Critique : Les Trois royaumes

Après avoir conclu sa campagne américaine sur l'échec de Windtalkers et un bien piètre Paycheck, on était en droit de se demander si ce retour aux sources chinoises sonnerait comme un renouveau pour John Woo. Au vu du spectacle magnifique donné par Les Trois Royaumes, alliant à la fois modernisme et classicisme, on peut être rassuré, le disciple de Chang Cheh est revenu à son plus haut niveau et laisse présager une suite de carrière des plus prometteuses.

Situé dans les temps anciens où la Chine était morcelée en royaumes antagonistes qui ne cessaient de batailler, l'action des Trois Royaumes se focalise sur la tentative d'invasion du roi du Nord, piloté par son vizir Cao Cao (Zhang Fengyi), vers les deux royaumes du Sud, défendus par l'alliance du fin politique Zhuge Liang (Takeshi Kaneshiro) et du seigneur de la guerre Zhou Yu, stratège éclairé et poète ses heures, incarné avec brio par Tony Leung Chiu Wai (A toute Epreuve, Hero), qui crève à nouveau l'écran. Passant allègrement le cap de l'explication historique permettant de comprendre quelque peu les enjeux géo-politiques, John Woo et ces scénaristes entrent vite dans le vif du sujet et enchaînent avec virtuosité batailles épiques et mystifcations psychologiques, où le détail des stratégies astucieuses de chacun des clans devient aussi passionnant que si l'on jouait à un Wargame sur grand écran.

Mais plus qu'un film belliciste où des guerriers surhumains s'affrontent allègrement à grands coups de sabre, où les archers envoient des milliers de flèches obscurcissant le ciel, et sont évoqués les prémisses de la Guerre Bactériologique, Les Trois Royaumes n'en demeure pas moins un grand film d'hommes, et de femmes. Evoquant la philosophie bouddhiste, l'importance des éléments (la Terre, l'Eau, le Feu et le Fer) et rappelant l'éternel thème de ses films à savoir l'ambiguïté et l'ambivalence des héros, qu'ils soient bons ou mauvais, John Woo magnifie les actions et les sentiments de chacun de ses protagonistes, sans verser dans l'emphase ni la schématisation. Ainsi les adversaires se vouent une admiration réciproque, alors que les rapports entre les « alliés » semblent plus tenir sur la base d'une forme de compétition d'intelligences que d'une véritable forme de communauté. 

Mais qui dit John Woo dit romantisme exacerbé, incarné ici par la passion qui lie le seigneur de la guerre  Zhou Yu  à sa compagne (superbe nouvelle venue Lin Chi Ling dont c'est le premier rôle de cinéma !) et qui, loin d'amenuiser la portée de son film, permet de lui apporter un ultime rebondissement qui emballera avec génie le dernier acte du film. Même les envolées de pigeons sont de la partie, mais cette fois-ci pour servir le récit !

Grand spectacle hautement recommandable, Les Trois Royaumes est une fresque riche, haute en couleurs  et dense qui donnera envie à la nouvelle génération de s'intéresser à une histoire autre que celle habituellement abordée dans les manuels d'histoire ; et aux anciens nostalgiques de l'âge d'or de la Shaw Brothers de prendre un bain de jouvence, même pas gâché par l'intrusion du numérique.

Note : La version distribuée en France est la version Internationale de 2h25 qui propose un montage condensé des 2 films distribués en Asie, opération supervisée par John Woo lui-même. Mais il est évident que les coupes qui ont réduit le métrage originelle de plus de 4h ont quelques peu amenuisé l'impact de certains persos (comme la sœur interprétée par Vicky Zhao Wei) ou policé les interactions entre les protagonistes. Mais cette version sera disponible en DVD dans l'année, vous pourrez faire la comparaison.

Note 2 : Le rôle de Zhou Yu, défendu avec brio par Tony Leung Chiu Wai, avait été offert à Chow Yun Fat, qui avait préféré rester aux USA pour tourner dans ... Dragonball Evolution ! Il doit encore s'en mordre les doigts, vu que le film de John Woo est devenu le champion toute catégorie du BO asiatique !