Sinister : et si c'était le vrai remake (caché) de Ring ?

Geoffrey Crété | 30 octobre 2021 - MAJ : 30/10/2021 13:02
Geoffrey Crété | 30 octobre 2021 - MAJ : 30/10/2021 13:02

Entre deux Paranormal Activity et Insidious, il y avait Sinister, pur cauchemar avec Ethan Hawke, largement inspiré par Ring.

Halloween, c'est la saison des citrouilles en plastoc dans les rayons de Super U, des soirées déguisées alcoolisées, et des interrogations profondes sur le sens de cette fête américaine en France. Mais c'est aussi et surtout la fête des films d'horreur, avec une raison officielle de revoir un classique et embarquer des âmes fragiles pour les terroriser un peu.

La question des meilleurs films d'horreur à (re)voir pour Halloween est classique et incontournable. Tout comme celle des meilleurs films d'horreur sur Netflix - un signe des temps. Ainsi que celles des petits coups de cœur que chacun.e aura envie de ressortir, comme Insidious, petite perle de James Wan. Ou Sinister, avec Ethan Hawke en enfer, qui mérite largement d'être remis sous les projecteurs horrifiques.

Sur le même sujet : notre top 30 des meilleurs films d'horreur pour Halloween.

 

photo, Ethan HawkeChercher un truc que t'as pas vu dans un énième top Halloween

 

Insinister activity

Sinister a beau avoir eu droit à une suite, évidemment nulle et dispensable, il n'a pas suivi le chemin classique de l'usine Blumhouse, comme les trois autres marques lancées en même temps : Paranormal Activity, Insidious et American Nightmare. Comparé à ces interminables et increvables franchises (Paranormal Activity 7 arrive en 2021, American Nightmare 6 se prépare, et Insidious 5 a été annoncé), cette histoire de vidéos maudites et démon païen a ainsi été un peu oubliée au fil des années, ensevelie par des tractopelles de jumpscares à la sauce Conjuring.

C'est d'autant plus intrigant que dans l'équation Sinister, il y a des noms remarquables : Ethan Hawke d'abord, qui se payait une tranche de genre entre les vampires de Daybreakers et la purge d'American Nightmare ; et le scénariste C. Robert Cargill et le réalisateur Scott Derrickson, qui se retrouveront plus tard chez Marvel pour Doctor Strange (et prochainement Black Phone, encore chez Blumhouse).

 

photoQuand t'ouvres un carton de scénarios Blumhouse

 

Sinister a en plus parfaitement éprouvé la recette Blumhouse du petit budget et maxi profit, avec une mise de 3 millions et près de 88 millions au box-office. Soit un pactole inférieur à la rentabilité phénoménale de Paranomal Activity, mais qui a suffi à lancer Sinister 2 en 2015. Une suite écrite par Scott Derrickson et C. Robert Cargill, et réalisée par Ciaran Foy (Citadel), qui explique la fin sinistre de toute l'histoire.

Car Sinister 2 est un peu la suite qui a tué les suites, ou du moins servi de leçon au studio. Budget qui explose (10 millions) pour un succès moindre (environ 54 millions en salles), critique assassine, formule répétée et mal exploitée : le deuxième Sinister a été une belle erreur, mais probablement un sacrifice utile pour l'usine Blumhouse.

Fut un temps où Blumhouse développait un crossover entre Insidious et Sinister, glorieusement intitulé Insinister. L'équipe a depuis dessoulé et abandonné l'idée, condamnant plus ou moins Bagul à être rangé dans les fonds de tiroir. Ce qu'il ne mérite pas, vu comme il surnage dans l'océan Blumhouse, et dans le paysage horrifique de ces dernières années.
 

PhotoSinistre perruque

 

blumhouse of the devil

Avant d'être un délicieux cauchemar à l'écran, Sinister était une amusante histoire, digne ces récits hollywoodiens qui donnent envie d'errer à Los Angeles avec son scénario sous le bras, pour croiser un producteur sur le trottoir et finir aux Oscars. Au commencement, il y avait ainsi deux copains : le scénariste débutant C. Robert Cargill et le réalisateur Scott Derrickson, établi avec Le Jour où la Terre s'arrêta, mais très attaché à l'horreur puisque derrière Hellraiser 5 et L'Exorcisme d'Emily Rose.

Autour de quelques verres, Derrickson a un jour parlé à Cargill de deux producteurs en train de monter leur boîte et qui étaient prêts à lui donner un budget d'un million de dollars et un contrôle total sur le film, à condition de leur amener une bonne idée. Le scénariste a sorti de sa manche celle de Sinister, et ça a été le bingo, comme il le racontait à Scriptmag :

"Il m'a répondu, 'Oh mon dieu, je veux faire ce film, ces producteurs veulent faire ce film, c'est ce qu'ils cherchent. Maintenant je veux que tu rentres chez toi, que tu écrives un traitement de 3 à 5 pages, que tu t'inscrives au syndicat des scénaristes, et je leur amène tout ça'."

Dix jours après, Cargill était dans le bureau de Jason Blum, qui achetait Sinister sans hésiter.

 

photoBlum pitché, Blum conquis

 

La collaboration entre C. Robert Cargill et Scott Derrickson est idyllique, et ils se promettent d'être partenaires de plume, ce qui a porté ses fruits jusqu'à la gloire Marvel avec Doctor Strange. Pour Sinister, le duo carbure à la cinéphilie, avec notamment l'expérience de critique de cinéma de Cagill. Convaincus que tuer des enfants peut rebuter le public, ils misent sur le meurtre de familles entières, où le sort des mioches sera noyé dans l'horreur du groupe. Pour la structure, ils s'inspirent de L'Enfant du diable, réalisé par Peter Medak.

L'idée même de Sinister est liée à une expérience de simple cinéphile. Après avoir vu Le Cercle, remake américain du Ring de Hideo Nakata, C. Robert Cagill a fait un cauchemar où il découvrait d'étranges films dans son grenier, avec notamment les images d'une famille pendue. Soit l'intro de Sinister, et le fil qu'il a déroulé jusqu'à imaginer une divinité païenne qui traverse les dimensions grâce aux images, pour prendre possession des enfants et voler leurs âmes.

 

photoFaites des gosses

 

cinema inferno

Sinister est le bébé de deux cinéphiles, et transpire donc cet amour tout bête pour le genre. C'est même le sujet du film : le pouvoir des images et de l'imaginaire, qui peuvent aspirer dans un autre monde, et prendre possession des esprits par la force de suggestion. Tout ça passe par un carton de vieux films poussiéreux en Super 8 (un an après le film Super 8 de J.J. Abrams), que le héros va devoir projeter chez lui. Un peu comme un DVD de Ring lancé un soir, et qui hante vos nuits.

Le personnage d'Ethan Hawke passe peu à peu de l'autre côté de l'écran, dans une glissade vers l'enfer loin de la réalité. De simple spectateur curieux, il devient critique méticuleux, armé d'un stylo et d'un carnet pour décortiquer et prendre possession de l'image. Puis il devient monteur, comme au bon vieux temps de la pellicule, pour sauver le film et continuer l'enquête. Il aura même le luxe de se repaître du director's cut des meurtres, disponibles en version longue pour le satisfaire avant son dernier souffle.

Car au bout du compte, il deviendra acteur malgré lui (avec sa fille en réalisatrice), lorsque l'horreur sort de l'écran. Ou comment créer une mise en abyme parfaitement sadique, où la victime assemble et soigne elle-même sa propre condamnation. Ce même héros est en plus un écrivain, et un hommage à peine caché à Stephen King vu son amour du morbide, de l'Amérique profonde et des plateaux TV.

 

photoEcran blanc pour ambiance noire

 

Autre motif recyclé par Sinister : le fameux snuff movie, où de vrais meurtres (ou autre) sont filmés. Le Voyeur, Videodrome, Strange Days, Tesis, 8mm, Demonlover ou encore l'anthologie Masters of Horror avec un épisode signé John Carpenter : cette légende urbaine (ou pas) a nourri bien des imaginaires. Ici, c'est la clé de voûte du film : non seulement la personne derrière la caméra est un mystère, mais en plus, le simple fait de filmer est une partie du cauchemar. La soif de violence et la curiosité morbide sont un carburant pour la divinité païenne, qui peut ainsi mettre un pied dans notre réalité pour bouffer des âmes. Et tout ça grâce à la folie des humains.

Ce cycle infernal est directement repris de Ring, où la VHS des enfers a le même effet : elle existe à cause de la curiosité de la population, et elle prend vie grâce à tous ces yeux pas très innocents, jusqu'à faire tomber les murs entre les réalités. Et bien sûr, c'est elle qui gagne à la fin.

 

photo, Ethan HawkeVivement Sinister vs Sadako

 

super 8 & super flip

Sinister pourrait remporter un bingo des clichés. Côté personnages, il y a ainsi l'écrivain qui abuse du whisky, la femme-boussole morale, le policier gentiment benêt, la gamine évidemment flippante, et l'incontournable expert pour dérouler la mythologie (avec un Vincent D'Onofrio non crédité, parce que pourquoi pas). Scott Derrickson n'évite pas non plus les grosses lourdeurs du genre, que ce soit avec la construction (chaque nuit c'est la merde), le rythme des frissons, ou l'utilisation basique de quelques jumpscares.

Dans ses pires moments, Sinister ressemble à un film sans âme. Par exemple quand la tête de Bagul bouge sur l'écran d'ordinateur, dans un parfait timing pour que le héros ne le voie pas - mais que le public a certainement vu 150 fois. L'auto-parodie est même palpable avec des effets ringards, quand des enfants maquillés en blanc courent au ralenti, ou quand la divinité païenne surgit à l'image au premier plan pour que le héros (et le public) sursaute. Que Scott Derrickson ait osé rejouer cette carte pour conclure son film, relève presque d'un doigt d'honneur. D'autant plus que ça n'a aucun sens avec l'idée de Bagul, qui hante la réalité sans avoir besoin de jouer au petit farfadet caché dans un coin.

 

photoBagul dans ta gueule

 

Mais Sinister joue aussi quelques beaux tours, de pure angoisse, voire terreur. Principalement avec ces vidéos en Super 8, qui montrent des mises à mort absolument ignobles. Difficile de ne pas se souvenir longtemps des tronches tondues sur la pelouse, des chaises longues noyées avec leurs passagers, de la voiture-barbecue, des gorges tranchées sous le regard du clébard, et bien sûr de l'image initiale du jeu du pendu level 10.

La révélation perverse des bambins derrière la caméra est évidemment le coup fatal, et le meilleur indicateur de la cruauté du film. Car dans Sinister, c'est le Mal qui l'emporte, et la famille Oswalt rejoint gentiment la liste des victimes de Bagul. Cette conclusion est certainement la meilleure idée du scénario, qui voit Bagul continuer à se promener dans le monde, avec l'aide inconsciente de ses futures victimes. La peur se répand comme un virus, et lui avec.

 

photoBa-Pool Party

 

À l'image du design simple, mais diablement efficace de Bagul (toujours gardé loin de l'image pour l'entretenir), Sinister avance donc implacablement jusqu'à ces morts, inévitables. Le film n'est d'ailleurs jamais aussi efficace et effrayant que lorsqu'il joue d'effets sobres, principalement le visage un peu flou et mystérieux de Bagul, qu'il soit au fond de la piscine ou dans les buissons du jardin. Là, il y a du frisson, pur et dur, avec la sensation que cette entité représente à peu près tout ce qu'on peut craindre dans ce bas monde encore rempli de mystères irrésolus.

Clou du spectacle : le thème musical génial composé par Christopher Young, bien connu des amateurs d'horreur puisqu'il est derrière la musique de quelques films comme La Revanche de Freddy (le Freddy crypto-gay), Hellraiser (le premier et unique), Intuitions et Jusqu'en enfer de Sam Raimi, The Grudge (version américaine), L'Exorcisme d'Emily Rose de Scott Derrickson, ou encore Simetierre version moderne.

Lorsque le générique de fin arrive, avec ces sons de machines étranges et ces râles rythmés, Sinister s'impose pour de bon, discrètement, mais sûrement, comme un pur plaisir d'horreur.

Tout savoir sur Sinister

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commentaires
Mera
30/10/2021 à 14:02

à la différence que le Ring de Nakata est surtout une enquête journalistique passionnante sur une légende urbaine qui se trouve être véridique, avec quasiment aucune apparition fantomatique (Sadako est seulement visible dans le reflet de la TV et dans la scène finale, déjà plus que le roman, totalement "hors champ") et très peu d'explication alors que Sinister abuse des effets jumps scares comme la majorité des films horrifiques depuis 10 ans. Il y a des qualités dans ce film mais bon, je préfère encore me farcir un Conjuring, certes plus ludique que effrayant mais comme un bon tour de grand 8.

Le remake de Verbinski est honnête mais entre Watts (désolé, pas fan de l'actrice et je trouve son personnage largement moins attachante que Matsushima), zéro mystère en expliquant carrément chaque image de la vidéo maudite et l'apparition foireuse du fantome vengeur à la fin, il annonce les gros défauts de son A Cure for Wellness mais aussi les qualités avec plusieurs excellents moments que la scène du cheval.

Je ne sais pas si Ecran Large publie par le passé un gros dossier sur les Ring mais cette franchise, malgré qu'un véritable très bon film (le Nakata, même lui n'arrivera jamais à faire mieux avec Ring 2, Le Cercle 2 et Sadako) en bientôt 25 ans mérite un coup de projecteur, rien que sur curieux remake coréen qui sort juste après le Nakata vu que la Corée du sud interdit les films japonais encore à l'époque.

Ckcw
30/10/2021 à 12:28

Un grand merci pour cet article, passionnant en ce qu’il raconte la genèse de ce projet.

Malgré ses aspérités, et une seconde partie qui rentre dans le rang des productions Blumhouse, Sinister restera une des plus belles surprises du cinéma de genre de ces 20 dernières années.

Le premier segment est incroyablement malsain et redoutablement malicieux et pervers car il interroge le voyeurisme. Le film est vendu comme une énième histoire de maison hantée et nous prend finalement au dépourvu.

Mx
30/10/2021 à 12:05

film qui m'a totalement laissé froid, pas un pet de frisson est passé, totalement surestimé à mes yeux!!!