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The King of New York : le chaînon manquant entre Scarface et Menace II Society ?

Par Raphaël Iggui
24 octobre 2021
MAJ : 21 mai 2024
The King of New York : Photo, Christopher Walken

30 ans après sa sortie, The King of New York apparaît comme le point de jonction ultime entre le style d'Abel Ferrara et la vague des Ghetto Movies.

"Qui tu préfères être ? Le King of New York ou le Prince de Bel Air ?" Outre les indices évidents sur l'âge de son auteur, cette phrase, extraite du morceau Laisse nous faire du rappeur Infinit, a le mérite d'introduire dans le rap français un film culte pour de nombreux rappeurs américains, mais peu référencé par leurs homologues hexagonaux, bloqués dans le cycle éternel "Le Parrain - Scarface - La Cité de Dieu - la filmo de Scorsese-Paid in Full". 

Un culte qui peut paraître curieux au premier abord. Après tout, The King of New York est avant tout le sixième film d'Abel Ferrara, cinéaste sulfureux, esthète de l'underground et auteur principalement inspiré par son fief et sa ville de coeur : New York. Avec Woody Allen et Martin Scorsese, Ferrara fait partie des cinéastes qui ont donné ses lettres de noblesse cinématographiques à la nouvelle Amsterdam

Mais Ferrara se rapprocherait plus d'un Lumet ou d'un Scorsese période Taxi Driver dans sa manière de faire de la pourriture des âmes dans la grande pomme son matériau de base. Dans The King of New York, Ferrara dilue ses obsessions au sein d'un film de gangsters stylisé, qui annonce, à sa manière, la vague des Ghetto Movies (appellation pratique, mais trompeuse) qui déferlera sur les années 1990. Rebroussons ensemble jusqu'à la croisée des chemins.

 

Photo, Christopher WalkenLe châtelain de la grosse pomme

 

The Cringe of New York

Franck White (Christopher Walken), ancien parrain new-yorkais, vient de sortir de cinq ans de prison et compte bien reprendre sa place dans la pyramide mafieuse de la ville, même si ça implique de liquider tout ce qu'elle compte de nationalités. Il sera accompagné dans sa tâche par ses fidèles lieutenants majoritairement afro-américains, notamment son chien fou, Jimmy Jump (Laurence Fishburne).

Mais ces cinq années passées dans une cellule de Sing-Sing l'ont aussi profondément marqué, le poussant à chercher à faire le bien en investissant dans l'hôpital de la ville et en clamant vouloir se présenter comme maire. Une évolution de sa mentalité dont il aura bien du mal à convaincre Gilley (David Caruso), Bishop (Victor Argo), et Flanigan (Wesley Snipes), trois flics qui ne comptent pas laisser White reprendre le contrôle de la ville aussi facilement...

 

Photo, Christopher WalkenQui aura qui en premier ?

 

Loin d'une ascension aussi rapide et brutale que sera la chute à la Scarface, ou d'un récit-fleuve sur la genèse d'une dynastie mafieuse façon la trilogie du ParrainThe King of New York choisit de chroniquer une tragédie annoncée, celle d'un Frank White conscient d'être un rouage autant qu'un produit de son environnement ultra-urbain, et tout aussi conscient que c'est ce qui causera sa perte. Un paradoxe humain qui colle à l'ambiance mortifère régnant dans cette nécropole de béton, qui dévore les individualités si elles ne le font pas entre elles.

Ferrera nous dévoile une ville rongée de l'intérieur à travers ses décors décrépits, ses extérieurs désaffectés nimbés d'une lumière spectrale donnant à New York une allure de Babylone dégénérée post-apocalyptique, comme si Snake Plissken pouvait surgir à tout moment d'une ruelle, poursuivi par Isaac Hayes. Il prolonge la question de l'ambiguïté des frontières morales à travers la trajectoire de son trio de policiers, qui ira jusqu'à adopter des méthodes de truands qui ne le mèneront que dans une impasse supplémentaire. Si tu plonges ton regard dans l'abîme, l'abîme regarde en toi....

 

Photo, Janet Julian, Christopher WalkenOn n’est pas là pour jouer Despacito à l'accordéon 

 

Un déterminisme pesant de tout son poids sur les épaules de chacun, un décor urbain qui avale, qui essore et qui recrache... Des thèmes qui seront sous-jacents, voire essentiels dans toute une série de films des années 1990. Sorti pile en 1990, The King of New York arrive ainsi pile un an avant la vague des "Hood Movies" ou Ghetto Movies, une appellation trompeuse regroupant une série de films qui porteront sur les conditions de vie dans les ghettos de la communauté afro-américaine (et latino-américaine, dans une certaine mesure), sur le déterminisme social, la violence qui peut y régner,etc. 

Parmi les plus connus, on retrouve ainsi Boyz n The Hood et New Jack CIty en 1991, Menace II Society en 1993... Des films regroupés sous la même étiquette, traitant des mêmes objets sous des angles fondamentalement différents : New Jack City raconte ainsi l'ascension et la chute de Nino Brown, décalque de Tony Montana avec la tête de Wesley Snipes ; Boyz n The Hood chronique un passage à l'âge adulte sous un angle très manichéen tandis que Menace II Society offre un cours de sociologie accéléré zébré d'éclats de violence sur les rapports de l'individu à son propre déterminisme. 

 

Photo, Christopher WalkenLe trèpas-ssage à l'âge adulte

 

Ainsi, à travers les personnages de Frank White et Jimmy Jump, The King of New York propose deux variations de la figure du Gangster, l'une plus "traditionnelle" et l'autre préfigurant les nouvelles figures des Hood Movies. Frank White est une sorte de monarque déchu avant l'heure, un personnage shakespearien en diable, John Gotti dans une tragédie grecque. Trimballant son apparence fantomatique et son regard désabusé à travers le film, White évolue comme un mort en sursis dans sa propre existence dès son apparition à l'écran. 

En face, Jimmy Jump est une boule d'énergie, fonctionnant au roulage de mécaniques digne des 24h du Mans et à l'insoumission à toute forme d'autorité. Le personnage ne semble vivre que par et pour le crime, fonctionnant uniquement à la pulsion, à l'instinct pur. Une attitude qui rappelle fortement O-Dog, l'un des deux personnages principaux de Menace II Society et véritable "[...]Cauchemar de l'Amérique : jeune, noir, et qui n'en a rien à branler" selon les mots de Kaydee, l'autre héros du film. Mais la filiation de The King of New York avec les "hood movies" dépasse la dimension narrative pour toucher à une culture encore plus vaste : le Hip Hop.

 

Photo, Laurence FishburneCharlot Chaplin 

 

Empire State of White

Deux ans avant The King of New York, sortaient Colors (1988) et Do The Right Thing (1989). Le premier est un film de Dennis Hopper, portait de l'opposition entre la police de Los Angeles et les gangs de rue, sur une B.O hip-hop composée par certains des artistes les plus populaires de l'époque (Ice T, Kool G rap, Rakim, etc.). Et le second , film culte de Spike Lee, chronique le quotidien d'un quartier de Brooklyn avec, en creux, la question de l'identité noire, au rythme du morceau Fight The Power du groupe Public Ennemy, présent dans le générique et diffusé à plusieurs reprises par le poste radio d'un des personnages.

Tout au long des années 1990, le mouvement hip-hop et les hood movies vont s'entre-alimenter. Le rappeur Ice T jouera ainsi un policier dans New Jack City (doublé par Joey Starr) ; Tupac et Mc Ren de NWA devront jouer dans Menace II Society dont la B.O presque exclusivement rap contient près de 16 morceaux. Tupac jouera d'ailleurs des rôles principaux/secondaires de Juice, Poetic Justice... La boucle sera bouclée avec Paid in Full en 2002, avec le rappeur new-yorkais Cam'Ron, et surtout produit par Roc-A-Fella Films, boîte de production du rappeur Jay-Z.

 

Photo, David Caruso, Wesley SnipesHoratio Caine sur le point de lâcher son meilleur freestyle

 

The King of New York se place dans une forme de continuité musicale directe avec ses successeurs comme ses prédécesseurs. Le média rap en ligne L'Abcdr du Son a consacré un article aux influences mutuelles entre The King of New York et une culture hip-hop émergente, s'inspirant en partie d'un entretien entre Abel Ferrara et l'historienne du cinéma Nicole Brenez, à l'occasion de la ressortie du DVD / Blu Ray en 2012. Le cinéaste y revenait notamment sur la B.O du film, en partie composé par le rappeur Schooley D. Né à Philadelphie, en juin 1962, Schooly D est considéré comme père spirituel de la branche du Gangsta Rap. 

En 1990, le rappeur a déjà sorti 3 albums d'affilée et tapé dans l'oreille d'Abel Ferrara qui devient ensuite ami avec lui et emploie deux de ses sons sur la B.O de son long-métrage : "Saturday Night" et "Am I Black Enough For You ?". Les deux artistes collaboreront à nouveau à plusieurs reprises, sur Bad Lieutenant, Blackout et Christmas. Schooley D finira même par faire le générique d'ouverture d'Aqua Teen Hunger Force, cartoon Adult Swim du début des années 2000, dans lequel il fera aussi certaines voix. 

 

Photo, Laurence FishburneMc Morpheus 

 

Au-delà de la B.O, le Gangsta rapper s'incarne également à l'écran en la personne de Jimmy Jump. Sa gouaille, sa fougue ainsi que son comportement arrogant et rebelle en font une forme de caricature du Gangsta rapper sur grand écran et surtout l'une des premières apparitions de ce genre de personnage. Si pratiquement tout le casting a le droit à sa punchline réglementaire, Jump est le seul à avoir le droit à des rimes ("He's looking to get sprayed, laid, played, and slayed [...]" à propos de Dalesio, avocat de Frank). Un rôle iconisé par le charisme colossal de Laurence Fishburne, qui dévore l'écran avec l'appétit d'un boulimique face à un buffet à volonté. 

Pourtant, c'est moins Jimmy Jump que Frank White qui résonnera dans l'inconscient collectif Hip-Hoppesque, son écho pouvant se mesurer à la fréquence de la mention faite par les rappeurs américains tout au long des années 1990 jusqu'au début des années 2000, à coup de répliques tirées du film, de sample du générique d'ouverture ou de références à son personnage... Parmi les principaux à avoir rendu hommage au film, on retrouve pêle-mêle Tupac, les membres de Mobb Deep, Na$, 50 Cent et surtout Biggie Smalls, qui ira jusqu'à prendre Frank White comme alias.

 

Photo, Theresa Randle, Christopher WalkenIl a du groove pour un cavalier sans tête

  

Une fascination qui n'égale sans doute pas celle exercée par Scarface, qui continue de squatter les couplets des rappeurs près de 40 ans après sa sortie. On évoquait plus haut le parcours du personnage de Nino Brown dans New Jack City, qui est clairement calqué sur la trajectoire de Tony Montana, mais les exemples sont légion des deux côtés de l'Atlantique. Car ce ne sont pas tant les qualités d'écriture ,esthétiques, de mise en scène de The King of New York ou Scarface que le destin de leurs personnages qui en font des références iconiques dans le rap

Là où Tony Montana est dépeint comme un être immoral qui triomphe par le mal pour mieux en périr, sa mort agissant comme une catharsis pour le spectateur, Frank White est un personnage profondément ambigu dans ses paroles et ses actes, dont on ignore tout du passé, mais dont on connaît d'avance la fin tragique. Un personnage désireux de changer, conscient qu'il s'achemine vers sa propre fin par ses actions, mais incapable de la changer... Sa mort anti-spectaculaire achève d'en faire une icône paradoxale et secrète, emportant ses mystères dans la tombe.

Aujourd'hui, il paraît presque ironique de se dire que White a mieux survécu que Jimmy Jump dans la mémoire collective du rap, alors que son personnage est sans doute le plus proche de celui d'O-Dog, également très populaire dans le rap américain comme francophone. Les voies des platines sont décidément impénétrables...

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Raphaël Iggui

@M.X.

A aucun moment du dossier, je prétends que le film prend un quelconque parti entre les deux. Par contre, le parti pris du film serait plutôt de dire que les individus n’existent jamais qu’au sein d’un contexte, et que les frontières morales sont une illusion dont on prend conscience en les franchissant. En adoptant un comportement de truand, les flics s’exposent à finir comme tel. Relisez bien.

Mx

absolument pas d’accord avec toi, au contraire, le film ne prend pas spécialement partie, puisque renvoyant dos à dos les truands vs les flics, les acteurs sont au diapason, la tuerie dans le night-club, sous fond de rap old school, et dans la lueur bleutée, bref plein de scènes cultes!

Hank Hulé

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 galetas : il en parle dans les suppléments (en chiant un peu sur terminator d’ailleurs…)

Hank Hulé

Revu hier en 4k UHD : la copie est sublime, le film l’est moins. Le film ne raconte finalement pas grand chose, rivé sur le regard (magnifique) de Walken. Que ce soit du côté gangsters ou flics, aucune empathie et les enjeux sont minces. Le film reste pas mal comme témoignage d’une époque sur NY mais on est très très loin d’un Mann.

Hasgarn

Je suis rester complètement en dehors de ce film.
J’en garde un souvenir vraiment bof, fauché et mal foutu.

Je ne dois pas être le bon public de ce film

Xbad

Une ambiance aussi lourde que dans Bad lieutenant, j’adore

galetas

J’espère que la copie UHD qui vient de sortir est à la hauteur du film.
J’avais lu quelque part que FERRARA s’était inspiré de TERMINATOR pour son film.

Mx

Walken, tu veux dire.

The king

Un pur cher d’œuvre avec Christopher Walker !

Flash

Mx@的时候水电费水电费水电费水电费是的 c’est possible, faut que je revois ce film.
Il est incroyable aussi, dans voyage au bout de l’enfer.