Hill House, Doctor Sleep... Mike Flanagan, maître de la peur et des pleurs

Mathieu Victor-Pujebet | 8 octobre 2022
Mathieu Victor-Pujebet | 8 octobre 2022

The MirrorNe t'endors pasJessieThe Haunting of Hill HouseDoctor Sleep, Sermons de minuit : retour sur la filmographie du passionnant Mike Flanagan.

 

NOTRE CRITIQUE DE THE MIDNIGHT CLUB


Après quelques films mélodramatiques réalisés lors de ses études (MakebelieveStill Life), le réalisateur Mike Flanagan s'envole pour Los Angeles et se lance dans le cinéma de genre. Son premier long-métrage horrifique, Absentia, se fait remarquer en festival, menant le cinéaste à trouver le succès critique aux côtés de la société de production Blumhouse (The Mirror, Pas un bruit) avant de s'attirer les faveurs du grand public sur Netflix (The Haunting of Hill House, The Haunting of Bly Manor, Sermons de minuit).

Productions réalisées systématiquement pour des studios, les créations de Mike Flanagan se fondent parfaitement aux attentes de l'industrie du divertissement avec des oeuvres généreuses et techniquement imparables. Mais des trips high-concept de ses débuts à ses séries Netflix plus riches et amples, la frousse chez Mike Flanagan dissimule souvent une émotion rare dans le paysage horrifique contemporain.

Artisan orfèvre ou auteur bouleversant ? Alors que sa nouvelle série Netflix, The Midnight Club, ne devrait plus tarder à débarquer sur la plateforme au N rouge, retour sur la carrière d'un des artistes du surnaturel les plus passionnants de sa génération.

 

Midnight Mass : photoVoyage au bout de l'enfer

 

la petite boutique des horreurs

Avec ses jumpscares surprenants et son hors-champ inquiétant, la mise en scène de l'horreur de Mike Flanagan n'est pas si différente de celle de ses contemporains de chez Blumhouse ou du Conjuring-verse. Néanmoins, contrairement à ses plus mauvais collègues, le bonhomme n'utilise pas les mécaniques de surgissement de façon outrancière ou systématique, usant de son sens de la mesure pour offrir des sursauts plus percutants que ceux d'un Annabelle.

Un style tout de même assez souple qui peut se conjuguer à diverses formes de tons et d'univers. Du délire pulp décomplexé de Ouija : Les Origines au huis clos toxique et noir de Jessie, en passant par l'onirisme qui tend au conte de Ne t'endors pas et le romanesque envolé de The Haunting of Bly Manor, Mike Flanagan s'abandonne avec élan et sincérité à chaque architecture de récit qu'il investit.

 

Pas un bruit : photoUne tension qui laisse sans voix

 

C'est particulièrement signifiant lorsqu'il réalise Pas un bruit, thriller horrifique en huis clos où une femme sourde et muette est confrontée seule à un tueur psychopathe qui tente de s'introduire chez elle. Le long-métrage surprend par l'épure de son dispositif et la profonde confiance de son auteur en celui-ci. Dégraissé d'impératifs de protagonistes, d'enjeux et de péripéties, Pas un bruit a simplement cinq personnages, un lieu, une ligne directrice claire et la technicité de son cinéaste pour créer une solide tension.

Il en est de même lorsque Mike Flanagan se frotte pour la première à la forme sérielle avec The Haunting of Hill House. La série s'ouvre sur cinq épisodes qui épousent chacun le point de vue d'un des enfants de la famille Crain, avant un sixième chapitre qui les réunit en un ballet virtuose de plan-séquence et une dernière partie qui démêle peu à peu les différents enjeux du récit. En fragmentant ainsi sa narration, Mike Flanagan accepte et digère complètement les possibilités feuilletonnesques de la série.

 

The Haunting of Hill House : photoMike Flanagan, un des rares créateurs de Netflix à réellement embrasser la forme sérielle ?

 

De cette cohérence interne à chacune de ses oeuvres, le réalisateur se permet néanmoins de surprendre son spectateur à coups d'étonnantes morts de personnages centraux (Ne t'endors pas, Sermons de minuit) et de fins méchantes et/ou amères (The Mirror, The Haunting of Bly Manor). Une façon de constamment remettre à jour ses enjeux et de ne pas laisser son audience se reposer sur ses lauriers.

Cette violence, couplée à de brutales bifurcations de récit – comme le virage gore de Jessie qui contraste avec le sang-froid du reste du film – redynamisent régulièrement sa narration et intensifient copieusement l'expérience. Rien de révolutionnaire en soi, mais une façon de mesurer ses effets qui rend son travail particulièrement efficace et stimulant.

Malgré tout, son filmage distant des fantômes de The Haunting of Hill House et de Doctor Sleep, qui va parfois jusqu'au profond désintérêt lorsqu'il ne filme presque pas le monstre d'Absentia, montre que si son cinéma est bel et bien peuplé de créatures inquiétantes, quelque chose de bien plus terrifiant encore obsède le cinéaste.

 

Jessie : photo, Bruce GreenwoodAvant que ça dérape...

 

RETOUR VERS LE FUTUR

En parlant de créatures, entre l'ombre aux lunettes brillantes qui surgit du passé refoulé de Dani dans The Haunting of Bly Manor, et la femme au visage défiguré par l'accident causé par Riley dans Sermons de minuit, les monstres chez Mike Flanagan sont souvent des manifestations de souvenirs traumatiques. Certains sont des peurs antérieures qui refont surface, mais d'autres des prophéties inévitables, comme en témoigne la femme au coup tordu de The Haunting of Hill House, mort qui résonne dans le temps et remonte le fil de l'existence des protagonistes.

Séquelles du passé ou présages du futur, le temps est cassé chez Mike Flanagan. Mais plus qu'une mécanique de flashbacks déconnectés du récit, le cinéaste invoque les multiples temporalités dans le présent, ancrant ces fragments dans la structure même des décors de ses oeuvres. En témoignent les hallucinations de Jessie qui invitent l'enfance du personnage dans la pièce même où elle est enfermée, ou bien les portes du manoir de Bly Manor, qui permettent de se déplacer d'un souvenir à un autre, d'une boucle à une autre.

 

The Mirror : Photo , Rory Cochrane...lorsque ça a dérapé

 

Le climax de The Mirror en est d'ailleurs révélateur : le miroir du titre parasite la réalité des personnages en les replongeant dans leur passé traumatique. Le face à face de Kaylie et Tim contre l'objet maléfique se voit alors pénétré par les souvenirs de la nuit où leur vie a basculé dix ans plus tôt. Un mouvement de caméra, un contrechamp ou bien un simple raccord au détour d'un couloir réunissent alors les comédiens adultes et leur alter ego enfant.

Tout autant d'outils de mise en scène qui viennent recoller les morceaux d'une temporalité complètement déstructurée. Il en est de même dans le fameux épisode pivot de The Haunting of Hill House, où la caméra s'amuse en une succession de plans-séquences à passer de la cérémonie funéraire de Nelly au manoir de l'enfance des protagonistes.

Conjuguer présent et passé, Mike Flanagan le fait donc visuellement et thématiquement, mais aussi en puisant dans un copieux patrimoine artistique, principalement littéraire (Shirley Jackson, Henry James) et filmique (La Maison du diable, Les Innocents). Doctor Sleep en est sans doute l'exemple le plus riche, mais aussi le plus inégal, en faisant le pont entre le Shining réalisé par Stanley Kubrick et la suite écrite par Stephen King en opposition au même long-métrage de 1980.

 

Doctor Sleep : photo, Ewan McGregorHome sweet home

 

En résulte une œuvre certes hétérogène, mais qui prend le risque de réconcilier ces héritages contradictoires pour créer un univers commun qui réveille les morts, et les confronte aux vivants. Cette nouvelle cohérence trouvée par le mouvement et le récit capte en effet des personnages perdus dans ces labyrinthes temporels.

Des figures sensibles prises dans un flux continu et fatal contre lequel certains tentent de lutter en restant dans le déni (JessieThe Haunting of Bly Manor) ou en défiant carrément la mort (Sermons de minuit), tandis que d'autres se complaisent dans le confort utopique du souvenir (Ne t'endors pas, Ouija).

 

The Haunting of Hill House : photo, Timothy HuttonDéfaite de famille

 

Fire walk with me

Mais rien ne s'oublie chez Mike Flanagan, et le temps ne se laisse pas avoir. Les personnages en prennent d'ailleurs conscience en étant quasi systématiquement confrontés à un instant pivot qui conditionne leur parcours. Le destin de la mère biologique de Cody dans Ne t'endors pas et l'éclipse rouge de Jessie sont autant de séquences clés qui viennent irriguer l'existence des personnages, et donc l'architecture des récits du cinéaste.

En témoigne le personnage de Hannah Grose dans The Haunting of Bly Manor dont les visions de murs fissurés ne sont que des résonnances de sa sombre découverte au fond du puits de la propriété dans l'épisode 5. Ce seul plan contamine le reste de la série, d'une part en révélant que certains personnages sont réellement bloqués dans les murs de Bly, et d'autre part en amassant l'enjeu dramatique d'Hannah en un segment essentiel qui devient le coeur de son parcours. Une attention bien particulière souvent renforcée par l'élan d'une résolution finale.

 

The Haunting of Bly Manor : photo, T'Nia MillerLe personnage le plus bouleversant de Bly Manor ?

 

L'emphase du climax de Ne t'endors pas est bien plus portée sur la prise de conscience du trauma de Cody que sur la confrontation avec le Canker Man. De la même façon, la confession intime du prêtre dans le dernier épisode de Sermons de minuit est bien plus centrale que le duel d'Erin avec la créature qui terrorise le village. L'aboutissement des récits de Mike Flanagan se désintéresse la plupart du temps du spectaculaire affrontement avec l'antagoniste, en faveur du dénouement du périple intime de ses personnages.

C'est pourquoi ses histoires débordent parfois en d'importants épilogues. La conclusion du parcours du personnage éponyme de Jessie n'est pas de se libérer de cette chambre où elle était menottée, mais bien d'être confrontée à l'étrange individu interprété par Carel Struycken et de prendre conscience de son humanité. Idem pour le dernier épisode de The Haunting of Bly Manor, qui s'éloigne rapidement du manoir pour finalement suivre le quotidien de ces amantes qui choisissent d'accepter les fantômes de chacune, et de vivre avec.

 

Sermons de minuit : photoFrousse et larmes à Crockett Island

 

Cette façon qu'a Mike Flanagan de resserrer les enjeux dramatiques de ses personnages en une poignée de séquences découle d'une écriture qui revient toujours à l'individu comme vecteur émotionnel principal, impliquant un fort potentiel d'identification. D'où l'attention toute particulière destinée aux dialogues.

De l'horreur étouffée d'Absentia aux longues confessions de Sermons de minuit, Mike Flanagan n'a eu de cesse de laisser de plus en plus de place aux dialogues dans ses créations, calmant ses élans de mise en scène au profit de l'interprétation de ses comédiens et de la force de son écriture. C'est particulièrement évident dans Sermons de minuit, où l'horreur est presque complètement mise de côté durant toute une partie de la série, laissant plus de place au verbe, traité comme une source particulièrement forte de sentiments, de réflexions et de tension.

À côté de son artisanat horrifique imparable et de sa virtuose mise en scène d'une peur existentielle, c'est en sachant revenir constamment à la trivialité du mot et à une sensibilité épurée que le cinéma de Mike Flanagan libère une force émotionnelle rare et précieuse dans le paysage cinématographique contemporain.

Tout savoir sur Mike Flanagan

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commentaires
Zouzoulive
09/10/2022 à 11:33

J'ai horreur des films d'horreur, des manèges qui font peur, de tout ce qu'on se rajoute pour se faire croire que la vie n'est pas assez terrifiante comme ça par moments.
Je déteste les jumpscares et j'évite les films d'horreur depuis longtemps. Je fais une exception pour Ring (version originale évidemment) et Darkwater, les Japonais ayant un don rare pour susciter l'effroi sans jumpscare, en changeant simplement des éléments du quotidien jusqu'à installer un malaise qui se transforme lentement en terreur pure. Imparable.
Je n'avais donc aucune idée de qui était Flanagan. Totalement par hasard, je regarde sur Netflix Sermons de minuit (au passage, le titre français dénature le sens religieux du titre original, dommage), simplement parce que l'image illustrant la série m'a intriguée.
J'ai été bluffée par le sujet, les personnages, les dialogues. A ce propos, ces derniers ont beaucoup été reprochés au réalisateur ; de mon point de vue, ils sont l'enjeu principal de la série.
La fin m'a émue aux larmes.
Du coup, j'ai tapé Mike Flanagan sur internet et j'ai découvert ce que tout le monde sait, à savoir qu'il est un spécialiste du genre et qu'il est également l'auteur de The haunting of Hill House, également disponible sur Netflix.
Je comprends dès la 1ère scène que ça va être la fête des jumpscares, donc j'hésite fortement à poursuivre . Heureusement, je trouve sur Youtube une vidéo qui compile les jumpscares de la série, je la regarde sans le son, ce qui me permet de regarder la série à peu près sereinement.
Bien sûr, la fameuse partie filmée en un long plan séquence entre le funérarium et le manoir est impressionnante, mais la scène qui me donne la chair de poule est celle de la voiture entre le père et le fils. Pas de fantôme, pas de jumpscare, de l'humain brut hyper efficace.
J'ai commencé The haunting of Bly Manor, mais la récurrence des acteurs de Hill House m'a gênée et j'ai arrêté.
Au final, ce qui rend Mike Flanagan unique en son genre à mes yeux, c'est sa faculté à mettre de l'humain sensible dans un genre où l'humain est habituellement destiné à exposer ce qu'il contient sous la peau : sang, viscères, os broyés... Et de le faire avec une immense vertuosité scénaristique et filmique.
Il me semble que Mike Flanagan suscite des avis très partagés parce qu'il est effectivement entre deux mondes, entre Woody Allen et John Carpenter... Je trouve qu'il le fait super bien.

Ozymandias
23/05/2022 à 10:01

Très fan de son travail, je plussoie fortement !

Martyr moralisateur
22/05/2022 à 22:28

C'est film sont bien mais il font pas vraiment peur ! Mais très sympa à regarder ^^

Après y a des flippette partout lol :)

Kyle Reese
22/05/2022 à 18:04

100% de l’avis de GTB.
L’impression à chaque fois d’être dans un roman d’horreur, riche, poétique, subtile, humain, façon King.
La version longue de son Dr Sleep est excellent même si je préfère la fin du livre.

Mathieu Victor-Pujebet - Rédaction
22/05/2022 à 16:23

@Cringer974

En effet !
Erreur corrigée, merci pour le commentaire !

Maxibestof
22/05/2022 à 16:14

Je suis le seul à ne pas avoir aimé Hill House? Notamment ses scènes "horrifiques" qui ne se finissent pas (on passe direct à la scène suivante).
Par contre, j'ai adoré Bly Manor.

GTB
22/05/2022 à 14:48

Et bien moi je rejoins l'avis de l'article. Je suis particulièrement sensible au travail de Flanagan, qui ne cesse de progresser et qui est désormais l'un des meilleurs auteurs de genre. Sa réal est réfléchie, intelligente, de plus en plus élégante même et surtout, surtout, son écriture est largement supérieure à la moyenne actuelle. Il utilise le genre pour parler de quelque chose, pas juste pour faire frissonner (ce que 90% de la production de genre n'arrive plus à faire du tout d'ailleurs). Si Hill House reconstruisait son récit autour du thème de la famille et d'un mythe du fantôme classique, avec des fulgurances de réal; Bly Manor peint un tableau nettement plus emprunt de tristesse (voire de mélancolie) et un mythe du fantôme peu vu. Mais son chef d’œuvre est Midnight Mass qui, bien que parfois un poil trop verbeux, est d'une maîtrise impressionnante. Une série qui me suit encore quelques mois après le visionnage.
Flanagan devient également très bon dans le non-dit et le hors-champs.

Je vais ma ruer sur ces prochaines œuvres.

Sanchez
22/05/2022 à 14:40

J’ai aimé pas un bruit mais déteste doctor sleep. Son style de mise en scène ressemble à de la série tv et non du cinema

Cringer974
22/05/2022 à 14:32

Dans "Pas un bruit", le personnage principal est sourd, pas aveugle.

Fran
22/05/2022 à 14:08

Pareil que le commentaire précédent. pour moi l'un des réalisateurs actuel les plus sur-estimé

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