Critique : Opération Tonnerre

Julien Foussereau | 30 octobre 2006
Julien Foussereau | 30 octobre 2006

La sortie d'Opération Tonnerre en 1965 coïncide avec la grande mutation amorcée par la franchise. Le triomphe mondial fait à Goldfinger l'année précédente donne alors toute la latitude au tandem Broccoli/Saltzman pour produire l'adaptation d'un des romans de Fleming les plus lourds. Mais cette transition est moins le fait d'une augmentation phénoménale du budget (9 millions de dollars, soit trois Goldfinger) que d'une prise de distance de plus en plus nette avec le fond baptismal cinématographique établi avec Dr. No. L'élégance discrète et le réalisme certain de la violence des trois premiers volets laisseront place à une formule consacrée depuis dans le cinéma d'action : Bigger, louder, faster... mais pas forcément better. Il suffit de se pencher sur le cas d'On ne vit que deux fois pour constater que le plafond a été atteint. En ce sens, Opération Tonnerre est vraiment le Bond de la mue, de l'entre deux avec son cahier des charges schizophrénique.


Rien de mieux pour illustrer ce propos que le traditionnel prologue. Après avoir démasqué un membre du SPECTRE, 007 s'engage avec ce dernier dans une violente rixe digne de Bons Baisers de Russie au cours de laquelle l'intégralité du mobilier Louis XV va être réduit à l'état de chapelure. Puis, le couac, l'échappée de Bond par les toits du Château de Saint Anet et sa fuite au moyen d'un jet pack préalablement laissé à son intention. Cette séquence pré générique donne le la d'Opération Tonnerre : un va-et-vient constant entre patine « réaliste » (adjectif à prendre au second degré, c'est à un James Bond que nous avons affaire tout de même !) et approche larger than life. Ce film est peut-être le James Bond le plus ludique de l'ère Connery parce qu'il alterne des codes bien connus (reconnaissance du terrain, jaugeage du méchant, etc.) avec la désinvolture étourdissante de 007 tenant plus parfois du super héros que de l'agent rompu à l'infiltration (voir la partie de ball-trap avec Largo)


Plus ou moins consciemment, Terence Young a senti ce tournant et a su exploiter intelligemment cette inconstance dans les registres dans la mesure où il pousse à fond la « signature Bond » qu'il a contribuée à créer cinq années plus tôt (splendeur de l'exotisme bahaméen, arrogance charmeuse d'un Sean Connery à l'aise comme jamais et utilisation parcimonieuse des gadgets) tout en relevant un sacré défi technique : filmer le quart du film en mode subaquatique…Malgré les quarante et une années, force est d'admettre que ces prises de vue sous-marines n'ont rien perdu de leur attrait, qu'il s'agisse du batifolage de Bond avec Domino dans les récifs ou de la bataille finale de vingt minutes ; surtout lorsque ces passages sont magnifiés par la mémorable partition de John Barry tout en cuivres étouffés (elle servira de base à Michael Giacchino pour écrire son score des Indestructibles)


Bien sûr, on pourra toujours avancer l'inconsistance de Largo, le méchant du jour. Tellement transparent d'ailleurs que c'est à se demander si l'usage du bandeau dissimule plus un manque de caractérisation flagrant qu'un œil borgne. De la même façon, Claudine Auger, alias Miss France 1958, peine à rivaliser avec des James Bond Girls prestigieuses comme Ursula Andress ou Honor Blackman et la pauvre ne peut compter que sur sa superbe plastique ; pire, elle se fait littéralement éclipser par l'exécutrice du SPECTRE Fiona Volpe, interprétée par la rousse et voluptueuse italienne Luciana Paluzzi. Il n'empêche, Opération Tonnerre demeure le plus grand succès commercial de la série à l'origine d'un raz-de-marée sans précédent jusqu'alors (ce qui explique en partie son remaking officieux en 1983 avec Jamais plus jamais.) Il est aussi la matrice du film d'action moderne ainsi que la fin de la plus grande époque de l'espion 007.

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