Critique : Abel

Manon Provost | 5 janvier 2011
Manon Provost | 5 janvier 2011

Focus sur la pupille aux longs cils noirs d'un enfant resté sans parole depuis le départ d'un père fuyard. A hauteur d'enfant, Diego Luna nous invite à souffler sur le château de cartes qu'est l'ordre familial. Un premier film maîtrisé, où le réalisateur expérimente le jeu de rôles poussé à l'extrême pour s'affranchir des codes narratifs habituels, en mettant l'accent sur les dangers de l'enfant devenu roi et figure patriarcale d'une famille en tout point victime de l'abandon. 

Regard inquiétant et pénétrant, Abel est au départ un enfant sans parole, enfermé dans un mutisme énigmatique. De retour dans sa famille, il recouvre l'usage de la parole et annonce une nouvelle ère : celle de l'enfant propulsé dans la panoplie du père de famille. Dès lors, les rôles sont redistribués. Petit tyran empreint d'une autorité exacerbée, il s'approprie le trône patriarcal laissé vide et s'empare de la couronne familiale. Que se passe-t-il alors lorsqu'un enfant d'à peine neuf ans se considère comme l'homme de la famille et prend d'assaut le lit conjugal pour tendre à sa mère une bague en gage d'amour ? Au-delà du complexe d' Œdipe, trop galvaudé, se dessinent les prémices d'un mal plus ravageur.

Diego Luna mène sa barque vers un précipice que tous redoutent mais que nul n'ose affronter. Crescendo, les personnages s'acheminent vers un même drame que la mise en scène réussit à faire pressentir de manière toujours plus forte, sans que ne soit jamais donnée la certitude d'une fin tragique. Un subterfuge bien pensé pour laisser planer le doute d'une éventuelle issue de secours, quasi inexistante. Enfermant ses personnages dans un cercle familial atypique, cercle qu'Abel ne cesse de dessiner symboliquement dans sa main jusqu'au sang, Diego Luna bouleverse les schémas narratifs classiques et expérimente le théâtre des émotions et du mensonge entretenu.

Au-delà de l'histoire qui nous est racontée, c'est avant tout la capacité du réalisateur à tester, sans barrières ni limites, les rapports complexes et sensibles qui lient les êtres d'une même famille. Ce qui saisit, c'est aussi le choix de faire de chaque détail, parfois infime, l'élément déclencheur d'un chaos omniprésent. Dans la demi-mesure pour ne jamais tomber dans le cercle apocalyptique de la tragédie, Diego Luna s'aventure à créer des situations comiques qui lui donnent la liberté de la transgression par le rire. 

On connaissait le comédien éclectique, on découvre un réalisateur audacieux et brillant dans la direction d'acteurs. Allant jusqu'au bout de sa réflexion, il se jette dans le grand bain de la fiction, quitte à se noyer, sans se soucier de ce qu'il est convenu de faire ou de ne pas faire. Sincère dans sa démarche, il se fait le maître d'un jeu parfois dangereux mais maîtrisé, où l'aspect comique des situations prévaut sur la dimension tragique des rapports humains, excluant toute forme d'ambiguïté malsaine. Touchant et audacieux, Abel étonne jusqu'au bout. 

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