Critique : Towelhead / Pureté volée / Tabou(s)

Julien Foussereau | 4 septembre 2008
Julien Foussereau | 4 septembre 2008

Towelhead, c'est l'injure ultime américaine à destination des moyen-orientaux, le « bougnoule » made in USA. Un titre choc, tout à l'inverse de ce film, cruel et doux à la fois. Adapté du roman La Petite Arabe d'Alicia Erian, Towelhead relate l'éveil douloureux à la sexualité de Jasira, 13 ans, pendant la première Guerre du Golfe.

Enfant d'un mariage mixte ayant capoté (mère américaine, père libanais, tous deux narcissiques égocentriques), Jasira est enjointe par sa mère de quitter sa Californie natale pour aller vivre avec son père dans une banlieue de classe moyenne à Houston afin d'apprendre les bonnes manières. Voilà pour la version officielle. La vérité est toute autre : sa mère la voit comme une rivale et ne supporte pas que son compagnon regarde sa fille d'un drôle d'air. Jasira est une préado très jolie en plein éveil des sens. Trop occupé à regarder son nombril et afficher une ouverture de façade, son père panique, lui interdit tout et a par-dessus tout la mandale facile. En l'absence de repères sains, Jasira se fera manipuler par les hommes de son entourage...

Enoncé de cette façon, Towelhead a tout du « film Sundance », pour employer le jargon critique. Il n'en est rien. Alan Ball a réalisé un film ne ressemblant à aucun autre. Towelhead brille autant par la beauté de la photo diaphane signée Newton Thomas Sigel que par l'élégance et la hauteur de vue de ses cadres. Ball a su parfaitement adapter la grammaire développée dans Six Feet Under au médium cinéma. Malgré son faible budget, le film ne fait pas cheap.  Ce qui sidère le plus dans Towelhead est incontestablement sa liberté de ton malgré son sujet incroyablement difficile. Jamais glauque à la Solondz, en aucun cas méprisant, Alan Ball raconte les tribulations d'une jeune fille perdue avec une finesse et un sens de la nuance absolument admirable.

Rarement un film nous aura fait entrer avec une telle justesse et une telle accessibilité surtout dans la tête d'une gamine aussi paumée qu'attachante à la découverte de son corps, de ses désirs sexuels. Le tout sans jamais l'expliciter frontalement ! En témoigne cette scène hallucinante d'attouchement entre Jasira et M. Vuorso (Aaron Eckhart), son voisin soldat réserviste attiré par sa provocante sensualité afin d'oublier sa vie merdique : Alan Ball avance tel un funambule sur un filin, manque de basculer dans l'horreur ordinaire et finit étrangement par arriver à bon port.

Leur relation, extrêmement complexe, souligne l'hypocrisie de la société américaine : elle, fascinée par la sexualité innocente des playmates de magazine, fantasme à l'idée d'en faire autant quand Vuorso refuse catégoriquement qu'elle fasse la putain de papier glacé. Cette charge se poursuit par le biais d'un gros plan sur un tampon usagé ou aux détours de répliques pas piquées des hannetons mais il ne perd jamais de vue de montrer l'humanité de ses personnages, leurs paradoxes ou leurs blessures.

Personne n'est fait d'un seul bois dans Towelhead. En cela, les performances du casting entier sont impressionnantes... à commencer par Aaron Eckhart qui mérite un concert de louanges pour être allé jusqu'au bout de ce que demandait ce rôle sale, nécessitant une palette de sentiments contradictoires. Peter MacDissi, déjà remarquable dans SFU confirme tout le bien que l'on pensait de lui. Enfin, saluons les prodigieux débuts à l'écran de Summer Bishil, la Towelhead qui porte littéralement le film sur ses frêles épaules et l'irradie par sa force de caractère. En dépit des abus qu'elle a subis, elle refuse de voir sa vie détruite et choisit d'entrer dedans de plain-pied, en tant que femme libre lors d'un final abrupt, émouvant, dramatique, comique, lumineux et positif. Tout ça en même temps. Comme peut l'être la vie. Magnifique.

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