Le Monde de Narnia : La nouvelle magie Disney ?

Sylvie Rama | 22 décembre 2005
Sylvie Rama | 22 décembre 2005

La fin de l'année est placée sous le signe du Singe, mais l'arrivée en orbite de la planète Narnia nous plonge conjointement dans l'ère du Lion : la belle étoile dote petits et grands de ses bonnes vibrations qui font… rugir de plaisir.

Le souffle qui manquait est-il…

(enfin) revenu ? En passe de sortir Disney de l'impasse (artistique) ? La nouvelle réanimation des studios Disney insuffle une fraîche bouffée d'air à la firme en manque d'oxygène depuis des années (pour ne pas dire depuis… Mickey !). Asphyxiée par les effluves glorieux des confrères tournant à plein gaz et tout auréolés de leurs derniers succès personnifiés - Warner transforme tout en dollars par la magie d'un sorcier à lunettes, Columbia tisse généreusement sa toile grâce à son homme araignée, New Line épouse trois fois le succès devant son Seigneur… - Disney se réaffirme en brandissant à son tour son must-have adapté d'un must-read. Sa magie va-t-elle (re)faire son effet ?

Le Monde de Narnia est l'adaptation d'un livre que personne n'a lu (en France). Best-seller de C.S. Lewis, Les Chroniques de Narnia comportent 7 tomes écrits de 1950 à 1956. Si la France dévore désormais Les Chroniques de Narnia, les anglo-saxons et les Américains, principalement, en sont friands depuis leur parution. En effet, les livres de Lewis, traduits en une quarantaine de langues, sont les plus vendus au monde juste derrière Harry Potter. L'avènement toute proche ambitionné par Disney pourrait inverser les chiffres ou du moins les faire fluctuer.

La sublime oeuvre de Lewis, bien connue donc en dehors de notre hexagone, révèle avec éclat un splendide monde fantastique illuminé par des êtres féeriques (faunes, fées, chevaux ailés, licornes), historié de créatures mythologiques (centaure, Minotaure) et comme il se doit, indubitablement peuplé d'individus maléfiques (sorcière, cyclope, ogres). Pour résumer hâtivement, la lutte du bien contre le mal nous est (traditionnellement) contée. Une bataille à laquelle vont prendre part les quatre enfants de la famille Peversie. Lucy, Edmund, Susan et Peter découvrent au cours d'une partie de cache-cache dans la maison d'un mystérieux professeur, une armoire (magique !) qui leur ouvre les portes bien cachées du fabuleux Monde de Narnia malheureusement aux prises des forces malveillantes de la sorcière Jadis (Michelle Pfeiffer était pressentie pour le rôle avant qu'elle ne cède sa place à Tilda Swinton). Également surnommée la sorcière blanche, Jadis a plongé Narnia dans un hiver désespérément éternel. Guidés par le bienveillant Aslan, noble lion et Roi légitime de Narnia, les frères et soeurs Peversie se lancent dans l'aventure afin de libérer Narnia de la sombre emprise de la sorcière blanche.

Mode d'emploi de ce monde enchanté ? Entrer simplement avec son âme d'enfant et ouvrir ses yeux (et son coeur). Car grand est le spectacle commandité par Disney qui s'offre de quoi se mesurer au petit sorcier, balayer les toiles d'araignées, faire de l'ombre au Seigneur ! Le Monde de Narnia recèle un récit passionnant servi par un incroyable bestiaire et assorti d'une quête légendaire aux palpitantes péripéties. D'une structure narrative extrêmement accessible, le style limpide de Lewis s'adresse à tout public et surtout aux plus jeunes. L'auteur débute son livre par la formule élémentaire en règle dans tout conte de fée ordinaire : « il était une fois… ». Lewis puise franchement dans l'imaginaire collectif les caractéristiques des narnaïens en référençant majoritairement des figures mythologiques et populaires. Ainsi dit-on du conte de Narnia qu'il renferme des milliers de contes.

Pour la conception-création cinématographique du bestiaire de Narnia, le Néo-zélandais Andrew Adamson, également réalisateur des Shrek, a fait appel à ses compatriotes de la WETA. Le studio d'effets spéciaux n'est autre que la société de Richard Taylor et de Peter Jackson. Pour l'épopée de Tolkien, la WETA avait conçu une dizaine de créatures différentes, pour les chroniques de Lewis, pas moins d'une soixantaine d'espèces. « Nous avons pu nous fonder davantage sur notre imagination, et sur la riche mythologie dont s'est inspiré C.S. Lewis. Cela nous a offert des possibilités de création bien plus grandes et plus diverses que sur Le Seigneur des Anneaux. De nombreuses techniques visuelles se combinent pour créer un monde imaginaire pleinement achevé, jamais vu au cinéma. Les artistes, artisans et techniciens ont pu ainsi atteindre de nouvelles frontières » explique Richard Taylor.

Mark Johnson, l'un des producteurs, tient à souligner le fait que « sincèrement, Le lion, la sorcière blanche et l'armoire magique est l'un des plus grands films à effets spéciaux qui aient jamais existé ». Un point de vue enthousiaste que ne partage pas unanimement la critique (néanmoins à 85% positive outre-Atlantique) dont les moins alanguis aiment à ergoter sur le scénario à leur goût peu étoffé, voire étouffé (oublient-ils qu'on s'adresse avant tout aux enfants ?), le langage enfantin dont regorgent les dialogues (normal) ou le manque d'allant dans la mise en scène (ah…). Les défenseurs et bras droits improvisés du blockbuster familial mettent le doigt sur un (bon) point : Le Monde de Narnia fait (tout de même) rêver.

L'air de rien…

La saga du romancier irlandais a traversé les années sans s'essouffler. Destinées à l'origine à sa nièce Lucy (le personnage du même nom dans le livre lui rend hommage) Les Chroniques de Narnia sont l'oeuvre d'un brillant homme de lettres. Né en 1898 à Belfast, Clive Staple Lewis est un enfant très intelligent, fasciné par les contes de fées et les mondes parallèles, qui développe rapidement le maniement de la plume et des mots. À 9 ans, le jeune Lewis perd sa mère. Terré dans le chagrin et l'incapacité d'assumer seul son fils, son père l'envoie étudier en Angleterre où débute une douloureuse période de repli. Il perd la foi, ses amis et ses repères. Plus tard, son professeur de philosophie lui redonne goût à la littérature. Admis à Oxford, il entreprend des études littéraires interrompues un temps par la Grande Guerre qu'il le contraint à combattre en France dans les tranchées. Blessé par des éclats d'obus, il rentre en Angleterre et reprend ses études.

L'étudiant reçoit de nombreuses distinctions et publie un premier recueil de poésies. En 1925, il devient professeur de littérature anglaise. Au début des années 30, il rencontre J.R.R. Tolkien qui deviendra son ami intime et avec lequel il fonde une société littéraire. Sous l'aile et l'influence de Tolkien, Lewis retrouve la foi en Dieu. Écrivain érudit, il publie des ouvrages relevant, pour la plupart, des questions existentielles fondamentales : réflexions sur la souffrance, la joie, l'homme, et sur la pertinence des convictions chrétiennes. Il s'essaie également à la science-fiction et publie de la littérature fantastique. Les gains perçus n'ont jamais altéré la simplicité de cet homme qui les reverse en partie à des oeuvres de charité. Il décède en 1963, le jour même de l'assassinat de Kennedy. Le cinéma lui a consacré un film en 1993, Shadowlands, dans lequel Anthony Hopkins tient le rôle de Lewis. Le film reprend l'autobiographie du romancier, intitulée Surpris par la joie.

Surpris en effet sont ceux aujourd'hui qui découvrent les 7 chapitres du Monde de Narnia et se sont empressés d'établir des comparaisons (inutiles) avec les 7 tomes d'Harry Potter, l'oeuvre de Lewis étant bien antérieure à celle de Rowling. Cette dernière cite d'ailleurs Lewis comme une référence absolue et admet lui avoir emprunté le nom de « Diggory ».
Le souffle divin ?

La nature de l'inspiration qui a donné vie aux Chroniques de Narnia fait aujourd'hui l'objet d'une polémique, sans doute vaine. En homme de foi repenti et engagé, l'apologétique écrivain n'a jamais dissimulé sa foi chrétienne. À ce titre, l'ensemble de la collection de Narnia, appuyée par les convictions de son auteur visionnaire, porte aujourd'hui le flambeau d'un débat enflammé. Le Monde de Narnia s'accorde intimement au message des Évangiles et le personnage d'Aslan, dont le Père est Empereur au-delà des Mers (Dieu), est le point central autour duquel gravitent les épisodes de la saga. Ce Roi Lion qui se sacrifie, ressuscité ensuite, constitue la représentation symbolique et romancière du Christ. De là à accuser l'ouvrage de Lewis d'outil de propagande religieuse, le pas est vite franchi. Bien loin de vouloir constituer une œuvre catéchétique, C. S. Lewis déploie un monde imaginaire où sa foi imprègne le caractère des personnages. En filigrane, on peut - si on le souhaite, chacun usant de son libre-arbitre - discerner Jésus, le bien, le mal et des thèmes comme le don de soi, la loyauté, le pardon, l'Amour. Des thèmes quand bien même universels, de bon augure, et au service de l'humanité, communément admis comme irréfragables.

Deux suites sont déjà prévues au premier volet. D'un commun accord avec Douglas Gresham (beau-fils de Lewis et gestionnaire des droits de l'oeuvre) Disney prévoit ensuite d'adapter Le Prince Caspian, respectant ainsi l'ordre de publication des ouvrages : Le Lion, la Sorcière Blanche et l'armoire magique (1950); Le Prince Caspian (1951); L'Odyssée du Passeur d'Aurore (1952); Le Fauteuil d'argent (1953); Le cheval et son écuyer (1954); Le Neveu du Magicien (1955); La Dernière bataille (1956).

À l'attention des lecteurs, il reste intéressant de considérer, tel que l'auteur l'avait lui-même préconisé, deux ordres de lecture différentes et particulièrement ingénieuses : la lecture de type linéaire, qui respecte l'ordre de parution des ouvrages, et la lecture de type circulaire, qui place les ouvrages dans l'ordre suivant, dévoilant ainsi la véritable chronologie du Monde de Narnia : 1. Le neveu du Magicien, 2. Le Lion, la Sorcière Blanche et l'armoire magique, 3. Le cheval et son écuyer, 4. Le Prince Caspian, 5. L'Odyssée du Passeur d'Aurore, 6. Le fauteuil d'argent, 7. La dernière bataille.

La lecture dite circulaire est organisée selon le principe d'un point central, qui est Aslan, et autour duquel gravite l'histoire de Narnia. Un principe qui reprend, en d'autres termes, la structure du Livre des livres. Le neveu du Magicien est donc la Genèse du monde de Narnia et le dernier opus, La Dernière bataille, la fin de Narnia et le début d'une ère nouvelle éternelle, soit… l'Apocalypse.

Déjà pré-sélectionné pour les Oscars, le film d'Adamson attend sa nomination pour la catégorie Meilleurs Effets Spéciaux, dont les 3 nominés officiels seront connus le 31 janvier prochain. Du côté des London Film Critic Awards, Narnia décroche déjà deux nominations : Meilleure actrice dans un second rôle pour Tilda Swinton en Sorcière Blanche, et Meilleur acteur anglais dans un second rôle, pour Ray Winstone, alias M. Castor !

Le Monde de Narnia est la première franchise pour enfants - hors films d'animation - acquise par l'empire Disney. La société parviendra-t-elle à l'intégrer parfaitement dans son univers enchanté ? Ça a l'air bien parti. À l'instar de son propre et célèbre slogan, à notre tour souhaitons à Disney de retrouver toute la magie… Disney. Ainsi soit-il ?

Tout savoir sur Le Monde de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l'Armoire magique

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