Spider-Man, Evil Dead, Jusqu'en enfer... Sam Raimi a-t-il déjà fait un mauvais film ?

La Rédaction | 21 mars 2023 - MAJ : 22/03/2023 12:05
La Rédaction | 21 mars 2023 - MAJ : 22/03/2023 12:05

On lui doit deux des trilogies les plus adulées de l'histoire du divertissement américain et une flopée d'autres classiques populaires. Retour sur la filmographie du grand Sam Raimi.

Avant d'officiellement rejoindre l'écurie du MCU en remplaçant Scott Derrickson aux commandes de Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Sam Raimi était connu des amateurs de comics pour ses adaptations de Spider-Man, qui ont largement contribué à populariser les super-héros à Hollywood. Mais il était également l'idole des aficionados d'horreur grâce à sa trilogie Evil Dead et plus largement une figure importante du cinéma américain grand public.

À l'occasion de son retour sur le devant de la scène, grâce à l'un des plus gros blockbusters de 2022, Ecran Large a décidé de se faire plaisir et de revenir sur l'intégralité de sa filmographie, parsemée d'incontournables, de chefs-d'oeuvre et de petites pépites. Et dans l'ordre, s'il vous plait.

 

Evil Dead 3 - L'Armée des ténèbres : photo, Bruce CampbellHail to the king, baby !

 

It's murder !

Sortie : 1977 - Durée : 1h10

 

It's Murder! : AfficheUn début à tout

 

Ça raconte quoi ? Lorsqu’un père de famille meurt assassiné, un détective mène l’enquête et ses proches s’entredéchirent pour l’héritage.

Pourquoi c'est des débuts prometteurs ? Le jeune Sam Raimi, son frère l’acteur Ted Raimi et ses camarades Bruce Campbell et Scott Spiegel se trouvent très vite une passion pour le cinéma, principalement amateur. « On cotisait ensemble pour s’acheter de la pellicule 8mm à K-Mart, et puis on tournait James Bond avec Bruce Campbell », confiera le jeune cinéaste au Jewish Journal.

Des tas de courts-métrages amateurs répondant aux doux noms de Uncivil War Birds, Attack of the Pillsbury Doughboy ou Shakespeare : The Movie. Parmi eux, un seul peut prétendre au statut de long-métrage, It's Murder!, long d’à peu près 1h10 et trouvable dans une qualité quasi illégale sur le web. Pour le complétiste, l’expérience est douloureuse, mais nécessaire.

 

It's Murder! : photoOn ne vous mentait pas sur la qualité

 

Si la copie visionnée rend difficile toute forme d’analyse, le film est moins annonciateur de ses chefs-d’œuvre que foncièrement amateur. Sans trop se préoccuper des droits des musiques qu’il utilise (standards du classique succèdent aux thèmes de la BO des Dents de la mer ou de Psychose), Raimi parodie les codes du whodunit avec un humour qu’on qualifiera de cartoonesque pour ne pas dire lourdingue. Sa mise en scène se contente grosso modo de cadrer ses personnages, avant que la seconde moitié et sa longue poursuite finale ne relèvent un peu le niveau.

Ce coup d’essai maladroit nous rappelle deux choses. Premièrement, le cinéaste a commencé à tourner avec ses potes et un véritable amour du cinoche populaire modeste. Deuxièmement, il sait se débrouiller pour donner l’impression de dépasser ses limites budgétaires. Deux qualités qui lui serviront lorsqu’il se mettra en tête de rentrer dans la cour des grands, d’abord avec un court intitulé Within the Woods, puis avec un projet du nom de Evil Dead.

La scène qui tue : Sans conteste la poursuite qui fait office de climax, remplie de petites astuces de montage permettant de camoufler le bric et le broc de la production. Quelques plans subjectifs simulent une baston, quelques raccords bien placés une voiture qui passe sous un camion. Si Raimi n'a pas encore les moyens de ses ambitions, il en veut.

 

Evil Dead

Sortie : 1983 - Durée : 1h20

 

Evil Dead : PhotoUne affiche mythique

 

Ça raconte quoi ? Ash Williams et ses amis se mettent au vert dans les tréfonds d'une forêt. La cabane qui devait faire office de logement se révèle moins accueillante que prévu, et sa cave carrément lugubre. Ils y trouvent un grimoire recouvert de peau et un vieil enregistrement. Ils décident de l'écouter. Après tout, qu'est-ce qui pourrait mal se passer ?

Pourquoi c'est un monument du cinéma d'horreur ? Après des années à bricoler des petits films dans son coin, Sam Raimi décide de décliner Within the Woods au format long. L'histoire aussi célèbre que rocambolesque de la production du film, et en particulier de son financement assuré par ses proches et des inconnus démarchés un peu partout, mériterait un article à elle toute seule. Produit pour la somme dérisoire de 375 000 dollars, conçu sur le modèle du système D, tourné en 16mm et dans la douleur, Evil Dead est un geste passionné et fou.

 

Evil Dead : photo, Bruce CampbellOn enterre la concurrence

 

Alors moins amateur d'horreur que de comédie, comme les deux volets suivants le prouveront, Sam Raimi s'échine à travailler le rythme de son récit de possession vaguement lovecraftien (le livre des morts est un cousin du Necronomicon). Là où ses contemporains bien moins fauchés que lui jouent la montre pour ménager leurs effets, le petit prodige alors à peine âgé d'une vingtaine d'années transforme le calvaire de Ash et ses amis en montagne russe démoniaque.

Pour pallier son manque de moyens, il se laisse plutôt aller à l'expérimentation formelle. Il se passe de grues et autres appareils pour leur privilégier les armatures maison. L'originalité des séquences les plus cultes, à l'instar de ces mémorables travellings avant furibards lancés à travers les bois, provient de ces bricolages. De même qu'il substitue aux monstres hors de prix des idées de mise en scène pure : cette course haletante et trébuchante, aux antipodes de la stabilité des steadicam qui sont alors en plein développement, suffit à incarner une menace innommable (encore un principe très lovecraftien). Caractériser un antagoniste à la seule force de la réalisation, ce n'est rien de moins que du cinéma.

 

Evil Dead : photo evil deadLe début des emmerdes pour Ash

 

Grouillant d'humour noir, Evil Dead est une telle démonstration qu'il fait instantanément naître un artiste déjà en pleine possession de ses moyens. Son usage du plan débullé et ses mouvements de caméra agressifs, traquant sans répit les bouts de viandes bientôt avariés qui font office de personnages, le placent directement à l'avant-garde du genre. Et Stephen King, responsable en partie du succès de la chose, ne s'y est pas trompé. Le tout est évidemment assaisonné d'un véritable torrent d'hémoglobine, d'une déferlante d'effets gores et d'une poignée de plans en stop-motion, qui font sa renommée des dizaines d'années après sa sortie.

Encore aujourd'hui, malgré deux suites audacieuses, un remake génial transformant sa générosité en opéra gore terminal et une série délirante, ce petit film de potes est une institution et un immanquable pour quiconque souhaite se lancer dans le cinéma sans papa producteur. Aux côtés des splatters de Peter Jackson, il a marqué le cinéma d'horreur au fer rouge sang et fait de son auteur l'un des cinéastes les plus passionnants du divertissement populaire américain.

 

Evil Dead : photoPremières images de Joker 2

 

La scène qui tue : Ils sont coriaces, ces deadites ! Alors que le pauvre Ash enterre son ami, une main sort du sol (le seul plan qui se rapproche un tant soit peu de la légendaire affiche) et lui agrippe la jambe. Si la baston à coups de barre de fer qui s'ensuit est assez maligne, jouant sur le rythme frénétique des champs et contrechamps, c'est bien le fatality infligé par notre survivant préféré qui remporte la palme.

 

 

Acculé, il saisit une pioche et frappe son agresseuse. Douze plans plus tard, le temps de décomposer un seul mouvement, elle est décapitée, laissant tomber son tronc pissant le sang sur Ash. Tel un Alfred Hitchcock du gore (on assume), Sam Raimi surdécoupe la séquence pour rendre crédible ses effets fauchés... et faire de cet affrontement un ballet stylistique, à mi-chemin entre le comique de geste et l'horreur pure. Encore une fois, c'est la réalisation qui dicte le ton du film, et non l'inverse

 

Mort sur le gril

Sortie : 1985 - Durée : 1h23

 

Mort sur le gril : photo, Reed BirneySmoking / No smoking

 

Ça raconte quoi ? Les dernières heures de Vic Ajax, sur le point de griller sur la chaise électrique à cause d'une erreur judiciaire. Pas vraiment ravi de finir ainsi, il raconte à qui veut l'entendre les péripéties qui l'ont mené là.

Pourquoi c'est une petite pépite imparfaite ? Croyez-le ou non, Joel Coen a travaillé sur le premier Evil Dead. Alors jeune assistant de production, il a secondé Edna Ruth Paul lors du montage du film. Il a ensuite écrit un premier scénario avec son frère, Blood Simple, qu’il a fini par concrétiser grâce à une bande-annonce promo vouée à lever les 750 000 dollars nécessaires, avec en tête d'affiche… Bruce Campbell. Le succès de Blood Simple derrière elle, la fratrie s’est remise à l’écriture, cette fois-ci pour Sam Raimi. Un trio de rêve, qui n’a pourtant pas marqué les esprits.

 

Mort sur le gril : photo, Louise LasserUn trombinoscope gratiné

 

Coincé entre les deux premiers Evil Dead et souvent sous-estimé dans la carrière de ses illustres créateurs, Mort sur le gril doit son oubli à sa production houleuse et à sa sortie difficile. Dès la phase de casting, les relations entre Raimi et le studio - le premier vrai studio avec lequel il collaborait - se sont vite tendues. En cause : l'obstination du réalisateur à engager son ami Bruce Campbell, contre l'avis des exécutifs. Finalement, l'inoubliable Ash Williams a hérité d'un rôle secondaire. Problèmes de budget, d'actrice, de montage, de musique... Du tournage à la post-production, les conflits se multiplièrent, jusqu'à la sortie et l'échec commercial.

Pourtant, non seulement Crimewave est très drôle, mais il exhibe encore plus qu'Evil Dead le style visuel que le cinéaste n'a cessé de développer par la suite, directement inspiré du comic book. Le scénario des Coen parodie les codes du film noir hollywoodien et le cinéaste en rajoute une couche en exacerbant jusqu'au ridicule les conventions esthétiques du genre. Beaucoup de ses audaces esthétiques préfigurent les sommets à venir de sa filmographie, en particulier Mort ou Vif et les Spider-Man.

 

Mort sur le gril : photo, Bruce CampbellObjectif : avoir autant la classe que Bruce Campbell

 

Certes, l'ensemble est très décousu, mais la mise en scène motive à elle seule le visionnage. Même acculé par ses producteurs et terrifié de voir sa carrière naissante lui échapper, Sam Raimi impose son style. Et ce n'est que le début.

La scène qui tue : Difficile d'appeler ça une scène. C'est plutôt la chute (sans mauvais jeu de mots) d'une scène. Un personnage est précipité à travers une vitre et s'écrase en contrebas. Pas question cependant pour Raimi de se contenter d'un seul plan. Il compose quelques visions qu'on croirait échappées d'une bande dessinée avant qu'il ne touche le sol, soulignant davantage la délicieuse artificialité de l'ensemble.

 

 

Ces quelques plans préfigurent à la fois les délires cartoonesques des suites d'Evil Dead et les jeux de miroirs spectaculaires de Spider-Man. Déjà le cinéaste s'amuse avec les perspectives, déforme les arrière-plans, multiplie les angles grâce aux bris de verre et quelques astuces techniques. La preuve que Mort sur le Gril comporte déjà en creux beaucoup de ses gimmicks les plus savoureux.

Evil Dead 2

Sortie 1987 : - Durée : 1h25

 

Evil Dead 2 : photo, Bruce CampbellA star is born 

 

Ça raconte quoi ? La même chose qu’Evil Dead, mais en plus fou, plus trash et plus méchant.

Pourquoi c'est le terrain de jeu de Sam Raimi ? Le premier Evil Dead a été un succès critique et commercial surprise. Son budget étriqué estimé à 375 000 dollars a forcé le cinéaste à déborder d’inventivité pour pallier les lacunes techniques, transformant ainsi l’essai après son premier long-métrage. Mais ce n’est que six ans plus tard que Sam Raimi a pu parfaire sa copie (n’allons pas jusqu’à dire son brouillon) avec Evil Dead 2, la suite-remake qui a installé la légende. 

En bénéficiant d’un budget plus confortable de 3 millions de dollars, le film est devenu le laboratoire d’expérimentations d’un Sam Raimi reconverti en scientifique fou. Après sa virée cartoonesque dans Mort sur le gril, il reprend les grandes lignes de l’intrigue du premier volet en adoptant un ton plus parodique et railleur. Evil Dead 2 marie ainsi l’humour braillard et burlesque à une violence physique exacerbée et de l’absurde plus crade et jubilatoire qui a donné son ton au reste la franchise. 

 

Evil Dead 2 : photo, Bruce CampbellSouffre-douleur 

 

Mais l’horreur d’Evil Dead 2 n’est pas seulement contenue dans ses effets gores et sa surenchère d’hémoglobine. Il se trouve aussi dans le sadisme dont le réalisateur fait preuve envers son personnage principal. Ash est torturé aussi bien physiquement que psychologiquement, jusqu’à basculer dans la folie et devenir aussi inquiétant que les démons qui le cernent.

Pour casser l’inertie de son unité de lieu, il personnifie sa caméra, qui incarne le Mal dans des travellings rapides devenus une marque de fabrique, multiplie les angles incongrus, déstructure les cadres et ne se prive d’aucun gros plan outrancier pour appuyer la frénésie du personnage, et même plus globalement de son cinéma. 

 

Evil Dead 2 : photoJusqu'à l'aliénation

 

La scène qui tue : Si le film fourmille de saynètes mémorables, une des plus cultes et symboliques reste celle où Ash se bat contre sa propre main, et finit non sans mal par gagner. On y retrouve l’énergie de Tex Avery avec des gags visuels clownesques - comme se casser des assiettes sur la tête - et une vitesse accélérée pour mimer le dynamisme de l’animation.

 

 

 

Mais aussi tous les gimmicks du réalisateur : plan en contre-plongée dans l’évier, caméra subjective qui anime un peu plus la main, mouvements étirés et cadre déconstruit sur le visage halluciné d’Ash qui se tranche la main. Et aussi du sang. Beaucoup de sang. C’est également la scène qui a marqué la naissance de Ash comme anti-héros de la culture populaire, avec son caractère cynique et arrogant, sans oublier son moignon-tronçonneuse qui caractérise pour moitié le personnage.  

 

Darkman

Sortie : 1990 - Durée : 1h36

 

Darkman : photoL'homme pas vraiment invisible

 

Ça raconte quoi ? Peyton Westlake est un généticien de génie qui profite d'une vie idyllique... du moins jusqu'à ce que son laboratoire soit attaqué, et qu'il soit laissé pour mort et défiguré. Grâce à son travail sur la peau synthétique, il met en place un plan pour se venger de ses agresseurs.

Pourquoi c'est un galop d'essai important pour Sam Raimi ? Après avoir longtemps fantasmé de réaliser un film sur The Shadow (lequel devait être confié à Robert Zemeckis), Sam Raimi a décidé d'inventer son propre super-héros avec Darkman. Non seulement on peut voir dans cet appétit l'intérêt profond du cinéaste pour les univers de bandes-dessinées, mais surtout pour le passage d'un médium à l'autre.

 

Darkman : photoLook de BG

 

Et avant que Spider-Man ne vienne enfoncer le clou, Darkman s'impose déjà comme un joli diamant noir, dans lequel le réalisateur d'Evil Dead s'amuse avec sa créature inspirée par les monstres d'Universal. Au travers du contexte urbain qu'il investit, le film fait de son super-héros une tache pestilentielle qui pervertit l'environnement qui l'entoure. De la sorte, Raimi plonge son projet dans un kitsch assumé et salvateur, où les élans expressionnistes viennent attaquer son univers comme de l'acide.

Quand bien même la production du film fut chaotique (et on en perçoit les stigmates dans la structure un peu trop prévisible de l'ensemble), Darkman reste un exercice passionnant, qui annonce la manière avec laquelle Sam Raimi va transcender le cinéma de super-héros par la suite.

 

Darkman : photo, Liam NeesonSam Raimi et la puberté

 

La scène qui tue : Alors qu'il retrouve sa petite amie (Frances McDormand) à une fête foraine, Peyton (Liam Neeson) se laisse emporter par la colère lorsqu'il essaie de gagner une peluche pour sa bien-aimée. Au-delà de son décor aux allures enfantines, le film crée rapidement un décalage grâce à son héros, tandis que Sam Raimi le montre changer d'humeur comme s'il pénétrait dans une autre dimension.

Toute la séquence ne repose d'ailleurs que sur un débordement : celui de la haine du protagoniste, mais aussi d'un enfer qui se déverse par des fractures dans le cadre. Pas étonnant que Raimi profite de ce contexte de foire pour une mise en scène volontairement grand-guignolesque, où les plans débullés et les projections de couleurs vives pètent dans tous les sens.

 

 

En plus, le cinéaste n'en oublie jamais son sens de l'humour (noir), en particulier lorsqu'un panoramique en trois temps observe chaque personnage de la scène en train de hurler. Comme quoi, le timing, ça fait tout ! 

 

Evil Dead 3 : L'Armée des ténèbres 

Sortie : 1994 - Durée : 1h36

 

Evil Dead 3 - L'Armée des ténèbres : photo, Bruce CampbellDarwin en prend un coup

 

Ça raconte quoi ? Ash est propulsé à Kandaar, au beau du Moyen-âge, des croisades et de l’affrontement millénaire entre les forces du bien et celles du mal. Qu’à cela ne tienne, il s’apprête une nouvelle fois à sauver l’univers. Ou pas. 

Pourquoi c’est un des plus émouvants Sam Raimi ? Evil Dead 3 - L'Armée des ténèbres ne pourrait prétendre au titre de plus grand chef d’œuvre cosmique conçu par le commandeur transcendantal de l’Internationale Geek (Sam Raimi donc). L’honnêteté contraint à reconnaître qu’il n’est ni son opus le plus abouti techniquement ni le mieux narré, pas le plus stupéfiant en termes de mise en scène, et sans doute le moins instantanément culte de la trilogie originelle qui fonda le mythe Evil Dead

En revanche, c’est peut-être la proposition du réalisateur la plus radicalement décomplexée et généreuse, surtout quand il s’agit de marier les innombrables influences qui composent son imaginaire. Le cinéaste avait-il les moyens ou la crédibilité pour réaliser un film de guerre médiéval, une aventure de dark fantasy (à une époque où il était parfaitement inimaginable de voir ce sous-genre traité correctement par Hollywood) ? Évidemment pas. 

 

Army of Darkness : photoUne narration à l'os

 

Mais qu’importe, le voici qui se sert de la conclusion de son cultissime Evil Dead 2 pour précipiter son génial anti-héros, Ash Williams, dans un décor qui lui permettra de faire tourner épées, hallebardes et catapultes. Sauf que, comme à son habitude, le bon Raimi n’en reste pas à un unique univers, convoquant tout son amour pour le cinéma d’aventure à l’ancienne, pour les effets spéciaux animés par Ray Harryhausen, dont il clonera à plusieurs reprises les combattants squelettes qui firent la légende de Jason et Les Argonautes

Et parce que personne ne s’inquiète outre mesure ici de la cohérence ou du rythme général d’un métrage aux airs de best-of orgasmique, le chef d’orchestre marie tout, souvent avec génie comme en témoignent les quelque dix minutes pendant lesquelles il transforme son film d’aventure en hommage (violent) aux 3 Stooges, dans un délire clonesque et clownesque hérité du slapstick. 

Renouant avec la démente générosité propre à l’enfance, L’Armée des Ténèbres est certes un film bricolé, pas loin du monstre de Frankenstein. Mais un monstre qui viendrait nous faire un inoubliable câlin. 

 

Army of Darkness : photo, Bruce Campbell"Quoi la suspension d'incrédulité ? Comment ça s'écrit déjà ?"

 

La scène qui tue (Game of Thrones) : La série HBO, quand bien même de nombreux spectateurs ont détesté sa fin, a au moins été saluée pour la qualité épique de l’ultime bataille de Winterfell, durant laquelle les forces cadavériques des Marcheurs Blancs s’en prennent à l’humanité. Préparez-vous à remballer vos louanges, le seul siège démentiel de l’histoire du cinéma, c’est celui de L’Armée des ténèbres

En moins de trois minutes, Sam Raimi emballe une quantité de plans incroyablement iconiques, nous balance des chevaliers squelettes, des maquettes, des plans composites, de l’animation, des marionnettes, des chevaliers, la musique généreuse de Joseph LoDuca, le tout au rythme d’une générosité affolante, qui donne à l’ensemble une drôlerie étonnante. 

 

 

Une drôlerie qui ne vise jamais à désamorcer la sincérité du propos ou son ambition de spectacle. Le rire chez Raimi n’a jamais été aussi innocent et révélateur, à contrario, des lignes stylistiques qui parcourent l’œuvre. Ainsi, comment ne pas frissonner quand la caméra traverse une allée d’oriflammes, pour nous préparer à l’entame d’une bataille hilare et brutale ?  

 

Mort ou vif

Sortie : 1995 - Durée : 1h48

 

Mort ou vif : photoÇa va barder

 

Ça raconte quoi ? Ellen, une mystérieuse inconnue au passé trouble, débarque dans la petite ville de Redemption pour participer au tournoi de duels s’y déroulant chaque année et organisé par le tyran de la ville, John Herod. C’est le début d’une sombre histoire de vengeance…

Pourquoi c'est une petite expérimentation amusante de Sam Raimi ?  En 1995, Sam Raimi est considéré comme un réalisateur de l’horreur, voire du gore, uniquement. Toutefois, le cinéaste a déjà une vraie patte et semble même porté par une ligne directrice passionnante : dynamiter les codes. Après s’être réjoui d’exploser ceux de l’horreur dans les Evil Dead et avoir amorcé sa revisite du genre super-héroïque avec Darkman, Sam Raimi continue donc ses expérimentations avec le généreux Mort ou vif. Travelling compensé, plans débullés à gogo, demi-bonnette, montage au rythme effréné… pendant 1h48, le western devient un immense terrain de jeu pour Sam Raimi.

 

Mort ou vif : photo, Gene HackmanS'amuser avec les perspectives et les angles

 

Ainsi, le monsieur s’amuse à pasticher le western spaghetti dans un style ultra-outrancier sacrément jubilatoire. De ce tir en pleine tête créant un trou béant aux nombreuses giclées de sang abondantes durant les duels, Sam Raimi explore les frontières du western spaghetti avec une exubérance esquissant, bien avant lui, les folies graphiques de Tarantino dans Django Unchained et Les 8 Salopards ou, plus récemment, celles de Jeymes Samuel dans son The Harder They Fall.

Il en résulte quelques idées géniales de mise en scène, à l’image de ses trous dans les corps se laissant découvrir sur les ombres des personnages grâce aux rayons du soleil, ou les petits clins d’œil de Sam Raimi à ses propres films d’horreur, provoquant quelques montées d’adrénalines inattendues et bousculant les attentes.

 

Mort ou vif : photo, Sharon StoneUne furie traumatique


Car au-delà de la simple expérimentation formelle autour du western, Sam Raimi propose une vraie galerie de personnages, notamment avec ceux de Sharon Stone, Gene Hackman, Russell Crowe et Leonardo DiCaprio. Alors évidemment, avec son récit sous forme de grande tragédie grecque (parricide, vengeance…) et sa structure en flashbacks-souvenirs, Mort ou vif pompe allégrement Il était une fois dans l'Ouest, mais ses personnages avancent au gré de leur parcours singulier. Mieux, derrière ses atours cartoonesques, le film évoque également de nombreux sujets assez modernes pour l’époque, notamment sur le viol (ou le sexisme du genre) et l'émancipation d'une femme s'accomplissant elle-même (socialement et sexuellement), chose bien trop rare sur les écrans pour ne pas être soulignée.

La scène qui tue : En vérité, le nombre de scènes marquantes dans Mort ou vif est assez important avec ses innombrables duels de flingues, finissant en mare de sang, en explosion extrêmement spectaculaire ou en relents horrifiques réjouissants (ce personnage poursuivant Ellen jusque dans le saloon). Toutefois, la scène qui montre peut-être le mieux la capacité de Raimi à transcender le matériau à sa disposition se déroule dans le premier tiers du film.

 

 

Alors que chaque participant s’inscrit au tournoi de duels dans le saloon, le terrible John Herod débarque et soudainement, l’ambiance joviale vacille (notamment grâce à la superbe musique de Silvestri), le vieux tyran décidant de torturer le révérend Cort (puisqu’il refuse de participer au concours pour ne pas retomber dans la violence qu’il a délaissée) avant qu'il ne soit sauvé in extremis par une Ellen tirant plus vite que son ombre.

En quelques minutes, Sam Raimi s'offre alors une scène repère, captant à la fois tous ses protagonistes, tous les enjeux de son récit et jouant aussi sur les tonalités. Entre la rigolade des premiers instants, la tension croissante, le jeu de torture vicieux, le sexisme manifeste et sa grande explosion finale révélant l'habileté d'Ellen aux autres personnages et amorçant le traumatisme derrière sa motivation aux spectateurs, la scène renferme l'essence même de Mort ou vif.

 

Un plan simple

Sortie : 1999 - Durée : 2h01

 

Bill Paxton : Photo Un plan simpleLe rêve américain ça se gagne

 

Ça raconte quoi ? Par une froide après-midi du jour de l'an, trois hommes découvrent dans l'épave d'un avion de tourisme un sac contenant quatre millions de dollars. Après une longue discussion, ils décident de garder l'argent et mettent sur pied un plan simple.

Pourquoi est-ce que c’est un thriller impeccable  ? Parce qu'Un Plan simple sonne comme une étonnante exception dans la carrière folle et baroque de ce cher Sam Raimi. Exit le filmage vertigineux et le découpage surexcité caractéristiques du cinéaste, et bonjour une mise en scène plus posée et centrée sur les décors et les personnages. Le bonhomme le dit lui-même, il voulait que "la caméra fasse en sorte d'être invisible et au service des acteurs"

 

Photo Bill Paxton, Billy Bob ThorntonFrères de sang

 

En résulte un thriller tenu, à l'atmosphère enneigée et oppressante, et au récit noir qui révèle les instincts les plus sombres de l'être humain. En témoigne la musique inquiétante de Danny Elfman qui participe à cette marche funèbre où chaque personnage est constamment à la limite de commettre l'irréparable. Une version presque nihiliste du Fargo réalisé par les frères Coen quelques années plus tôt dans le Minnesota - là où Sam Raimi a aussi filmé Un plan simple

Une noirceur qui tient beaucoup du scénario de Scott B. Smith, qui adapte ici son propre roman. En suivant des personnages tous en quête d'un ailleurs qui les rendra capables du pire, le récit se concentre autant sur la tension liée à la peur d'être démasqué qu'à la tristesse des conséquences des choix faits par les protagonistes. Une mélancolie brillamment servie par la prestance de Bill Paxton, l'innocence de Billy Bob Thornton et la fausse candeur de Bridget Fonda. 

 

Photo Bill Paxton, Billy Bob ThorntonCe moment où tout bascule...

 

La scène qui tue : Dans la seconde moitié d'Un plan simple, le trio de malfrats se disloque définitivement puisque Jacob se voit obligé de tuer le personnage de Brent Briscoe. Après le pétage de plomb furiesque de la femme du mort, la rigueur de Sam Raimi s'illustre en un découpage précis qui nous fait voir tour à tour à travers les yeux de Nancy et ceux de Hank. Un bref champ-contrechamp où la place du fusil dans le cadre et le rapport plongée-contre-plongée fait alors drastiquement monter la tension.

 

 

Un gain de puissance qui aboutit à un passage où l'inquiétant clair-obscur de la cuisine sonne comme un surgissement d'épouvante avant un échange de coups de feu qui projette brutalement la nouvelle veuve contre la fenêtre. Une explosion de violence teintée d'une légère touche de grotesque qui permet au réalisateur de puiser dans ses habiletés de cinéaste de genre, tout en mesurant précisément ses effets, pour livrer une séquence à l'image du film : sans fioriture, mais terriblement efficace.  

 

Pour l'amour du jeu

Sortie : 1999 - Durée : 2h18 (!)

 

Pour l'amour du jeu : photo, Kevin CostnerDes étoiles dans la vie de Kevin

 

Ça raconte quoi ? Billy Chapel, légendaire lanceur de base-ball, doit faire face au rachat de son club, à l'éventualité de sa retraite et au départ de la femme de sa vie. Il participe au potentiel dernier match de sa carrière et se rappelle les étapes-clés de son parcours.

Pourquoi c'est une parenthèse mièvre enchantée ? Jusqu'alors encore un peu en marge de l'industrie hollywoodienne, Sam Raimi plonge la tête la première dedans avec cette adaptation d'un roman du début des années 1990. Une histoire américano-américaine, produite à hauteur de 50 millions de dollars et interprétée par le plus américain des Américains, Kevin Costner, remplaçant au pied levé le deuxième plus américaine des Américains, Tom Cruise. Le metteur en scène déclare s'être pris d'affection pour le projet en raison de son amour pour le base-ball, le plus américain des sports.

 

Pour l'amour du jeu : photoOn tient la chandelle

 

Un quarantenaire repentant, une trentenaire amoureuse, des avions ratés in extremis, des scores sportifs parfaits et des sceaux entiers de bons sentiments... Pour l'amour du jeu coche une à une les cases du divertissement du terroir, qui évince les badineries au profit de l'amour, la monoparentalité au profit de la famille nucléaire, sans pour autant manquer de laisser son héros implorer le bon Dieu yankee au beau milieu du climax. Ça dégouline de partout, ça suinte de dialogues niais et de thèmes musicaux inspirants (signés Basil Poledouris quand même). On est à des millénaires lumières de la méchanceté frénétique d'Evil Dead.

Peut-être la patte unique de Sam Raimi transcende-t-elle ce produit formaté à l'extrême ? Que nenni. Tout juste le cinéaste parvient-il à donner le change des traditionnels montages euphoriques du genre en connectant ses ellipses. Il assumait pourtant de s'attaquer à un défi de taille : rendre regardable l'un des sports les plus soporifiques jamais inventés par l'Homme. Et s'il tente de rendre la chose à peu près palpitante en simulant un ultra-instinct de lanceur (rires), il ne transcende jamais un script atrocement répétitif.

 

Pour l'amour du jeu : photo, Kevin Costner, John C. ReillyAvec un sacré casting secondaire

 

Oubliable et surtout interminable, quand bien même Universal a coupé quelques morceaux de dialogues pour éviter le classement R, au grand dam de Costner et de Raimi, Pour l'amour du jeu a pour lui de rappeler que toutes les filmographies ont leurs faiblesses, et que même les plus grands esthètes du cinéma populaire peuvent se laisser séduire par le classicisme de l'Oncle Sam.

La scène qui tue : Logiquement, c'est lors de la scène la plus sanglante que le prophète du cinéma gore parvient à s'émanciper de la lourdeur de son récit pour y insuffler un peu de nuance, voire d'ironie. C'est le tournant (longtemps attendu) de la carrière de Billy : il se blesse en coupant du bois. Alors qu'on l'accompagne jusqu'à l'hélicoptère, il glisse à la femme qui vient de sauver l'épilogue de sa carrière que la personne la plus importante du moment est son médecin d'équipe. Ou comment résumer en une réplique le conflit qui sera résolu à la fin, celui qui oppose sa passion et ses passions.

 

 

Avant ça, sa compagne hurle dans l'hôpital pour en appeler au patriotisme américain, ce qui libère automatiquement un médecin. On y verrait presque un ricanement caché, qui trahirait que le réalisateur n'est pas dupe et qu'il ne s'est pas encore complètement fondu dans le pire versant de l'industrie américaine.

 

Intuitions

Sortie : 2001 - Durée : 1h52

 

Intuitions : photo, Cate BlanchettCate Blanche comme neige

 

Ça raconte quoi ? Dans une petite ville évidemment pas si tranquille, Annie Wilson est connue pour ses dons de voyance, qui lui permettent de survivre, avec ses enfants, depuis la mort de son mari. Lorsque la chic et riche Jessica King disparaît mystérieusement, elle commence à avoir des visions légèrement inquiétantes de son cadavre, et aide la police à retrouver le meurtrier, caché parmi la communauté.

Pourquoi c'est un Sam Raimi parfaitement calibré ? D'un côté, Intuitions a tout d'un film de studio, avec son intrigue de thriller-polar sous forme de whodunit, et sa brochette très hollywoodienne (Cate Blanchett, Hilary Swank, Keanu Reeves, Katie Holmes, Gregg Kinnear et Giovanni Ribisi). De l'autre, c'est une petite anomalie du système, avec un budget de 10 millions (cinq fois moins que Pour l'amour du jeu), un financement indépendant à 90% (avec une aide de Paramount) et un scénario de Billy Bob Thornton et Tom Epperson plus tordu qu'il n'y paraît.

C'est dans cette zone grise que Sam Raimi s'amuse. Sous la surface du thriller classique et grand public (sexe, mensonges et révélations) se cachent ses petites obsessions. Les vieilles baraques et étendues marécageuses de la Géorgie, l'omniprésence du surnaturel, les visions cauchemardesques, les gueules un peu cassées (mention spéciale au département perruques et autres accents) : c'est presque le petit abécédaire de Sam Raimi pour les nuls, javellisé et passé à l'eau tiède du cinéma grand public.

 

Intuitions : photo, Katie HolmesAu fond de la Creek de Dawson

 

Souvent oublié, Intuitions mérite pourtant sa place dans la filmographie de Sam Raimi. Arrivé à un moment charnière dans sa carrière, après quelques flops remarqués (Mort ou vif, Pour l'amour du jeu), et avant le triomphe hollywoodien (la trilogie Spider-Man), il marque un étonnant point d'équilibre. Le monde semble moins cauchemardesque, mais l'étrangeté existe partout. Les folies sanglantes et extrêmes d'Evil Dead sont loin, mais le démon est toujours tapi dans la chair, que ce soit avec le père de Buddy, Donnie et bien sûr Wayne, le faux gendre idéal.

Sous ses airs de thriller carré, Intuitions porte bien l'empreinte du cinéaste - et pas uniquement avec la présence de JK Simmons et Rosemary Harris. Il suffit d'un crayon qui roule sur un bureau et d'une ombre délirante sur le visage de l'héroïne, pour voir Sam Raimi à l'oeuvre. Le film fonctionne encore mieux en miroir avec Jusqu'en enfer : entre Cate Blanchett touchée par la grâce divinatoire et Alison Lohman frappée par le sceau du mal, le parallèle est évident. Sam Raimi est indubitablement en sous-régime, et déterminé à protéger une douce lumière, mais même là, il reste un artisan de premier ordre.

 

Intuitions : photo, Keanu ReevesKeanu vise

 

La scène qui tue : Cate Blanchett qui se réveille en pleine nuit d'un cauchemar (une promenade autour du lieu du crime), pour en affronter un autre (la vision du cadavre de Jessica dans l'arbre). Dans la première partie, l'héroïne aperçoit un violoniste jouer le thème du film dans un décor onirique, où la musique déraille pour aller vers des notes purement horrifiques (et très proches de celles de Jusqu'en enfer, composées, elles aussi, par Christopher Young). Dans la deuxième, elle lève les yeux au ciel pour découvrir que les gouttes d'eau tombent d'une hallucination.

 

 

Le cauchemar dans le cauchemar, l'utilisation des zooms sur les yeux, les simples mais parfaits effets de montage, l'idée mi-terrifiante mi-grotesque d'un cadavre flottant dans les branches : Sam Raimi en petite forme, dans un cadre très poli, mais Sam Raimi tout de même. 

 

La trilogie Spider-Man

Sortie : 2002 / 2004 / 2007 - Durée : 2h01 / 2h08 / 2h19

 

Spider-Man : photoLes plus grands films de super-héros ?

 

Ça raconte quoi ? Les aventures de Peter Parker qui, après s'être fait mordre par une araignée radioactive, traverse sa puberté, devient Spider-Man et apprend que de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités.

Pourquoi le cinéma de super-héros lui doit tout ? Contrairement à la plupart des serpillères actuelles qui se retrouvent aux commandes d'un blockbuster en ayant juste signé un ou deux films indépendants, Sam Raimi a gravi les échelons petit à petit. Ses compétences artistiques ont ainsi toujours été en accord avec les prouesses techniques permises par ses budgets.

Résultat, la trilogie originale de Spider-Man reste encore aujourd'hui inégalée, ne serait-ce que pour sa manière d'adapter de manière organique l'énergie et les couleurs des comics d'origine. On est certes habitué désormais à ces travellings numériques vertigineux suivant des héros en collants usant de leurs super-pouvoirs, mais il faut bien remettre en perspective l'impact du vertige ressenti devant le premier Spider-Man en 2002. C'est bien simple : la démarche de Sam Raimi a posé les codes sur lesquels repose l'entièreté du genre, de l'iconisation de ses personnages à la manière de déployer leur origin-story.

 

Spider-Man 2 : photo, James FrancoQuand quelqu'un te dit qu'il préfère les Spider-Man d'Andrew Garfield ou de Tom Holland

 

Car derrière le grand spectacle virtuose et purement cinégénique, la première adaptation des mésaventures de Peter Parker est empreinte d'une touchante humanité, portées par la tendresse de l'interprétation de Tobey Maguire. D'une métaphore maline de la puberté via l'apparition des super-pouvoirs en passant par les dilemmes cornéliens de ses récits, Raimi parvient à tirer de sa figure héroïque un modèle universel de l'adolescence. Ce postulat ne serait d'ailleurs rien sans ses méchants incarnés, toujours portés par des motivations claires et des ambitions qui les font tristement courir à leur perte.

Et même si Spider-Man 3 a amorcé à sa manière les dérives du cinéma super-héroïque actuel (trop de méchants, trop de sous-intrigues, trop de raccords au matériau de base), il n'empêche que son rythme et ses envies stylistiques (la scène de la grue, mazette !) enterrent encore aujourd'hui les trois quarts de la concurrence. C'est qui le plus fort ?

 

Spider-Man 3 : photoDes films qui prennent aux tripes

 

La scène qui tue : Difficile de choisir une séquence en particulier tant la trilogie Spider-Man regorge de moments cultes, qu'il s'agisse de la transformation de l'Homme-sable dans Spider-Man 3 ou de la scène d'action sur le métro dans Spider-Man 2. Néanmoins, en restant sur le deuxième opus, il faut s'attarder sur le petit miracle que constitue la naissance du Dr. Octopus.

Si le cinéma de super-héros tend à souffrir de son normativisme, Sam Raimi immisce au sein de son blockbuster tous publics une pure scène d'horreur, qui confirme toute la maestria que l'auteur a développée dans sa gestion du genre. En se privant de la musique de Danny Elfman, cette introduction dans un hôpital crée une tension insoutenable, tandis qu'un travelling d'une beauté hallucinante dessine un terrain de jeu (le bloc opératoire) qui va vite se transformer en chaos total.

 

 

Les scies circulaires deviennent immédiatement des objets inquiétants, mais pas pour les bras robotiques de l'antagoniste. En les approchant de l'oeil des médecins, difficile de ne pas  fantasmer des images horribles façon Un chien andalou. De cette compréhension intrinsèque du montage et de sa puissance suggestive, Raimi assemble ses mouvements de caméra brusques dans une série d'à-coups d'une violence inouïe, sans avoir recours au sang. Les tentacules se répandent dans le cadre comme des monstres sauvages, reflet de la perte de contrôle d'un corps aux allures de tragédie grecque. Une masterclass qui vaut tous les cours de cinéma du monde !

 

Jusqu'en enfer 

Sortie : 2009 - Durée : 1h39

 

Jusqu'en enfer : photo, Lorna RaverFaut pas pousser mémé 

 

Ça raconte quoi ? De la malédiction lancée sur Christine Brown, l’employée d’une agence de crédit immobilier, qui s’est mis à dos une grand-mère très flippante après avoir refusé de prolonger son hypothèque. 

Pourquoi c'est un bon retour aux sources ? Après sa trilogie Spider-Man, Sam Raimi est revenu à son genre de prédilection en signant un nouveau film d’horreur. S’il penche autant vers la comédie burlesque qu’Evil Dead, Jusqu’en Enfer est une relecture assagie de la malédiction démoniaque, autant dans le fond que la forme qui s'avèrent moins exubérants et décomplexés malgré la maîtrise technique évidente. Le film souffrira toujours de la comparaison avec la trilogie d'horreur qui a fait sa réputation, mais Sam Raimi n'a rien perdu de son cynisme et livre avec ce quatorzième long-métrage une histoire tout aussi nihiliste, si ce n'est plus encore.

 

Jusqu'en enfer : photo, Alison LohmanSam Raimi aime salir ses personnages

 

Christine est certes moins malmenée physiquement que le personnage de Bruce Campbell - même si personne n'aurait aimé avaler ce qu'elle a eu dans la bouche - le réalisateur prend un malin plaisir à rendre son héroïne moralement ambigüe, jusqu'à la plonger dans la psychose et la névrose.

Le but du scénario, co-écrit avec son frère et fréquent collaborateur Ivan Raimi, est de pousser Christine jusque dans ses derniers retranchements, sans lui donner l'aplomb des autres personnages principaux de sa filmographie. Le plus cruel est évidemment de faire croire à cette innocente - autant qu'aux spectateurs - à un dénouement juste et heureux, avant de laisser dans les toutes dernières secondes du film les forces démoniaques la conduire jusqu'en Enfer.

 

Jusqu'en enfer : photo, Alison LohmanIl aime vraiment ça

 

La scène qui tue : Celle du guet-apens de Mme Ganush. Cette scène introduit une situation convenue et déjà vue mille fois dans les thrillers et films d'horreur pour installer de la tension : une jeune femme seule dans un parking sombre. Mais elle désamorce très vite les effets les plus attendus - l'apparition de Mme Ganush sur la banquette arrière, notamment - par de la brutalité cartoonesque (les coups d'agrafeuse dans l'oeil) et de l'humour scatophile de sale gosse crado avec le suçage de menton cauchemardesque.

 

 

La scène pose également l'ambiance surnaturelle et mystique de l'intrigue avec la vision suspendue, presque envoûtante, d'un mouchoir se mouvant dans les airs avant de revenir à un montage hyperactif et une escalade de la violence. 

 

Le Monde fantastique d'Oz

Sortie : 2013 - Durée : 2h07

 

Le Monde fantastique d’Oz : photo, James Franco, Mila KunisOn s'attaque aux classiques !

 

Ça raconte quoi ? Lorsque Oscar Diggs, un petit magicien à la moralité douteuse (étonnamment joué par James Franco, sic), est emporté à bord de sa montgolfière depuis le Kansas poussiéreux jusqu’à l’extravagant Pays d’Oz, il y voit la chance de sa vie.

Pourquoi c'est une jolie prise de risque ? S'attaquer à un classique du cinéma comme Le Magicien d'Oz tient presque du suicide artistique, qui plus est pour un projet entre les mains de Disney. À la sortie du Monde fantastique d’Oz, les plus sceptiques n'ont pas manqué de sortir les fourches, arguant que Sam Raimi avait été dépossédé de l'objet.

Pourtant, au-delà de sa bizarrerie conceptuelle qui assume l'héritage du film original (débuter un blockbuster contemporain sur 20 minutes de noir et blanc en 1:33, fallait le faire), Sam Raimi embrasse le conte comme portail vers un monde de pure magie... celle du cinéma.

 

Le Monde fantastique d’Oz : photo, Michelle WilliamsPas besoin de voitures autonomes

 

Bien entendu, Le Magicien d'Oz original traitait déjà de la beauté du subterfuge et de la prestidigitation, mais cette origin-story permet au cinéaste de revenir à ses premières amours : celui d'un septième art des origines et de l'attraction, parfois fait avec trois bouts de ficelle. Il y a même une forme de paradoxe à voir un tel postulat se déployer dans un méga-blockbuster technologique, où Raimi troque la découverte du Technicolor du film original pour la création de mondes numériques déments hérités d'Avatar.

Certes, les circonvolutions du scénario font de cette replongée dans le monde d'Oz un film mineur dans la filmographie du cinéaste. Mais ceux qui y voient un bête projet cynique n'ont sans doute pas ouvert les yeux pour constater à quel point Sam Raimi s'amuse avec ses jouets. Ça donnerait presque de l'espoir pour Doctor Strange 2...

 

Le Monde fantastique d’Oz : photo, James FrancoJe suis le mal-aimé

 

La scène qui tue : Le Magicien d'Oz était un film qui réécrivait le langage cinématographique avec la couleur. Sam Raimi s'est donc lancé dans un enjeu similaire, mais avec le numérique et la 3D. Le passage dans le monde d'Oz en est sans doute le plus bel exemple, porté par le souhait d'une immersion totale du spectateur dès le moment où le cadre s'étend en 2:39. D'une vue subjective au milieu des rapides, Raimi nous transporte dans un roller coaster vertigineux, où chaque jaillissement en dehors de l'écran accentue la profondeur d'images parfaitement composées.

 

 

La scénographie exemplaire de la séquence est d'ailleurs une occasion idéale pour proposer une idée par plan, qu'il s'agisse de fleurs qui font des sons de cloches à un arbre dont les feuilles se transforment en papillons. Une scène de pur émerveillement, à la technique irréprochable.

 

DOCTOR STRANGE 2

Sortie : 2022 - Durée : 2h06

 

 

Ça raconte quoi ? La deuxième aventure à travers le Multivers de Doctor Strange. Le magicien doit protéger une jeune fille capable de voyager entre les dimensions que veut kidnapper une Sorcière Rouge furax.

Pourquoi c'est un bon Marvel mais pas un excellent Raimi ? Doctor Strange in the Multiverse of Madness a partagé l'équipe. D'un côté, le blockbuster porte quelques marques de Sam Raimi. Certes, il n'est pas en pleine possession de ses moyens, mais il signe le volet le plus fun et inspiré depuis très longtemps dans la saga. De l'autre, ces petits éclairs de style ressemblent plutôt à de la citation vaine, des gimmicks presque parodiques et racoleurs, qui témoignent justement du manque de liberté.

Tout le monde rêvait d'un miracle hollywoodien à la Spider-Man, mais Doctor Strange 2 reste à des années lumière de la trilogie de Sam Raimi qui avait révolutionné le paysage super-héroïque. De quoi confirmer, encore et toujours, la réussite éclatante de ces trois films (sauf si on éjecte Spider-Man 3, autre débat).

Notre critique de Doctor Strange 2.

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commentaires
Hank Hulé
22/03/2023 à 15:14

Réalisateur très surcoté (imo). ok il sait tenir une caméra (c'est déjà bien) mais pour le reste, j'imprime pas.
revu mort ou vif récemment, c'est chiant et répétitif avec un script timbre poste.
je repêche Intuitions, qui est très bien mais très Coen...

Dick Laurent
22/03/2023 à 14:05

Réponse : oui. "Mort ou vif", ou l'enterrement de première classe du western, avec Sharon Stone en premier rôle (mon dieu quelle époque!) et un infanticide répugnant. Sinon le meilleur : "Intuitions" et "jusqu'en enfer"...Le reste, jamais été fan, que ce soit les spiderman ou les evil dead.

sylvinception
22/03/2023 à 12:55

"Spider-Man 2" écrabouille à lui seul quasiment tous les autres films du genre.

fuck
22/03/2023 à 10:58

Si on met de côté Pour l'amour du jeu le premier Evil Dead est un des ses plus mauvais films. Contrairement à Evil Dead 2 le premier a très mal vieilli.

Sinon dans Darkman il invente le concept de l'imprimante 3D avec 20 ans d'avance.

Bilbo
22/03/2023 à 08:27

Bien sûr qu'il a fait des mauvais films, pratiquement toute sa filmo en fait...ses meilleurs restent Un plan simple et Mort ou Vif (Oz, en plus d'être chiant et con, est incroyablement laid...)

Mx
04/05/2022 à 11:48

Décidemment, t'es vraiment un mec bien, toi!!

Je suis complétement d'accord avec toi, et oui, paxton, quel putain d'acteur, il me manquera à jamais, revu edge of tomorrow, récemment, et je me disais, "quel mec, putain, quel mec!!"

oui, le gunfight dans la maison, avec la femme de lou qui fait un bond de 5 mètres en volant dans les airs, c'est du pur raimi!!

je pense que je préfère le raimi en mode "petit budget", pour ceux que sa intéresse, mad movies a sortit ia quelques années un hs sur lui!

Ray Peterson
03/05/2022 à 18:56

ERRATUM : ce n'est pas dans la maison du perso de Billy Bob Thornton mais ça reste une billez scène de massacre!

Ray Peterson
03/05/2022 à 18:53

@ Mx

Un Plan Simple : fabuleux.

Ça ressemble fortement à du Coen mais il y a un côté burlesque propre à Raimi. et les Coen n'aurait pas pu réaliser la scène de gunfight vers les 3/4 du film dans la maison de Billy Bob Thornton. Quand à Bridget Fonda, un de ses tous meilleurs rôles.
Et puis y a le Paxton!

Liojen
03/05/2022 à 10:22

Excellent article merci!

J’ai une affection particulière pour Darkman (on sent clairement les prémices de son futur spiderman) et Mort ou Vif, ou comment rendre une banale histoire de duel passionnante grâce à une mise en scène de génie!

En complément je vous conseille l’excellente emission du podcast vhs&canapé , qui lui à consacré une émission riche en infos et anecdotes.

Kojak
02/05/2022 à 10:57

"Un marteau ?... Au rayon bricolage". Bruce Campbell forever.

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