Films

Carnage : le sous-Vendredi 13 qui a fait décoller Harvey Weinstein

Par Mathieu Jaborska
2 avril 2023
MAJ : 24 mai 2024
Carnage : photo

Connu pour une scène de massacre particulièrement méchante et accusé plus ou moins à tort de plagier Vendredi 13, Carnage marque aussi les débuts d'Harvey Weinstein.

Carnage (The Burning en VO) mérite son titre. Le slasher forestier de Tony Maylam est passé à la postérité grâce à un... carnage, une séquence de multiples meurtres sur un radeau sacrément vénère, a fortiori dans le contexte du début des années 1980. La scène est vite entrée au panthéon du genre, grâce à son découpage incisif, aux mémorables visions d'une paire de cisailles sanglante brandie à bout de bras, ainsi qu'aux effets gore du grand Tom Savini.

Il n'en fallait pas plus au public pour le sacrer meilleur des sous-Vendredi 13... même si la filiation avec le célèbre slasher, sorti quelques mois auparavant, est loin d'être aussi directe qu'on pourrait le croire. Pourtant, cette série B bien troussée n'a pas fait que des heureux, bien malgré elle, puisqu'elle est aussi le tremplin qui a servi à l'ascension d'un des plus ignobles personnages à avoir sévi dans les hautes sphères hollywoodiennes : Harvey Weinstein.

 

Carnage : photoDu mauvais usage de la cisaille

 

Mirage max

Au début des années 1980, les frères Weinstein quittent Buffalo, où ils s'occupaient de la promotion de concerts de rock, pour New York, et espèrent y distribuer et produire des films tels que ceux qu'ils passaient dans leur salle, entre deux représentations. En 1979, ils ont créé Miramax, nommée en honneur de leurs parents et c'est par son intermédiaire qu'ils se lancent dans The Burning, inspirés par la légende urbaine du "Cropsy Maniac".

Harvey Weinstein avait, selon lui, écrit un traitement de 5 pages dès 1979 et l'avait enregistré en 1980, un mois avant la sortie de Vendredi 13. Il s'associe avec le producteur Michael Cohl et fait circuler un scénario à Cannes. Mais le duo y refuse des propositions, espérant en tirer plus après le tournage. "Nous pensions que nous lancer dans un film bon marché était une bonne manière de faire nos premières armes", expliquera Cohl à Variety. Encore aujourd'hui, difficile d'estimer le budget précis, qui se situerait selon les sources entre 500 000 dollars et 1,5 million.

 

Carnage : photoUn vrai camp d'été

 

Une vraie production originale, Carnage ? Certes, l'idée précède la sortie du film de Sean S. Cunningham, mais le succès monstrueux de ce dernier (59 millions de dollars de recette à date, pour un budget microscopique de 550 000 dollars) a fort probablement influencé l'écriture des différentes versions du scénario, de même que l'emploi du Dieu des effets gore Tom Savini. Pour la réalisation, Weinstein met à profit son expérience dans la promotion de concerts. Ils embauchent Tony Maylam, responsable de quelques documentaires rock des années 1970 et de la fiction The Riddle of the Sand, qu'ils ont croisé avant la création de Miramax.

Le texte complet est écrit en six semaines. Harvey se déclare à l'origine de The Burning. Officiellement, il est crédité en tant qu'auteur de "l'histoire", aux côtés de Maylam et Brad Grey, tandis que son frère Bob ainsi que Peter Lawrence sont les auteurs du scénario. Selon le site Hysteria Lives, le producteur aurait exigé un meurtre toutes les 10 minutes. Typiquement le type de lubie qui fera sa (mauvaise) réputation dans le futur.

 

Carnage : photoAmerican way of life

 

Derrière la caméra, on trouve une équipe de débutants, peu habituée aux tournages. La mère Weinstein doit même se rendre dans le bureau de Miramax pour aider la toute petite structure. Le 8 mai 1981 aux États-Unis (et le 28 avril 1982 en France), Carnage vient éclabousser les écrans, non sans un passage par la case censure, la MPAA étant de toute évidence sous pression depuis Vendredi 13 et l'intensification du débat sur la violence au cinéma.

 

Carnage : photoNo comment

 

Culture du viol

Alors peu connus, Harvey Weinstein et son frangin plus discret bousculent déjà un peu le milieu, sans le vouloir pour le moment. Plusieurs productions pâtissent de leur arrivée sur le marché. Don't go in the House aurait, parait-il, pu s'appeler The Burning si Joseph Ellison n'avait pas changé le titre afin de rester hors de leurs plates bandes. À l'été 1980, lors du casting du film Madman, une des actrices évoque son frère, employé sur Carnage, ce qui change complètement les plans de l'équipe. En effet, Madman doit lui aussi adapter la légende de Cropsy. Il est donc contraint de changer ses prémisses avant le tournage, de fait repoussé.

L'opportunisme évident d'Harvey Weinstein se fondait à l'époque dans le cynisme généralisé du cinéma d'exploitation américain, qui surfait allégrement sur la vague du slasher initiée par Halloween et gonflée par Vendredi 13, d'où ces cafouillages entre producteurs. Aujourd'hui, toutefois, l'importance du violeur en série dans le projet n'est plus anodine. D'ailleurs, le long-métrage est ressorti en 2017 en version restaurée et lors de certaines projections évènementielles, les spectateurs huaient son nom au générique d'ouverture.

 

Carnage : photoHarvey dans ses oeuvres

 

Les règles à la fois puritaines et voyeuristes du slasher ont déjà largement été moquées, parodiées et pointées du doigt, mais celles que recycle Carnage explicitent désormais les biais qui empoisonnaient alors la vie des femmes... et de quiconque se trouvait sur le chemin de tels prédateurs. La première victime de Crospy, victime d'une mauvaise blague qui provoqua son immolation ? Une prostituée, pardi, qui n'a rien à voir avec sa vendetta, si ce n'est qu'elle sert à démontrer la cruauté du tueur.

La gratuité de l'obligatoire scène de douche (la caméra dézoome pour faire rentrer les seins de l'actrice dans le cadre) fait sourire, la suite beaucoup moins. L'ado qui la matait est pris à partie... puis excusé, son comportement étant mis sur le dos de sa solitude, au détour d'un dialogue lunaire. L'affaire est vite enterrée et le groupe de filles peut revenir à ses grandes conversations... sur les muscles des garçons.

 

Carnage : photoSex work is real work

 

Le premier meurtre d'ado résonne encore plus fort avec la personnalité de Harvey Weinstein. Karen ne paie pas le prix de son désir, comme c'est l'usage d'ordinaire, mais au contraire son refus de coucher avec son copain. Même tarif pour Glazer, qui souffre d'éjaculation précoce. Humilié, il se fait empaler après sa conquête. La relation entre le sexe et le meurtre, inhérente au slasher de l'époque, est plus que jamais restrictive. Ce sont les scénaristes, parmi lesquels les frères Weinstein, qui font les règles. Et c'est le pervers qui sauve le camp.

 

Carnage : photoUne symbolique nauséabonde

 

Avant le vrai carnage

Est-il dérisoire, plus de 40 ans plus tard, de décrire de la sorte un slasher somme toute de très bonne facture, surtout comparé aux autres ersatz de Vendredi 13 ? À l'aune de sa ressortie, il y a quelques années, plusieurs médias ont posé la même question, comme Mel Magazine aux États-Unis. Après tout, le nabab est tombé pour des crimes perpétrés au coeur du système.

Sauf qu'en 2018, The Hollywood reporter est allé interroger différentes personnes ayant connu Harvey Weinstein avant qu'il ne devienne l'un des plus gros rouages de l'industrie hollywoodienne, dans le Queens, à Buffalo et à New York. "Bien avant d'être un magnat, c'était un harceleur et un prédateur", conclut l'article, témoignages à l'appui.

 

She Said : photoShe Said

 

Parmi eux, celui de Wacowiak, âgée de 24 ans lorsqu'elle a décroché un stage sur le plateau de The Burning. Un jour, on l'a sommée d'apporter un dossier dans la chambre d'hôtel de son employeur. Celui-ci l'attendait quasi nu, puis lui a demandé un massage. Il ne l'a pas violentée après son refus, comme il l'a fait ensuite avec d'autres, mais la scène a marqué au fer rouge la jeune femme. "Je me suis effondrée, je tremblais", raconte-t-elle. Le ver était dans le fruit et personne n'était là pour s'indigner.

Outre les viols et le harcèlement sexuel, évoqués récemment dans She Said, Harvey Weinstein s'est ensuite vite fait connaître dans l'industrie pour ses méthodes toxiques. Menaces, pression, agressions verbales sont, par exemple, relatées dans le livre de Peter Biskind, Down and dirty pictures : Miramax, Sundance, and the rise of independent film. Mais dès son premier film, il était dangereux. Certains indices, disséminés dans son oeuvre, pouvaient mettre la puce à l'oreille. Carnage restera donc la fondation d'un empire d'impunité, et le cinéma d'exploitation dont il est issu un filtre révélateur des maux de l'industrie... qu'il aurait été bien avisé de scruter avec plus d'attention, n'en déplaise aux névrosés de la "cancel culture".

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motordu

Puisque personne ne s’est dévoué pour commenter ce dossier, je m’y colle : c’était très intéressant et ça m’a donné bien envie de voir la chose !