Films

Simone : avant Avatar et Midjourney, le film qui annonçait le futur du cinéma

Par Geoffrey Fouillet
18 avril 2023
MAJ : 27 novembre 2024
Simone : photo, Rachel Roberts, Al Pacino

Imaginez un monde où Meryl Streep serait battue aux Oscars par Simone, la star 100% digitale du film éponyme signé Andrew Niccol, avec Al Pacino.

N'ayons pas peur des mots, depuis le début des années 2000, le cinéma et les nouvelles technologies entretiennent une relation de plus en plus passionnée et passionnante. Même si les effets prosthétiques ou mécaniques gardent nos faveurs, on ne peut décemment pas fermer les yeux devant les réussites techniques offertes par l'outil numérique. L'un des procédés les plus novateurs en la matière, la performance capture, a permis d'enfanter certains des personnages les plus mémorables de ces vingt dernières années (Gollum, Davy Jones, et tant d'autres).

Après nous avoir gratifiés d'un doublé gagnant avec Bienvenue à Gattaca, qu'il a réalisé, et The Truman Show qu'il a scénarisé, Andrew Niccol anticipait avec Simone cet attrait grandissant d'Hollywood pour les images de synthèse, et alimentait déjà le débat sur leur usage controversé. En dépit de ses maigres recettes au box-office (19 millions de dollars récoltés pour un budget de 10 millions), cette dystopie portée par Al Pacino (dans un de ses derniers grands rôles avant son retour en triomphe grâce à The Irishman) est un incontournable trop méconnu au rayon des films joliment prophétiques.

 

Simone : photoEt au septième jour, Simone fut !

 

LA BELLE VIRTUELLE

On a souvent lu ou entendu à quel point les plus grands cinéastes se mesuraient à leur capacité à obtenir le meilleur de leurs comédiens, qu'importent leurs méthodes despotiques. Shelley Duvall en a fait la douloureuse expérience en acceptant de se plier aux exigences de Stanley Kubrick sur le tournage de Shining, et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Cette conception de l'artiste démiurge a encore de beaux jours devant elle hélas, et ce n'est pas un hasard si Niccol s'en est inspiré pour créer le personnage de Viktor Taransky (Pacino, délicieusement en roue libre), sorte d'Ed Wood des temps modernes.

Entre le départ de son actrice vedette (Winona Ryder, dans un second rôle savoureux) et sa rupture de contrat avec les studios, Viktor ne vit pas franchement sa meilleure vie. Heureusement pour lui, un génie de l'informatique lui lègue sa dernière invention avant de mourir, et il s'agit ni plus ni moins d'un logiciel capable de modéliser la comédienne idéale (entendez par là, docile et corvéable à merci). Il la baptise alors Simone, en référence au nom du précieux programme : "Simulation One". Mais comment faire croire au monde entier qu'elle est réelle ? Oui, être ou ne pas être, telle est la question.

 

Simone : photo, Winona Ryder, Al PacinoQui fait la loi ici ? C'est Winona !

 

"Je suis toujours en quête de l'humain dans la technologie (…) Je n'aime pas ce qui est noir ou blanc. La vie n'est pas ainsi. Vous devez juste composer avec beaucoup de gris", racontait Niccol à l'occasion d'une interview donnée au site SPLICEDwire lors de la sortie du film en 2002. En confrontant réel et virtuel, le réalisateur pose la question de la manipulation des images, et du souci de se dissimuler derrière elles. Au fond, Viktor est Simone, et c'est ce jeu de dédoublement permanent entre l'artiste et sa muse qui captive instantanément. Tous deux parlent d'une même voix et affichent les mêmes émotions.

Avant le grand boom des réseaux sociaux et la prolifération des faux profils, Niccol avait déjà saisi le caractère addictif de l'avatar, en tant qu'alter ego numérique, et aussi sa valeur thérapeutique. Quand Viktor intègre à l'algorithme de Simone des mimiques préenregistrées de Grace Kelly, de Jane Fonda ou d'Audrey Hepburn, il s'arrange pour élaborer une chimère de toutes pièces, et trouve le moyen de se perdre lui-même dans le processus. Il faudra attendre que la cyberstar verse une première larme, puis une seconde, pour que le personnage réalise à quel point la machine le reflète.

 

Simone : photo, Al PacinoLe maestro Pacino aux manettes

 

PLANET HOLLYWOOD

Quel meilleur endroit qu'Hollywood pour se bercer d'illusions ? En choisissant d'inscrire son intrigue dans le haut-lieu du cinéma mondial, Niccol dépeint une micro-société biberonnée au sensationnalisme, où la moindre apparition publique de l'égérie du moment fait aussitôt évènement. Et le film sait se montrer particulièrement drôle et corrosif à ce niveau-là. C'est d'abord une horde de photographes qui attendent le passage éclair de S1m0ne à la fenêtre d'un hôtel, puis une foule en délire qui se jette sur une pauvre anonyme confondue avec la star.

Toute cette effervescence confine à l'absurde bien entendu, et évoque le battage médiatique autour des acteurs, qui accaparent toute l'attention au profit de l'oeuvre. Le réalisateur en profite à ce titre pour glisser dans la bouche de Simone, interviewée à la télévision, une réplique plus qu'éloquente à ce sujet : "Voyez-vous, après ce soir, j'aurai passé autant de temps dans votre émission que dans les films que j'ai tournés. Croyez-vous que c'est très sain pour un artiste ?". En quelques mots, on reconnaît le bagage contestataire du réalisateur, toujours vent debout face à un système qui nie l'essentiel.

 

Simone : photo, Al Pacino, Catherine KeenerHors de question que l'Oscar de la meilleure actrice échappe à Simone !

 

Autre phénomène typiquement hollywoodien que le film ne manque pas d'épingler avant l'heure : les pop-stars adeptes de la polyvalence, aussi à l'aise dans le cinéma que dans la musique ou la mode, sans compter leur engagement dans l'humanitaire. On pense à Madonna et Beyoncé parmi d'autres, et Simone en est une version "upgradée". C'est aussi cette course à l'hyper-célébrité que dénonce le réalisateur et qui rend l'idole plus irréelle et insaisissable encore à force d'être sur tous les fronts.

L'ironie suprême de la situation tient alors à une équation toute simple : plus le subterfuge est gros, plus la magie opère. Quand Viktor matérialise Simone dans une contrée reculée du tiers-monde, il se contente de l'incruster sur un décor virtuel, et tout le monde n'y voit que du feu (à l'exception d'un reporter soupçonneux, seul personnage un tantinet lucide). On pourrait donc s'agacer devant de si grosses ficelles, mais Niccol s'en sort en jouant la carte du conte moral, d'où une patine mordorée omniprésente à l'écran et une bande originale aux accents féériques signée Carter Burwell.

 

Simone : photo, Evan Rachel WoodTout le monde dit : "I love you Simone"

 

RENAISSANCES

Comme dans The Truman Show, Simone met en lumière le spectacle d'une vie à travers une improbable success story. Si Truman est bel et bien réel à l'inverse de la cyberstar créée par Viktor, chacun sert d'instrument privilégié à un divertissement "bigger than life", et il y a quelque chose d'émouvant à suivre ces personnages, téléguidés dans l'ombre, advenir au monde, s'élever puis disparaître pour mieux renaître au bout du compte. C'est le fameux "rise & fall" des biopics dont raffole Hollywood, sauf qu'il est question d'une double ascension et d'une double chute chez Niccol.

Il n'y a pas non plus de coïncidence (du moins le croit-on) si le cinéaste a choisi d'appeler son héros Viktor, comme un certain Docteur Frankenstein. La parenté entre les deux est évidente et se décline à l'envi tout au long du film, de leur marginalisation contrainte et forcée à leur passion pour le vivant, en passant par leur devoir contrarié de géniteur. Un hommage à peine déguisé qui permet au réalisateur d'enrichir son univers dystopique d'une portée quasi mythologique.

 

Simone : photo, Al PacinoEntre les deux, le courant ne passe plus

 

À l'instar du savant fou du roman de Mary Shelley, Viktor cherche à tromper la mort, à laisser une empreinte indélébile dans l'Histoire (que l'un de ses projets s'intitule Éternité pour toujours fait gentiment sourire), et Simone est, par sa nature volatile, une créature qui se régénère à loisir. Niccol nous rappelle ainsi qu'il n'y a rien de fantastique ou de surnaturel là-dedans. Si le cinéma a déjà vocation à immortaliser des icônes vouées à s'éteindre, il a encore franchi un cap depuis quelques années en cherchant à rajeunir des acteurs vieillissants. C'est la technique du "de-aging", et le résultat peut parfois s'avérer bluffant (le Brad Pitt adolescent de L'étrange histoire de Benjamin Button, c'était quelque chose).

Toujours est-il que ces avancées technologiques continuent de prospérer, pour le meilleur et peut-être pour le pire, puisqu'il est maintenant question de ressusciter des acteurs décédés tels que Peter Cushing dans Rogue One : A Star Wars Story. Avec Simone, Niccol anticipait cet horizon aussi séduisant qu'inquiétant sans jamais verser dans le discours réactionnaire ou une ferveur progressiste. Et ce n'est pas un mince exploit que d'amener le spectateur à s'interroger en permanence sur sa propre éthique. Alors, on ne le dira jamais assez, mais rien ne vaut la zone grise, surtout sur grand écran.

 

Simone : photo, Al PacinoC'est par ici la sortie

 

Oui, rares sont les films qui sont parvenus, comme Simone, à prendre le pouls du cinéma de demain. À l'heure où les effets spéciaux numériques deviennent de plus en plus photoréalistes (la sortie d'Avatar 2 : la voie de l'eau et son travail toujours plus pointu de la performance capture sont là pour le prouver), Andrew Niccol avait vu juste et décrit cette fascination pour le virtuel avec le même regard critique qu'il conservera dans ses films suivants, Time Out et Good Kill en tête. Et même s'il semble désormais moins inspiré qu'à ses débuts, on ne doute pas que le futur et ses dérives sauront lui redonner le mojo.

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7 Commentaires
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Chompchomp

J’ai essayé ce film, malgré un casting et un pitch très intéressant je l’ai trouvé très soporifique et je n’ai malheureusement pas réussi à aller jusqu’au bout.
J’avais envie de l’aimer ce film pourtant !

Gus

Drôle de debut carrière que celle de Nicoll… Il commence avec l’histoire d’un mec qui décide de tromper tout le monde (Gattaca), puis écrit l’histoire d’un mec que tout le monde trompe (scénario de Truman show) puis enchaine avec l’histoire d’un mec qui trompe tout le monde (Simone)..

alulu

Niccol se pose les bonnes questions sur le monde qui l’entoure et peut donc anticiper de façon assez juste. Al Pacino est impeccable dans le rôle du réal « c’était mieux avant » qui se trouve en quelque sorte libéré par la technologie. Un bon film et puis voir Pacino dégonfler les pneus d’une caravane, de trier des bonbons tout ça pour essayer de satisfaire les désirs d’une starlette, c’est à la fois comique et pathétique.

Kyle Reese

J’aime beaucoup Niccol, Gattaca fait parti de mon top SF, mais j’ai eu une sorte de rejet pour celui-ci je ne sais plus trop pourquoi. La tonalité du film, je sais pas. Maintenant que vous en parlé et avec ce qui nous arrive avec les AI en effet le film peut être vu comme visionnaire. Niccol est toujours intéressant, même son trop froid Anon a d’excellent moment. Bon sinon effectivement … Pacino quoi.

Taf

Superbe film avec une super histoire, et tellement en avance sur son temps !
Le top, comme avec le fabuleux : bienvenue à gataca !

Ray Peterson

Pas le meilleur de Niccol mais une très bonne prestation de Pacino et de la très classe Catherine Keener. Mais en même temps à cette période Niccol c’était vraiment quelque chose (« Lord of War » incoming!) après pour ma part ça se gâte même si je reconnais certaines qualités à « In Time » et « Good Kill ».

cmoileena

J’ai beaucoup aimé ce film. D’ailleurs j’aimerai bien le revoir….