Films

Velvet Goldmine : un Rocky Horror Picture Show avec Christian Bale et Ewan McGregor

Par Judith Beauvallet
14 janvier 2023
MAJ : 24 mai 2024
Velvet Goldmine : photo

En 1998, Todd Haynes réalisait Velvet Goldmine, un hommage vibrant et pailleté à David Bowie et à l'ère Glam Rock.

Velvet Goldmine, littéralement “mine d’or de velours” en Français, c’est d’abord une chanson. Enregistrée par David Bowie en 1971 et sortie en 1975, elle est une face B post-Ziggy relativement oubliée qui parle ni plus ni moins que de fellation. C’est la référence que Todd Haynes choisit pour baptiser son hommage au chanteur : un film sexe, drogues et Glam Rock qui porte ce titre comme un gant (de velours).

La carrière de Todd Haynes est traversée par sa passion pour la musique et les artistes qui la font. Longtemps avant Loin du Paradis ou Carol, il commence derrière la caméra avec un moyen-métrage sur la vie de Karen Carpenter, dans lequel les acteurs sont des poupées mannequin. Bien plus tard, il réalisera aussi le formidable et protéiforme I’m Not There pour rendre hommage à Bob Dylan, et son dernier film en date, présenté à Cannes en 2021, est un documentaire consacré au Velvet Underground. 

Au milieu de tout ça, en 1998, il y a Velvet Goldmine : un concentré explosif de tout ce qui a fait l’esprit Glam Rock des années 70 et qui raconte l’histoire de l’icône pop Brian Slade, incarné par Jonathan Rhys-Meyers. Si Bowie refuse, à l’époque, que le film parle officiellement de lui, Haynes en profite pour explorer d’autant plus la limite entre réalité et fiction. En mélangeant des éléments de n’importe quelle époque à la scène musicale des années 70, le réalisateur tisse des liens improbables entre les œuvres et les périodes pour créer une dimension fantastique à laquelle n’appartiennent que les idoles et leurs fans. 

 

Velvet Goldmine : photoDandy cool

 

Oscar du meilleur Wilde 

La narration de Velvet Goldmine lui a valu de nombreuses comparaisons avec Citizen Kane, le film-monument d’Orson Welles où la vie d’un magnat de la presse est racontée à travers les recherches qu’un journaliste fait sur sa vie. Chez Todd Haynes, c’est effectivement le même système qui est adopté : le fil conducteur de l’histoire sera Arthur Stuart, incarné par Christian Bale, un journaliste chargé d’enquêter sur son ancienne idole dix ans après son faux assassinat sur scène. La référence à Welles est logique : là aussi, il s’agira de gratter la surface multicouche d’une icône construite par les images, et pour ce faire, il faudra comprendre ces images qui la composent. 

La couleur est donnée dès la première séquence, qui se passe en 1854, où un bébé Oscar Wilde est déposé devant la porte de ses parents adoptifs par une soucoupe volante. Le film qu’on s’apprête à voir sera donc l’histoire extra-terrestre et extraordinaire d’Oscar Wilde et de tous ses reflets. La preuve en sera la broche trouvée sur le lange du bébé que ses descendants spirituels hérités du dandysme se passeront tout au long du film, chacun vivant une vie qui sera comme une continuation de celle de Wilde. “Il lui semblait que, d’une mystérieuse façon, leurs vies avaient été la sienne”, annonce d’ailleurs le professeur d’Arthur Stuart en citant Le Portrait de Dorian Gray devant ses élèves. 

 

Velvet Goldmine : photo, Toni ColletteUn film très Collette montée

 

On retrouve le petit Oscar Wilde à l’école, en plein XIXe siècle, qui déclare à son professeur que quand il sera grand, il sera une icône de la pop. Anachronique ? Pas de ça chez Todd Haynes, pour qui la vérité des choses dépasse le cadre de leurs circonstances. Après tout, en quoi un auteur sulfureux des années 1890 encore passionnément révéré aujourd’hui est-il si différent d’une star des années 70 dont les groupies tapissent leur chambre de photos ? En suggérant que Wilde est d’origine extra-terrestre, Haynes dit surtout que l’essence d’un artiste ne connaît pas les limites humaines d’une frise chronologique

Car cette soucoupe volante, c’est évidemment celle qui aurait pu amener sur Terre le fameux personnage créé par David Bowie : Ziggy Stardust, un homme à l’intelligence extra-terrestre qui tente de délivrer son message d’amour aux humains, mais qui s’y brûle les ailes. Bowie met fin à l’existence de son personnage lors d’un concert qui aura été le dernier de l’icône Ziggy.

Dans Velvet Goldmine, c’est aussi ce que fait le personnage de Brian Slade : star du Glam Rock, il simule son assassinat sur scène et disparaît des radars pour littéralement tuer son personnage appelé Maxwell Demon. Pourtant, toujours en citant Wilde, le même Slade déclarait auparavant que ce n’est qu’en portant un masque qu’un homme dit la vérité. Mais quelle vérité peut représenter une fausse image ? 

 

Velvet Goldmine : photo, Jonathan Rhys MeyersZiggy Demon et Maxwell Stardust

 

Scène de frime 

Le personnage de Mandy, ex-femme du chanteur incarnée par la toujours brillante Toni Collette, raconte à Arthur comment Slade s’est perdu dans un univers de représentations et de fantasmes. Notamment lors de son aventure passionnée avec Curt Wild, un chanteur américain qui rappelle Iggy Pop et Lou Reed à travers les traits de Ewan McGregor. “Maxwell Demon, Curt Wild... Ils étaient tous des personnages de fiction ! Brian s’est perdu quelque part dans ce mensonge”, déclare Mandy. 

Le film fait tout pour y perdre également le spectateur. Les chanteurs d’aujourd’hui interprètent les chanteurs d’alors, comme Brian Molko du groupe Placebo qui chante sur scène les chansons de T. Rex, et on ne sait plus ce que sont les faits ou ce que sont les dires. Les nombreuses séquences musicales pailletées représentent à la fois la production musicale de Slade, comme des clips, mais racontent aussi le parcours personnel du personnage : sa rencontre avec Mandy, l’évolution de ses envies et de son style... 

 

Velvet Goldmine : photo, Ewan McGregorBowie Wan Kenobi

 

Le spectacle et l’intime deviennent une seule et même chose, il ne reste que la projection que l’on s’en fait. D’ailleurs, le film a beau parler essentiellement de Slade, celui-ci n’est raconté que par les autres, et même les scènes filmées de son point de vue nous sont mises à distance par la musique ou les voix off qui les racontent. 

Le mélange de formats et de qualités d’image (flashbacks, écrans de télévision, pages de journaux...) renforce l’impression que la vie passée est un patchwork fait à partir de projections de l’esprit. Chaque séquence bénéficie d’idées de mises en scène et d’une atmosphère visuelle et musicale différentes, comme si les personnages passaient d’un décor de scène à un autre et que leur vie était une œuvre totale. Derrière ça, Haynes dit que la vérité qu’on nous montre ne sera jamais que la représentation qu’on s’en fait. Mieux que ça : elle sera le reflet de celui qui la regarde, selon ce qu’il y reconnaît de lui. 

 

Velvet Goldmine : photoBrian Air

 

C’est ce que traduit une scène dans laquelle le jeune Arthur Stuart, dans son époque ado timide souffrant d’homophobie, regarde une interview de Slade à la télé avec ses parents. On passe de plans serrés sur ses yeux à des plans serrés sur l’écran qui montre Slade en conférence de presse, où il explique justement que “l’impression” qu’il donne sur sa sexualité, dès lors qu’elle est une impression et qu’elle existe dans la tête des gens, est la vérité. Arthur s’exclame alors “C’est moi !” en pointant l’image de Slade du doigt, parce qu’il se reconnaît en ce qu’il dit. C’est donc le rapport intime entre le regard et l’image qui donne naissance à une vérité : celle selon laquelle une star de la chanson et son admirateur sont, dans la dimension des impressions, une seule et même personne. 

Haynes pousse à son paroxysme l’idée que, pour une idole qui appartient à ses fans, même l’intimité est représentation : la déclaration d’amour entre Brian Slade et Curt Wild, un moment clef dans l’histoire des personnages, est jouée par des poupées mannequin aux mains d’une petite fille hors champ. S’il s’agit d’un clin d’œil au tout premier film du réalisateur, Superstar : a Karen Carpenter Story, c’est encore une façon de dire que chaque recoin de l’existence d’une idole devient la fiction de ses fans et n’existe plus que par elle. 

 

Christian Bale : Photo Velvet GoldmineDes cheveux aussi vrais que ceux de Macron

 

Mémoire magique 

Mais la vérité existe-t-elle dans la fiction ? Comment le journaliste Arthur Stuart peut-il trouver ce qui est arrivé à Slade après son faux assassinat dans une histoire faite d'inventions ? Peut-être en abandonnant un temps son regard de journaliste pour redevenir, par le souvenir, le fan qu’il était. Son patron lui explique que s’il le choisit lui pour couvrir le sujet Slade, c’est parce qu’Arthur se “souvient” de cette époque. Mais, à ce moment-là, il ignore ce que signifie réellement le fait de se souvenir.  

Après s’être entretenu longuement avec Mandy dans le présent, Arthur se remémore ce fameux concert lors duquel il a assisté, plus jeune, au meurtre simulé de son idole. Fort de tout ce que lui a raconté l'ex de Slade, il revit ce souvenir en le complétant avec les personnages et les éléments croisés au cours du film, et remet en place les pièces du puzzle. Dans cette séquence où l'on suit son regard qui fait le lien entre tous les personnages, est-ce qu’Arthur se souvient réellement de ces images, ou est-ce qu’il projette de nouvelles choses sur son souvenir ? 

 

Velvet Goldmine : photo, Jonathan Rhys MeyersMicro-trottoir

 

En tous les cas, le souvenir est vivant et il peut parler, raconter, et se partager. Se partager d’ailleurs littéralement, puisque le dénouement de l’enquête que mène Arthur pour savoir ce qu’est devenu Slade survient d'une manière improbable : le journaliste voit à la télévision l’assistante de la star Tommy Stone et reconnaît en elle Shannon, l’ancienne assistante de Slade. Il en déduit que Slade est devenu Tommy Stone. Un seul détail : Arthur n’a jamais vu Shannon et n’a aucun moyen rationnel de la reconnaître. Sauf en admettant que, grâce à la narration du film, il a pu vivre les souvenirs de la vie de Slade sous forme de flashbacks, tout comme le spectateur. C'est donc finalement grâce au pouvoir de la projection et de l’image que la vérité est enfin révélée

Suite à ça, le fameux Tommy Stone, qui n’est en fait qu’un Brian Slade transformé et incognito, est confronté à son image télévisuelle où il apparaît de nouveau avec son visage de chanteur de Glam Rock. Il ne peut échapper à la seule vérité qui tienne : celle des images, comme le montre la caméra qui se rapproche de l’écran de télévision jusqu'à ce qu'il occupe tout le cadre et ne laisse plus de place à la dimension soi-disant “réelle” du présent. 

 

Velvet Goldmine : photo, Toni ColletteToni-truante

 

Tout comme dans I’m Not There, Todd Haynes démontre donc que la meilleure manière d’atteindre la vérité est de taper à côté jusqu’à ce qu’une impression faite de plusieurs images se dégage. Le réel est mouvant et toujours déjà un souvenir, aussi il ne se trouve que dans l’insaisissable, et on ne peut en connaître que la représentation. Au travers de ce sujet, Haynes en profite pour aborder beaucoup de thématiques qui peuvent connaître la même fluidité, comme l’orientation sexuelle, l’identité de genre, les mouvements rock qui se transforment et se trahissent sans cesse... Autant d’éléments centraux de l’ère Glam Rock et du cri de liberté qu’elle fut. Ou qu'elle semble avoir été, selon ce que nous racontent aujourd'hui les images.

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danny_1952

Pour tous ceux que la littérature, la musique et le cinéma intéressent, voici un film qui mélangent un peu tout ça de façon brillante. Un film sous-évalué par la critique, mais qui mérite d’être vu et revu.

Doop O'Malley

Un de mes films préférés. Il est dans le haut de ma liste concernant les films qui m’ont donné une véritable claque au cinéma avec La Ligne Rouge, les Ailes du désir et Les Accusés.

MIL

Film souvent inconnu. A revoir de mon côté, je me souviens avoir aimé, mais aucun souvenir précis.

Numberz

La vache. Je connaissais absolument pas

Flash

Époque assez jouissive musicalement, Bowie, T-rex, Slade, Roxy Music….
J’avais adoré le film, Erwan Mc Gregor en Iggy Pop et Rhys-Meyers en Bowie étaient parfait.
A revoir absolument !