Si la carrière de réalisateur de Don Bluth a commencé avec le triomphe de Brisby et le secret de NIMH, elle s'est achevée dans la douleur avec Titan A.E., un bide injuste et un projet saboté, mais surtout un film un peu trop en avance sur son temps.
Est-il tolérable de malmener un enfant si c'est pour lui donner une leçon de vie ? Certes, il serait indécent d'en pousser un sous les roues d'une voiture pour lui apprendre à bien regarder des deux côtés avant de traverser, mais en littérature comme au cinéma, l'apprentissage de la vie à la dure est beaucoup plus commun. Qu'on parle d'un loup qui dévore une petite fille désobéissante, d'une chute sans fin dans un terrier sombre ou de la mort crève-coeur d'une maman biche, les oeuvres destinées au jeune public regorgent de détails crus et de sous-lectures dramatiques, voire carrément glauques.
Et en matière de traumas juvéniles bien intentionnés, l'animateur Don Bluth a un des plus beaux palmarès de tous les temps. Depuis Brisby et le secret de NIMH, le cinéaste a cultivé un goût pour les personnages torturés et les récits sombres, traitant plus frontalement la mort, le deuil, l'abandon et la violence, non sans plusieurs visions parfaitement cauchemardesques.
Cette maturité et cette volonté à peine dissimulée de marcher sur les plates-bandes de Disney en allant là où le géant n'a jamais osé aller l'ont porté aux sommets avant de se retourner violemment contre lui. C'est tout particulièrement le cas avec l'imparfait, mais fascinant Titan A.E, un projet moins bon enfant encore que ses autres films, et qui a malheureusement été saboté au point où l'histoire s'est terminée dans les larmes et le sang.
THE Rise...
Quand Don Bluth et son collaborateur de toujours Gary Goldman ont accepté de reprendre en main le projet Titan A.E. (alors appelé Planet Ice) en 1998, c'était plus ou moins sous la contrainte et la menace d'une dissolution des jeunes studios Fox Animation, qu'ils ont cofondés et dont ils étaient les responsables créatifs. En 1994, la 20th Century Fox, désireuse elle aussi de concurrencer Disney, avait pourtant investi près de 100 millions de dollars dans la construction d'un tout nouveau studio d'animation, qui comme espéré n'a pas tardé à faire suer Mickey avec le magnifique Anastasia.
Même si cette réécriture de l'histoire des Romanov est plus classique que les autres films du duo et conforme à la "norme Disney" (au point où il a longtemps été pris pour un Classique), elle s'est imposée comme le plus gros succès commercial de la carrière de Bluth et Goldman avec près de 140 millions de dollars au box-office mondial.
Bill Mechanic qui "présente" le projet à Don Bluth et Gary Goldman
Pourtant, en dépit de ce succès et joli pied de nez à Disney (qui aurait d'ailleurs tenté de faire de l'ombre à la princesse russe en ressortant La Petite Sirène au cinéma une semaine avant), la Fox n'a pas vraiment déroulé le tapis rouge aux deux réalisateurs. En 1998, près d'un an après la sortie d'Anastasia, Fox Animation Studios tournait déjà à vide. Ils n'avaient a priori plus de projets dans leurs tiroirs, si bien que Bill Mechanic (l'ancien président de la Fox) leur a refilé une patate chaude dont il ne savait pas plus quoi faire après des mois de surplace.
Car à l'origine, Titan A.E devait être réalisé en prise de vues réelles, avant d'être balancé au département d'animation comme une grenade explosive. Il est cependant difficile de savoir quand exactement cette décision a été prise étant donné qu'avant d'atterrir entre les mains de Bluth et Goldman, le scénario était déjà passé entre celles de différents scénaristes, notamment Joss Whedon et Ben Edlund, tandis qu'il devait être mis en scène par Art Vitello, un animateur et réalisateur de séries d'animation.
Une dynamique de couple qui doit beaucoup à Ania et Dimitri
...and fall
En plus de son coup de pression, le studio (qui avait déjà dépensé près de 30 millions de dollars avant même le début de la production) leur a imposé une deadline de seulement 19 mois pour boucler Titan A.E. Mais problème : la Fox voulait que le film contienne au moins 50% d'images de synthèse après avoir envisagé un live action bourré de CGI.
Sauf qu'il s'agissait encore d'une technologie balbutiante, l'animation 2D étant encore la norme un peu partout. Pixar avait commencé à paver la voie quelques années avant seulement avec Toy Story et 1001 pattes, qui eux ont été entièrement réalisés en images de synthèses. DreamWorks Animation avait suivi avec Fourmiz, pour le résultat qu'on connait.
Un projet de plus en plus lourd à porter
Si Disney avait quant à lui déjà eu recours au numérique occasionnellement (comme pour la scène de bal dans La Belle et la Bête), le géant ne l'a réellement investi que cinq ans plus tard, en 2005, avec Chicken Little, après avoir mélangé des dinosaures numériques à des décors en prises de vue réelles dans Dinosaure. De son côté, Blue Sky s'est lancé dans la 3D deux ans après la sortie de Titan A.E avec L'Âge de Glace.
Concernant Don Bluth et Gary Goldman, ces deux animateurs de la vieille école ont travaillé toute leur carrière sur celluloïds, exception faite d'Anastasia qui contient quelques éléments en 3D comme la fameuse boîte à musique d'Ania. C'est donc un nouveau monde auquel il a fallu s'ouvrir, en plus de la science-fiction, un genre qu'ils n'avaient jamais vraiment exploré, sauf dans le jeu vidéo Space Ace de 1983 qui était cependant plus enfantin et cartoonesque que ce qui leur était demandé pour Titan A.E.
Qu'est-ce qui aurait pu mal tourner ?
Ce qui nous amène à un autre obstacle de taille : le budget. Dans une interview réalisée avant la sortie, Gary Goldman a dévoilé que les frais de production du film étaient de 55 millions de dollars (hors inflation et marketing). Une somme qui paraît cohérente par rapport aux 50 millions de budget d'Anastasia, mais qui a ensuite été revue à la hausse, probablement après des dépassements inévitables.
Aujourd'hui, on parle plutôt d'une fourchette entre 75 et 90 millions de dollars hors marketing, ce qui est plus confortable, mais pas non plus mirobolant. Après des budgets qui paraissent maintenant dérisoires pour Toy Story et 1001 Pattes (respectivement 30 et 45 millions de dollars), Toy Story 2 a salé la facture dès 1999 avec ses 90 millions de dollars, tandis que d'autres productions majoritairement en 2D de la même époque avaient fait exploser les compteurs : La route d'Eldorado (95 millions), L'Atlantide : l'Empire perdu (120 millions) et La Planète au trésor (140 millions). Mais le pire restait encore à venir.
Houston, nous avons des problèmes
MISSION : CGIMPOSSIBLE
Comme si le défi n'était pas suffisamment de taille, après environ un an de travail, la Fox a licencié près de 300 personnes de son service d'animation, n'en laissant qu'une soixantaine pour continuer et terminer le film. Et c'était sans compter sur la pression du studio qui demandait toujours plus d'images générées par ordinateur, les obligeant à faire appel à d'autres studios d'animation pour certaines séquences, comme l'a également expliqué Gary Goldman :
"Au départ, nous avions prévu environ 40 % de CGI. Compte tenu des contraintes liées au temps et au budget, il était hors de question d'utiliser beaucoup d'images de synthèse. Mais nous avons fini par en avoir beaucoup plus que sur n'importe quel autre film. Environ 87 % du film est composé d'images de synthèse sous une forme ou une autre. [...]
Un long-métrage hybride unique en son genre à mi-chemin entre deux époques
La Fox en voulait de plus en plus au fur et à mesure. Nous avons fait appel à POVDE, le groupe de David Paul Dozoretz qui réalise des animations pour George Lucas. Ils ont animé toute la séquence du Cristal de glace à partir des story-boards de Don [Bluth]. Nous avons fait appel à Blue Sky Studios pour la création de la séquence du Nouveau Monde. Nos gars ici, à douze, ont fait tout le reste."
Pour résumer, Don Bluth et Gary Goldman se sont lancés dans un projet sous la contrainte, sans grande expérience en termes de SF et de 3D, avec un budget serré, plus de la moitié de l'équipe licenciée et seulement 19 mois devant eux. Forcément, ce film mort-né a beau avoir des défauts évidents en termes de rythme, de caractérisation de personnage ou de ton, il relève bien plus du miracle que du crash.
Des aliens composés d'énergie pure, représentés en CGI, c'était malin
la fin des temps
Malheureusement, si le cauchemar avait pu devenir une belle histoire, personne n'a eu le droit à une fin heureuse. Bill Mechanic a été viré avant même la sortie du film, tandis que Fox Animation Studios a été fermé une semaine après la sortie, les résultats catastrophiques du film au box-office n'ayant pas plaidé en sa faveur. Il n'a en effet rapporté que 36 millions de dollars, dont 22 millions à domicile, pour un budget de minimum 75 millions. D'après le producteur Chris Meledrandi, qui supervisait la sortie, Titan A.E aurait fait perdre près de 100 millions de dollars à la Fox.
Pourtant, Titan A.E est une petite prouesse dans son genre. Le mariage entre les personnages en 2D et les décors, vaisseau et Drej (les aliens antagonistes) en 3D n'est pas toujours heureux et tout n'a pas bien vieilli, mais le résultat global est d'une maitrise impressionnante. En plus de certaines séquences proprement spectaculaires (celle sur la planète de glace est géniale), de décors détaillés, de vaisseaux gigantesques et d'une belle variété de design pour les différentes races extraterrestres, la portée du film est beaucoup plus vertigineuse que ce qui pouvait se faire à ce moment en animation.
3 secondes avant la fin du monde
Le film s'ouvre ni plus ni moins que sur la destruction de la Terre sous les yeux d'un petit garçon qui vient de voir son père pour la dernière fois, mais ne le sait pas encore. Les quelques humains qui ont survécu se sont ensuite éparpillés dans la galaxie ou regroupés en colonies précaires, et sont traités comme des parias par les autres espèces. L'ambiance est désespérée et pesante, et les thématiques de l'humanité et du bien-fondé de notre existence sont plutôt lourdes, même si elles sont traitées avec plus de légèreté qu'escompté étant donné le simple classement PG et non PG-13 (alors que les producteurs visaient spécifiquement un public adolescent).
Malgré ses lacunes thématiques et mythologiques,Titan A.E constitue une première immersion dans un univers original et gargantuesque qui avait tout le loisir d'étendre et de compléter sa mythologie déjà bien dense. Pour combler quelques angles morts, deux romans et un comics ont accompagné la sortie du film, et un jeu vidéo devait également être réalisé par Blitz Game, avant d'être annulé prématurément.
Tellement de galaxies qui ne demandaient qu'à être explorées
De leur côté, Bluth et Goldman ont été considérés un temps pour produire le film d'animation L'Âge de glace, mais le scénario a ensuite été confié à d'autres personnes. Titan A.E est donc leur dernier long-métrage, ce qui constitue une fin de carrière particulièrement triste, violente et amère. Il reste toujours le maigre, très maigre espoir de revoir un jour le vieux duo se reformer une toute dernière fois pour une adaptation de leur jeu vidéo Dragon's Lair, ce qui permettrait de boucler leur oeuvre sur une meilleure note. Mais comme nous l'ont appris les films de Don Bluth, la réalité préfère frapper fort et faire mal.
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J’ai adoré ce film en salle, et j’essaie régulièrement de le refourguer à mes enfants, mais la jaquette du DVD est vraiment trop moche :))
Merci pour cet article, j’ignorais tout de la genèse difficile de ce film. Grosse tristesse pour Don Bluth et Gary Goldman. Il y a tellement de gens talentueux qui disparaissent du métier, et leurs films d’animation avaient une voix différente de Disney bien agréable.
Anastasia était une horreur de propagande et de revisionisme historique.
Il y a 23 ans je regardais la bande annonce en boucle sur le superbe morceau « Higher » de Creed.
Superbe film d’animation !
J’ai bien aimé dommage qu’il n’est pas marché.
Don bluth = Dragon’s lair soit un jeu vidéo sublime mais imparfait
Chef d’oeuvre SF. La scène d’ouverture est un master class qui fout la honte à énormément de films du genre. La scène de cache cache est hyper stylé. Et la fin est tellement puissante. Grosse mention a la musique du film qui accompagne le tout.
Incroyable coïncidence que cet article sorte 2 jours après que j’ai décidé de revisionner ce film de mon enfance.
J’aime beaucoup ce film, qui n’est certes pas un chef d’œuvre mais fortement en avance sur son temps. Plus jeune je n’avais pas remarqué que les Drej étaient en 3D parce qu’ils fait de pure énergie, ce qui m’instantanément sauté aux yeux lors de mon revisionnage. D’ailleurs le mélange 2D/3D, pas toujours parfait, est vraiment remarquable. J’aime beaucoup la scène de « cache-cache » avec tous les reflets qui, je pense, était révolutionnaire à l’époque sans les technologies actuelles.
Dommage que ce film ait flop et ait conduit à la fermeture de Fox Animation.