Outrages : critique de guerre

Sandy Gillet | 7 novembre 2006 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sandy Gillet | 7 novembre 2006 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Outrages n'est pas un film de guerre et encore moins un film sur la guerre du Viêt-Nam, c'est un film sur les crimes et les atrocités que l'on peut être amené à commettre en temps de guerre. Si le postulat peut paraître incongrue (la guerre n'est-elle pas déjà en soit le crime ultime par excellence ?), De Palma recentre rapidement les débats en y introduisant sa thématique fétiche : la matérialisation de la frontière. De celle qui fait basculer une situation donnée en tragédie formelle et hautement filmable : dans Carrie elle prenait la forme des pertes menstruelles, dans Blow out il s'agissait d'un son enregistré accidentellement, dans Body double elle se confond avec la fêlure voyeuriste de son personnage principal.

Le basculement avec Outrages est plus empathique et donc plus prévisible, ce qui fait à la fois la force du film mais aussi ses limites : alors qu'il ne lui reste plus que quelques jours avant la quille, un soldat se fait sécher par un sniper provoquant chez son ami le plus proche et accessoirement le sergent du peloton une haine sans borne quant à la population locale. Pour se venger il décide avec la complicité de ses hommes de kidnapper une paysanne en vue d'un viol collectif. Pourtant, un soldat fraîchement débarqué et vaguement idéaliste va s'y opposer comme il le peut. La confrontation qui s'ensuit est l'épicentre d'Outrages. Au passage elle permet à Sean Penn dans le rôle du sergent Meserve de délivrer une performance extraordinaire qui immanquablement fait de l'ombre au pauvre Michael J Fox pas tout à fait à l'aise dans la peau du soldat Eriksson. Il faut le voir jouer tel un asthmatique qui s'ignore (le souffle court, l'œil torve…) pour comprendre qu'il n'était peut-être pas l'acteur de la situation… à la précision tout de même près que sans lui le film ne se serait certainement pas monté tant à l'époque Michael J Fox était bankable.

 

photo


La problématique ainsi posée, De Palma s'ingénue à faire du De Palma sauf que là, à l'orée des années 90, cela commence à tourner à vide. Sentiment accentué de surcroît par le manichéisme ahurissant de l'histoire. Point de gris ici, les avis sont tranchés et la démonstration de tous les instants à l'image d'un Michael J Fox devisant, théories philosophiques à l'appui, sur son (non) rôle dans cette affaire alors qu'en contrebas et en arrière-plan un soldat vient de sauter sur une mine. Reste que Outrages comporte une séquence qui à elle seule vaut tout le film et même plus. Celle-ci intervient quand Eriksson (Fox donc) découvre les conséquences sur la jeune femme des sévices sexuels qu'elle a subis durant toute la nuit. Jeu de regards en de simples champs / contrechamps, caméra allusive comme imprégnée du moment, silence assourdissant de la bande-son… Il s'agit là à n'en pas douter d'un des plus beaux plans de celui dont on a catalogué le cinéma et certainement à tort de « camera prima donna ». Bien entendu on y trouvera aussi le « morceau de bravoure », de celui dont tout le monde se souvient à savoir la séquence du pont qui voit le meurtre de la jeune femme se perpétrée alors que Viêt-Congs et G.I. se font leur guerre à coup d'AK-47 et autres M-16…

 

photo, Michael J. Fox


On sait qu'Outrages fut un projet auquel De Palma tenait depuis longtemps. Peut-être depuis la lecture de l'article paru en 1969 dans le New-yorker et qui relatait l'histoire d'un peloton qui avait commis plusieurs viols envers des vietnamiennes. Ce n'est qu'après le succès foudroyant des Incorruptibles que celui-ci pu envisager enfin d'en adapter l'histoire pour le cinéma. Malheureusement on a l'impression que son film profite de l'engouement de l'époque sur la guerre du Viêt-Nam permettant encore une fois à De Palma de recycler certes assez brillamment dans la forme plusieurs courants de cinéma pas toujours bien digérés dans le fond. Pour autant et aussi paradoxal que cela puisse paraître, Outrages est sans aucun doute un des films les plus personnels de sa filmographie, pas le plus abouti certes, mais à n'en pas douter bien plus attrayant et complexe que ses dernières réalisations qui depuis 1993 et le monumental Carlito's way se complaisent dans la resucée indigne (L'esprit de Caïn, Mission to mars) ou dans l'auto parodie chic et toc (Mission Impossible).

 

Affiche française

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.8)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire