Critique : My own private Idaho

Jean-Noël Nicolau | 15 septembre 2006
Jean-Noël Nicolau | 15 septembre 2006

Depuis le triomphe cannois de Elephant et le renouveau esthétique de la mise en scène de Gus Van Sant, on redécouvre sa filmographie en y recherchant des prémisses de ses récents coups de génie sans concession. Si My Own Private Idaho est peut-être le premier grand film du réalisateur (bien qu'il faudrait aussi reparler de Drugstore Cowboy), il est d'autant plus intéressant de le revoir et de l'apprécier en mettant de côté les impressions laissés par Gerry ou Last Days. S'il s'agit, là encore, d'errances autodestructrices et d'amours impossibles, Van Sant les filme en 1991 avec une mise en scène moins contemplative et nettement plus riche en effets inattendus. Mais la plus grande différence avec la nouvelle orientation de son style se situe sans doute dans le scénario, qui n'hésite pas, dans My Own Private Idaho, à user de toutes les ficelles du mélodrame le plus hollywoodien. L'intérêt de l'œuvre résidant alors dans l'adaptation d'un schéma des plus classiques à la description du quotidien sordide de (très) jeunes gigolos.


Mais Gus Van Sant évite brillamment la trivialité d'un tel sujet, essentiellement parce qu'il s'y plonge avec une sincérité totale, n'hésitant jamais à verser dans la comédie ou dans l'esthétisation excessive. Lorsque le réalisme crée le malaise (voir par exemple le récit des premières passes), l'auteur adopte la rupture de ton pour mieux introduire un nouveau personnage très haut en couleurs (Bob, le marginal flamboyant, ou bien Hans, le « pervers » campé par un Udo Kier aussi drôle qu'inquiétant). Au final, My Own Private Idaho paraît très loin du documentaire et s'approche nettement plus d'une relecture poétique, très romanesque, des propres expériences du réalisateur et de son entourage. Le visuel du film, d'une grande richesse, peut ainsi passer des visions quasi surréalistes issues de la narcolepsie de son héros à des scènes de sexe figées en de fausses photographies évoquant directement le travail de Nan Goldin.


L'autre force du film réside bien sûr dans son casting. Keanu Reeves est idéal dans son rôle de minet rebel, extravagant et un peu exaspérant, on imagine mal qu'il allait ensuite devenir ce héros de blockbusters, fade et inexpressif. Mais la seule et unique vedette demeure le très regretté River Phoenix, qui trouve ici le grand rôle de sa courte carrière. Beau comme un demi-dieu, mi-James Dean, mi-fantasme homo érotique, River Phoenix passe du glamour à la détresse au sein de la même scène. Justement récompensée à Venise, sa performance atteint des sommets dans la seconde moitié du métrage, de sa confession près du feu de camp à la souffrance de l'abandon (de la mère, de l'amant, de l'image du père…). Mais l'ensemble du casting possède une rare justesse et évite la caricature qui guettait le projet.


Malgré les élans lacrymaux de certaines scènes, My Own Private Idaho ne sombre jamais dans le pathos et la lourdeur. Un peu Western (par la musique, par l'attaque de « diligence »), un peu Odyssée existentielle (il y a déjà presque tout Gerry dans ce film), d'une rare sophistication, l'œuvre fait bien plus qu'annoncer la suite de la carrière de Van Sant, elle se suffit à elle-même, quasi unique dans ses portraits de paumés magnifiques et son approche « grand public » de thèmes rarement évoqués avec autant de pudeur et de verve au cinéma.

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