Critique : Ulysse, souviens-toi !

Nicolas Thys | 22 février 2012
Nicolas Thys | 22 février 2012

Dans un entretien proposé dans le dossier de presse, Guy Maddin offre la plus belle description de son film : « Ainsi, j'ai réuni Homère et Bachelard, tout comme j'ai réuni des fantômes et des gangsters dans Ulysse, souviens-toi ! Ils composaient les couleurs d'un drapeau qui flottait au-dessus de mon bureau, une alliance inattendue agissant tel un baume au cœur. »

Et c'est peut-être là que résulte l'art de ce cinéaste aussi mystérieux qu'exubérant, envoutant et retors qui nous perd dans un labyrinthe en noir et blanc, un cauchemar réalisé, désireux de nous faire croire qu'il parle d'un Ulysse, alors qu'il ne parle que du fils de ce dernier. Certains iront comparer David Lynch et Guy Maddin, les deux réalisateurs aimant à nous faire divaguer dans leurs esprits torturés autant que tortueux. Pourtant les deux cinéastes sont totalement opposés dans leur manière de faire et dans leur vision. Chacun son univers et son aura, chacun son monde. Et celui, clos et personnel, de Maddin s'apparenterait davantage à l'Institut Benjaminta des frères Quay qu'au club Silencio de Lynch.

Alors, non. Inutile de chercher à comprendre. Mais plutôt chercher les clés du récit (et le fils ligoté est la principale). Ne pas s'attendre à un récit carré, simple et linéaire. On nage ici dans l'esprit d'un rêveur qui tourne au cauchemar obsessionnel avec ses images folles et ses moments ténébreux, son absurdité et son surréalisme, son amour du cinéma de genre et son désir de se retrouver tout en nous perdant. On est ici dans l'émotion pure et dans une apologie du faux : dès qu'on pense avoir un repère, on le laisse. La faute au montage alambiqué et à ces personnages dont on ne sait jamais qui est vivant, mort ou entre les deux.

Chaque plan est d'une beauté sidérante et chaque parole, chaque répétition nous entraine dans un autre monde. Se laisser porter sans jamais être stoppé par notre raison qui nous pousse à nous réveiller, voilà la seule manière de voir Ulysse (et de s'en souvenir).

Guy Maddin s'en va associer le classique Homère, déjà maintes fois visités parmi les artistes de tout temps mais que les grands auteurs savent renouveler sans le plagier, avec leurs propres codes et moyens, au moderne Bachelard de La Poétique de l'espace, l'un des livres préférés du cinéaste. Et le film n'est alors plus que la traversée de l'esprit d'un fou délaissé qui revoit l'homme tant attendu et qui a tout oublié. Ce même Bachelard qui écrivait ailleurs qu'on « ne conçoit pas plus une maison sans lampe qu'une lampe sans maison ». Citation parfaite pour entrer dans cette demeure, ce songe où la lumière, bien qu'absente, sculpte les décors, étroits et vastes : une libération de fantômes comme seul le cinéma peut en proposer, et un passé qui implose dans un impossible souvenir sans couleur.

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