Critique : Berberian sound studio

Patrick Antona | 3 avril 2013
Patrick Antona | 3 avril 2013

Second long-métrage de Peter Strickland, Berberian Sound Studio est un thriller horrifique stylisé et ambitieux, dont la thématique essentielle (et complexe) est de plus jouer sur les sensations et sur la perception plutôt que de se livrer à l'exercice classique du whodunit. Puisant avec intelligence dans l'esthétique du giallo italien et s'inspirant aussi du Blow out de Brian de Palma, le film de Peter Strickland évite l'écueil de l'hommage servile en composant une intrigue gigogne qui réussit à traiter habilement de la névrose des techniciens du cinéma soumis aux affres de la création et de la violence sous-jacente qui peut en résulter.

Appliquant à la lettre le concept de ne jamais montrer une image de
The Equestrian Vortex, le film d'horreur révolutionnaire sur lequel l'ingénieur du son Gilderoy (Toby Jones) vient  travailler à Rome, le réalisateur anglais nous place constamment au côté de ce petit anglais perdu au milieu de latins hauts en couleurs et dont l'isolement se fera de plus en plus sentir et bien au delà de sa cabine de son bien exigüe. Par le travail sonore précis, une photo et direction artistique dignes de Bava et d'Argento ainsi que par l'intensité du jeu des comédiens, dont la vibrante Tonia Sotiropoulou, l'horreur sous-jacente viendra peu à peu contaminer le mental fragile de ce technicien qui commencera lentement mais sûrement à perdre pied.  Cette magistrale première partie réussit à créer quelques grands moments d'inconfort assez prégnants, tout en jouant sur l'humour avec quelques séquences bien senties comme la création du son d'un Ovni ou les sous-entendus sur la condition d'origine des comédiennes.

Mais en voulant donner une direction plus lynchienne à son intrigue, délaissant le côté claustrophobique qui fonctionnait si bien, Peter Strickland fait un peu dérailler sa machine bien huilée en gérant mal ses allers-retours entre réalité et cauchemar, perdant de son emprise qu'il avait sur le spectateur. L'exercice de style devient ainsi plus voyant et les redites narratives un peu lourdes. Mais même si Berberian Sound Studio perd un peu de sa force, il lui reste quelques impacts grâce à l'interprétation hors pair de Toby Jones qui, bien que dans la peau d'un personnage antipathique, réussit à forcer l'empathie en nous faisant ressentir ses peurs et frustrations.

Manquant de cette puissance que l'on ressent à la vision des meilleurs gialli du genre et des De Palma des années 70, Berberian Sound Studio tire quand même son épingle du jeu grâce à sa profonde originalité et en se montrant respectueux des  codes dont il démonte assez habilement certains des artifices. Peut être aurait-il fallu plus de substance pour que ce thriller psychologique débouche sur une extrémité plus satisfaisante, mais ses ambitions stylistiques et son traitement lui garantissent une pérennité dans le genre horrifique que nombre de productions récentes moins soignées n'atteindront jamais.

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