Le film Traqué, réalisé par William Friedkin, avec avec Benicio Del Toro et Tommy Lee Jones, est plus qu'une copie du Rambo avec Sylvester Stallone. Explications.
Les 10 Meilleurs Films du grand William Friedkin
Devenu un cinéaste de premier ordre avec les succès de French Connection et L'Exorciste, William Friedkin (mort en 2023) a ensuite connu une traversée du désert dans les années 90, enchaînant les déceptions et échecs comme La Nurse, Blue Chips, Jade, Jailbreakers puis L'Enfer du devoir (son remake de 12 Hommes en Colère en 1997 étant l'exception).
Certains considéraient que le cinéaste était fini, dépassé. Puis, il a réalisé Traqué en 2003 et prouvé qu'il avait encore de la ressource et conservé toute sa hargne dans un film d'action tendu et violent avec Tommy Lee Jones et Benicio Del Toro.
Dès sa sortie, le film a aussitôt été associé au premier Rambo pour leurs similitudes, mais le film réalisé par William Friedkin est bien plus sauvage et radical que son aîné. Voilà pourquoi.
Vas-y, redis que je suis comme Rambo, tu vas voir
JE CROIS QUE JE PERDS LA BOULE, L.T.
Entre survival sombre, thriller psychologique et film d'action brutal, le scénario de Traqué n'a rien d'original et donne même l'impression d'être déjà vu de par sa ressemblance avec d'autres films du genre, notamment le premier Rambo réalisé par Ted Kotcheff. Comme dans Rambo, un ancien membre des Forces Spéciales rentre au pays traumatisé par la guerre et retourne à son instinct guerrier en se réfugiant dans la nature, et comme dans Rambo, son ancien instructeur est appelé pour l'arrêter et se lance à sa poursuite avec les autorités.
Aaron Hallam (Benicio Del Toro), l'ancien soldat d'élite hanté par ses missions au Kosovo, s'apparente à un John Rambo moderne et le rôle du Colonel Trautman, son mentor, est tenu par L.T. Bonham (Tommy Lee Jones), ancien entraîneur des Forces Spéciales qui vit retiré au milieu de la forêt canadienne et qui travaille ensuite avec le FBI pour retrouver celui à qui il a tout appris.
Et l'analogie entre les deux personnages se retrouve jusque dans les détails : le nom de code de Rambo au Vietnam que le colonel Trautman utilise pour s'adresser à lui par radio est "Corbeau", le même que celui d'Aaron au Kosovo.
Et ils ont le même goût pour les fringues sales à motif camouflage
De la même manière que le vétéran du Vietnam, Aaron utilise ce qu'on lui a enseigné contre ceux qui le cherchent, installe des pièges et tend des embuscades dans la forêt. La séquence où il tue les deux hommes à sa recherche évoque directement celle où Rambo blesse le shérif et les policiers qui le poursuivent (et aussi le passage dans la jungle dans Rambo II), mais la tension qui se dégage du silence pesant et l'angoisse des deux chasseurs (ou "nettoyeurs") face à cette végétation qui les entoure se rapprochent aussi et surtout du premier Predator.
Comme dans le film réalisé par John McTiernan, les personnages surarmés sont éliminés les uns après les autres par un ennemi invisible, qui sait parfaitement exploiter son environnement et s'amuse avec eux, tout en suivant un certain code d'honneur et en les attirant exactement où il veut avant de les découper.
Quand les chasseurs deviennent les proies
Plus tard, quand la traque quitte la forêt pour la jungle urbaine, une brève (mais intense) course-poursuite est filmée avec la même nervosité que dans French Connection, puis les scènes avec Tommy Lee Jones qui court après Benicio Del Toro dans les rues et les tunnels de Portland rappellent évidemment Le Fugitif. De la même façon que le film réalisé par Andrew Davis, Traqué devient alors une incessante chasse à l'homme jusqu'à la confrontation entre les deux personnages.
Par un étrange concours de circonstances, le scénario de Traqué a justement été écrit par Peter et David Griffiths, scénaristes d'un autre film d'Andrew Davis, Dommage Collatéral avec Arnold Schwarzenegger, mais aussi par Art Monterastelli, qui écrira Buried Alive, une série B d'horreur oubliable et oubliée, et... John Rambo. Avant-dernier opus de la saga dans lequel le personnage incarné par Sylvester Stallone forge sa machette avant de partir en guerre (il le refera aussi dans Rambo : Last Blood), exactement comme Aaron fabrique son couteau avant son affrontement final face à L.T.
Un couteau que Benicio Del Toro aurait vraiment utilisé à l'écran d'après Friedkin
Avec ce scénario qui ressemble à un assemblage difforme d'autres longs-métrages et se contente du minimum au niveau du récit et des dialogues, William Friedkin s'attache à ces références et synthétise les codes du film d'action et du survival pour encore mieux les transgresser, de la même manière qu'il avait détourné le polar avec French Connection.
Le cinéaste adopte une réalisation épurée, organique, viscérale, qui ramène l'action à ce qu'elle a de plus instinctif, capturant toute la sauvagerie de ses personnages, de leur environnement et de l'histoire qu'il raconte à travers leur confrontation.
DIEU DIT : TUE-MOI UN FILS
Contrairement à Rambo, qui est un film sur l'injustice, porté par un patriotisme farouche, Traqué traite de la sauvagerie de la guerre et des soldats créés pour la faire à travers la relation filiale entre L.T. et Aaron et l'instinct primaire auquel ils répondent.
Le film s'ouvre et se termine sur la voix caverneuse de Johnny Cash qui cite le début du morceau Highway 61 Revisited de Bob Dylan, reprenant l'histoire du sacrifice du fils d'Abraham. Une allégorie biblique qui établit directement le rapport entre les deux personnages principaux, plaçant L.T. comme un père spirituel pour Aaron, fils prodigue qu'il est obligé de tuer au nom du Dieu auquel il croit, en l'occurrence un système qui fabrique une machine à tuer, puis l'abandonne une fois qu'elle a accompli sa mission et nie sa responsabilité quand elle devient incontrôlable.
L'un transmet, l'autre apprend
John Rambo était un vétéran du Vietnam rejeté par la société, retournant à ses réflexes guerriers après avoir subi les exactions des policiers (qui ont éveillé les souvenirs de torture) tandis qu'Aaron Hallam a été totalement déshumanisé par la guerre et ne répond plus qu'à ce qu'il a appris auprès de L.T. et appliqué sur le terrain.
Et alors que John Rambo était présenté comme une victime, Traqué conserve une ambiguïté concernant le rôle d'Aaron et ce que le spectateur doit ressentir pour lui, interrogeant sur la responsabilité de chacun, l'ancien soldat, celui qui l'a entraîné à tuer et l'appareil militaire dans son ensemble.
Tueur psychopathe ou monstre malgré lui ?
À l'inverse du film réalisé par Ted Kotcheff, qui ne dévoilait le traumatisme du soldat qu'à travers des flackbacks furtifs, William Friedkin décide de le montrer dès les premières secondes, avec une violence époustouflante. Les deux premiers plans du film sur le regard d'Aaron et le village en flammes qu'il observe suffisent largement à définir l'horreur dans laquelle a été plongé le soldat.
Dans un déluge d'effets pyrotechniques démesurés et de civils criblés de balles, le réalisateur offre une vision surréaliste de l'Enfer, d'une subtilité inexistante, mais d'une efficacité redoutable. Un cauchemar pour lequel Aaron a été formé, conditionné et dont il reste prisonnier.
La scène qui suit, dans laquelle il est récompensé de la Silver Star pour avoir trucidé un chef de milice serbe de ses propres mains, est tout aussi évocatrice lorsque son supérieur déclare "vos actes de bravoure sont les fondements sur lesquels reposent la paix et la démocratie".
Le scénario de Traqué, bien qu'il ressemble à celui du premier Rambo, est tiré d'une histoire de Tom Brown Jr., ancien instructeur des Forces Spéciales devenu un traqueur aussi réputé que controversé ayant travaillé sur plusieurs affaires, mais aussi un bon ami de William Friedkin.
Comme il le raconte dans plusieurs entretiens, le réalisateur était fasciné par les capacités de survie du bonhomme et l'a rencontré à un moment où l'ancien formateur se sentait coupable d'avoir enseigné comment tuer et survivre à des soldats pour découvrir ensuite qu'ils utilisaient ce qu'il leur avait appris lors de missions aux intérêts purement politiques.
Friedkin avait tenté d'écrire un scénario calqué sur la vie du traqueur sous la forme d'une fiction (parce qu'il ne voulait pas le traiter comme un documentaire), puis l'a laissé de côté plusieurs années, faute d'idée, jusqu'à ce que la Paramount (seul studio hollywoodien à encore travailler avec lui, dirigé à l'époque par sa femme, Sherry Lansin) lui propose un scénario de Peter et David Griffiths intitulé Traqué, autour d'un ancien soldat pris d'une folie meurtrière et poursuivi par son mentor.
Aussitôt, le réalisateur a appelé Tom Brown Jr., qui a été consultant technique et servi d'inspiration pour le personnage de L.T. Après une première ébauche, Friedkin a ensuite contacté Art Monterastelli pour écrire la version finale, toujours avec le traqueur à ses côtés pour s'assurer du réalisme.
Le scénario a directement puisé dans une de ces traques, qu'il a nommée "My Frankenstein" et qu'il raconte dans un de ses livres, Case Files Of The Tracker, publié en 2003 (après la sortie du film, évidemment). Une affaire où il aurait été appelé pour retrouver la trace d'un de ses anciens élèves, un sergent des Navy SEALs recherché par les autorités après s'être échappé.
Regarder le monstre dans les yeux
Lorsque L.T. se retrouve face à Aaron et dit qu'il "doit répondre des actes qu'il a commis", l'ancien soldat lui répond "je dois essayer de vivre avec ce que j'ai fait", puis déclare qu'il n'a de toute façon plus confiance en son mentor et qu'il ferait mieux d'être prêt à le tuer s'il s'approche de lui.
Un court échange qui suggère non seulement que n'importe quelle punition ne pourra jamais être pire que ce qu'il ressent (ou ne ressent plus, justement, comme l'illustre les scènes avec sa petite-amie et sa fille), mais aussi que Traqué ne se terminera pas comme Rambo, avec le colonel Trautman ramenant son poulain à la raison avant de le conduire aux autorités sur la musique du générique de fin.
Radical jusqu'au bout dans ses ambitions, William Friedkin installe alors les deux hommes l'un face à l'autre dans une lutte à mort malgré leur relation. C'est d'ailleurs l'amour et le respect qu'ils se portent qui les poussent à s'entre-tuer, Aaron voulant mourir de la main de son maître et L.T. voulant être celui qui tue son élève avant le FBI et l'agente incarnée par Connie Nielsen, motivée par une vengeance aveugle depuis la mort de ses collègues.
À la fin, il n'en restera qu'un
Sans qu'un mot soit échangé entre eux, les deux personnages se lancent alors dans un combat aussi sanglant que symbolique, avec des gestes presque préhistoriques, se rendant coup pour coup dans une réalisation qui met l'accent sur la férocité de leur affrontement plutôt que sur l'aspect spectaculaire (et Tommy Lee Jones est d'ailleurs impressionnant tout au long du film malgré ses 56 ans et sa barbe grisonnante face à un Benicio Del Toro mutique et terrifiant d'inhumanité).
Après avoir tué celui qu'il voyait comme son fils (qu'il appelle d'ailleurs "fiston" avant leur premier combat), L.T. retourne dans sa cabane et retrouve les lettres d'Aaron, qu'il brûle, comme pour reconnaître son échec envers ce fils abandonné, qui accepte son destin tel Isaac quand il se retrouve face à son père.
À sa sortie, le film a été un échec, avec 34 millions de dollars au box-office domestique et 46 millions à l'international pour un budget estimé à 55 millions (hors inflation), et a justement été comparé au premier Rambo dans de nombreuses critiques. Même s'il ne pourra jamais être un film culte comme l'a été le film avec Sylvester Stallone, Traqué a, en revanche, beaucoup mieux vieilli que la saga consacrée à l'ancien soldat du Vietnam, qui s'est enfoncée dans le racisme et le grotesque avec le triste Rambo : Last Blood.
Le personnage froid et monolithique de Benicio Del Toro s'est retrouvé plus tard dans celui qu'il a incarné dans Sicario et Sicario : la guerre des cartels, tout comme Tommy Lee Jones a suivi la trace d'un autre tueur dans No Country for Old Men, encore plus implacable et dangereux que son ancien élève.
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Un pur chef-d’oeuvre.. Jones et Del Toro y sont magistraux et habités par leurs rôles comme jamais.
L’enfer du devoir est un film totalement stupide
L’exemple type du cinéma américain des années 90…
Et après…le 11/09… prévisible….
Les bouboules et la boubouche
Grand film!
J’ai toujours pensé que ce film aurait fait un bon Rambo.
Probablement mon film préféré de Friedkin. Et pourtant, qu’est-ce que j’aime L’exorciste et son remake incroyable de 13 hommes en colère (fallait le faire !).
Mais Traqué est tellement jusqu’au-boutiste et sans concession ! Rarement un film ne m’a autant impressionné au premier visionnage. Chaque fois que je le revois, je suis sidéré de la rigueur de sa réalisation.
Ça, ça me manquera…
Outre le fait d’avoir apprécié ce film,
Il m’a fait (re)découvrir Johnny Cash,
The man comes Around étant le générique de fin, produit par Rick Rubin pour la série d’albums American Recordings
Un film d’une grande épure et sans concession. Le combat de fin au couteau est bien bourrin et superbement chorégraphié. Friedkin arrive même à se citer lors d’une course poursuite à métro aérien. Et franchement Tommy Lee Jones tient la dragée à haute à un Benicio au regard fou et incroyable dans les séquences de guerre au début. Du pur Bill Friedkin!
Deux visionnages m’ont convaincu que j’aimais beaucoup de film. Des acteurs de talent et une réalisation efficace. Du très bon Friedkin. La filiation avec Rambo me cependant semble ténue.