais c'est surtout de le développer ». A l'appui, il nousexplique ainsi son emprunt pour Jean de Florette de La force du destin de Giuseppe Verdiqui l'avait lui-même soufflé au folklore Piémontais.

Il nous expose ensuite l'importancede la musique dans le récit et l'aspect primordial de son usage : l'utiliseret la placer à bon escient. Le silence se révèle ainsi un élément importantdans l'orchestration. Créateur subtil, efficace et puissant, il fédère une émotionintense lorsque son usage est adéquat. Jean-Claude Petit nous rappelle ainsiune scène de Manon des Sources. Le papé, se rendant au cimetière,croise le cortège des mariés sortant de l'église. Des chants provençaux ponctuésd'une orchestration sont audibles. Mais à l'instant où le papé s'arrête et sonregard rencontre ceux de l'assemblée, la musique est coupée et la magie ducinéma opère. Un silence plombe de sa présence la scène en exacerbant ainsi lesens et les sentiments s'en dégageant. Un instant bouleversant, intense,rompant la liesse des festivités, né d'une simple coupure de la musique.L'exemple d'une scène, parmi tant d'autres, orchestrée avec finesse et maestriade l'oreille du maître  Jean-ClaudePetit.

D'autres anecdotes, toutes aussipassionnantes, vinrent étayer ces propos tenus lors de ce riche séminaire. Jean-ClaudePetit nous narra ainsi son travail sur Le Hussard sur le toit etplus particulièrement sur une scène qui hérissait Jean-Paul Rappeneau par crainte de se fourvoyer. C'est la fameusescène où Olivier Martinez arrache les vêtements de Juliette Binoche, puis, lamasse pour tenter de la sauver du choléra. On comprend la déroute de Rappeneauen visionnant les rushs de cet extrait dénué de bande son. En effet, dépouilléede l'orchestration musicale, cette scène prend une physionomie contradictoireet peut être interprétée différemment. Jean-Claude Petit a donc composé, joué,les sentiments qu'éprouve Olivier Martinez pour Juliette Binoche. Il transformeainsi une scène de « viol » en un instant romantique s'incarnant enun climax haletant.

Jean-Claude Petit a ainsi parcourubeaucoup de chemin depuis les années où il fut arrangeur pour Claude François.Passé maître du timing, avec un chronomètre dans la main, un œil rivé sur lapartition afin de diriger ses musiciens, il pose à présent un regard avisé sur les réalisateurs et son métier.  La musique et le cinéma ont permis à ce grandtimide de s'enrichir culturellement et humainement au fil de ses projets et ànous autres de se délecter de ses compositions empreintes de son vécu.Jean-Claude Petit a ainsi ce pouvoir de nous transporter par-delà lesfrontières et langues au sein d'un univers chamarré de notes et de rythmes oùnaissent récits et émotions.

 

Jean Gruault

Rencontre hommage

Malgré son âge mûr, le gruau denotre Jean n'a point été dépouillé de son enveloppe corticale. On ne peutqu'être thuriféraire après avoir rencontré le sémillant Jean Gruault. Sesparoles devraient être lues comme des bréviaires. Doté d'une mémoire imparable,ce thaumaturge du récit manie l'art de la gouaille en dévastant les plates bandesdes humoristes les plus aguerris et avec en ganache un petit rire délectable. Bref,l'homme est un spécimen rare.

Jean Gruault fait renaître grâceà ses récits, le sacré du cinéma. On bascule ainsi dans les labyrinthes del'histoire. Il nous propulse aux époques où officiaient Gloria Swanson, Cecil B.DeMille, Ophüls, Jean Cocteau ouencore Ingrid Bergman... mais s'il revient sur le passé c'est pour mieux conterle présent dans lequel nous sommes ancrés. Car à l'instar de son ami, AlainResnais, Jean Gruault, cinéphile d'exception, besogne toujours quand il n'estpas fourré à la librairie du MK2 ou devant un dvd.

Cette rencontre fut donc uneaubaine, où Jean Gruault nous fit partager l'envers du décor d'une manièreinédite. Puis avant tout cette occasion nous permit de découvrir un personnageattachant et atypique qui n'a pas son pareil pour narrer son vécu.

C'est unePascale Ferran, émue in extenso, qui introduit Jean Gruault à ce festival. Flageolantedes pieds aux cordes vocales, elle énumère la carrière et les hauts faits deJean Gruault, scénariste mémorable de Jules et Jim, LesDeux Anglaises et le continent, L'enfant sauvage, AdèleH, Mon oncle d'Amérique, L'Amour à mort, LesCarabiniers, La Prise de pouvoir par Louis XIV... La plumecachée derrière Truffaut, Resnais, Rivette, Godard, Rossellini...c'est lui. Assisau premier rang, attendant la fin de la présentation pour se hisser sur scène,Jean Gruault se dévoile en intervenant lors de l'énumération de safilmographie. Il fait remarquer en effet que Pascale Ferran a oublié de nommercertains films sur lesquels il a œuvrés. Et ajoute que celle-ci n'a par contre pointomis de citer les « merdes ».Il en rajoute même une petite couche lorsqu'on lui parle de grands films ilrépond « Y a beaucoup de merde aussi ».Bref à 84 ans, Jean Gruault est en forme olympique.

Le publicscotché aux babines de Jean aura en l'espace de trois heures revisité lesclassiques de l'histoire du cinéma, suivi des anecdotes palpitantes dans lepanthéon Gruault et ses théories passionnantes partagées à celle de Laborit.Nous découvrons ainsi l'envers du décor, celles des années où Jean Gruaultourdissait des scénarios. Pour cela, il prend le soin de nous décrire et denous scalper parcimonieusement quelques têtes incontournables. On apprend ainsique le « petit machiavel » (François Truffaut) ne tournaitaucune scène de piscine ou de ripaille, par horreur de celles-ci, ou qu'ildéléguait à son assistante le tournage des scènes d'amour dont il étaithermétique. Roberto Rossellini n'aimait guère tourner et se débarrassait tandisqu'Henri-Georges Clouzot, personnage « très curieux » au dire de Jean,a vécu un tournant lors de son film Le Corbeau : «  GinetteLeclerc boitant ça a été une révolution sexuelle pour lui. Sacrée Ginette Leclerc ! ».Sacré Jean Gruault !

 

Quant à Jean,il ne se cache pas avec délectation de s'être édifié une bibliothèqueconséquente basée sur des projets de films en ne déboursant aucun denier oud'avoir fait le mur pendant le tournage de Vanina Vanini pour assisterà celui d'Hercule. Il nous rappelle de même les problèmes pour sefaire payer et ses actions pour obtenir son dû. Il instiguait ainsi des sit-indans l'antichambre du producteur pour avoir son chèque. Bref, cet autodidactedu scénario, qui se forma en ayant pour seule méthode  le visionnage de films allant jusqu'às'exploser les iris en enchaînant jusqu'à 6 par jour, a eu un sublime parcours.

Puitd'informations intarissables, on ressort de cette rencontre avec une ardenteenvie de se replonger dans ses long-métrages de chevet comme ceux d'Allan Dwan,de se faire un marathon de ses films, de lire les textes de Laborit  sur le système nerveux, les dominances... quil'ont fortement marqué, voire influencé et surtout de voir le documentaired'une dizaine d'heures qu'il est actuellement en train de produire. Ce qui estsûr, c'est que Jean Gruault nous réserve encore des surprises. En attendant, unconseil, procurez-vous  Ce que dit l'autre , livre à lafois autobiographique et cinématographique, qui vaut son pesant d'or, dans ladroite lignée de cet entretien, rédigé par l'ami Jean « Gruaultre ».Au passage, on le remercie d'avoir écrit certaines des plus belles pages ducinéma en tant que scénariste !

                                                                                                     

Quelquespépites signées Jean Gruault :

« Finannée 50, c'est une époque où les producteurs se mouillaient, voyez,  ce qui n'arrive plus tellement maintenant ...ilsse mouillent à coup de subventions. »

« Lestyle de Cocteau c'est une merveille. Quand il s'empare de la langue françaisec'est magnifique. Le début de Thomas l'imposteur c'est formidable. Giden'aurait jamais pu faire ça encore moins Proust ...c'est dilué. »

En parlant deTruffaut : « C'est vraiment un petit machiavel. » « Ilme filait un sujet, il me payait très peu, 1 million d'ancien francs [...] Il enavait rien à foutre avec les autres. Il fonctionnait tout seul. » « Ilétait méchant et un peu homophobe au début puis ça a évolué après »

« Jevis pas comme les gens de la grande famille du cinéma. Je vis comme un prolo. Jeme suis enrichi peu...parce que je dépense pas. J'ai pas de propriété secondaire,je vais pas en vacances, j'aime pas ça... (par contre) la bouffe, oui, c'estimportant. »

En parlant deResnais et de lui-même : «  On a pas notre bac, ni l'un nil'autre. On est vraiment des cancres. »

  

 

 

 

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