Critique : Tideland

La Rédaction | 19 avril 2006
La Rédaction | 19 avril 2006

Après avoir publié il y a quelques semaines une critique élogieuse que vous retrouvez plus bas dans ces lignes, nous vous proposons de lire un avis bien plus nuancé du dernier film de Terry Gilliam, un avis qui reflète d'ailleurs plus celui de l'ensemble des membres de la rédaction pour la plupart déçus par la nouvelle folie de l'ex-Monty Python.

CONTRE : 4/10

Tideland, c'est un peu le cinéma Kiss Cool, celui du double effet : hébété et perplexe d'abord, résigné et affligé ensuite. Ce cheminement pour cette ultime appréciation fait remonter en surface le souvenir de Sick Boy et sa théorie universelle du génie dans TrainspottingA un moment donné, on l'a, puis on le perd ») et celui de Kill your idols, chanson de Sonic Youth au titre de circonstance. Deux empreintes mémorielles fugaces pour définir précisément la direction que prend la carrière de Terry Gilliam : droit dans le mur s'il ne se ressaisit pas très vite. Ce constat aussi triste qu'explicite n'est pas à prendre à la légère car Tideland risquerait bien de devenir un “anti-sésame”, à la fois capable de lui fermer toutes les portes des maisons de production et de briser la foi de ses admirateurs un tantinet lucides…

Qui suit un minimum son parcours connaît les difficultés qu'il n'a eu de cesse de rencontrer : l'échec critique et public de Las Vegas Parano, le …Don Quichotte avorté, les clashs répétés avec Harvey Weinstein sur Les Frères Grimm, etc. Position assez confortable pour Gilliam qui rejetait la responsabilité de ses revers sur ces méchants décideurs qui ne comprenaient décidément rien à rien ; position trop manichéenne pour être honnête parce que, jusqu'à Tideland, les tournages aux forceps ont toujours été une constante chez lui et cela ne l'a pas empêché de réaliser un chef d'œuvre reconnu de tous (Brazil) et d'indéniables réussites saluées par la critique, et même parfois par le public (Fisher King, L'Armée des douze singes). Pourtant, le point commun à tous ces films réside dans le fait que Terry Gilliam n'avait jamais le final cut. Le but n'est pas de défendre les producteurs à tout prix (et surtout pas Harvey Weinstein !) mais de rappeler qu'un producer's cut peut parfois se révéler plus judicieux que la vision du réalisateur (cf. La Foule de King Vidor, L'Aventure de Mme Muir de Mankiewicz, Sugarland Express de Spielberg…) L'un des rares avantages de Tideland est de justement faire tomber nos œillères : avec un final cut entre les mains, on se rend compte que le pire ennemi de l'ex-Monty Python n'est pas un cadre propret de studio mais bien Terry Gilliam lui-même !

En adaptant le roman de Mitch Cullin, la mécanique Gillam hoquète dès le début du film comme un moteur que l'on essaierait de démarrer par un matin glacial d'hiver avant de le noyer. La noyade en question survient à la fin de la première bobine lorsque Jeliza-Rose et son papa investissent la maison paumée dans une campagne texane échappée de Days of Heaven et que le paternel se met “en vacance prolongée”. Après cette mise en place, Gilliam tente de réactiver son mojo par le biais de sa signature : grand angle, jeu de couleurs, ton onirique (ah ! les jolis travellings latéraux dans les champs de blé !), toute la puissance visuelle de Gilliam répond présent par intermittences. Mais ces bouffées d'oxygène sont d'autant plus rageantes qu'elles se fracassent irrémédiablement contre un scénario et un casting manquant considérablement de souffle. On aurait presque envie de rire (ou de pleurer, c'est selon) lorsque Gilliam définit avec prétention son film comme un mix d'Alice au pays des merveilles et Psychose. Il se montre incapable de restituer la poésie ambiguë du conte de Lewis Carroll et d'arriver ne serait-ce qu'à la cheville du classique de Hitchcock en terme de suspense. C'est bien simple, la substance de Tideland équivaut à un court-métrage étiré sur près de deux heures pendant lesquelles Jodelle Ferland est de tous les plans. Et la gamine a beau être mignonne, elle n'a pas les épaules suffisamment solides pour porter, avec des têtes de poupées sur les doigts, ce Titanic en 24 images/seconde. Du coup, le film n'est qu'une sensation persistante de déséquilibre léthargique que Gilliam croit contrecarrer en ayant recours à quelques provocations à caractère pédophile.

Peine perdue ! Les bisous que s'échangent Jeliza et Dickens, l'attardé mental au sourire chevalin, ne sont pas suffisants pour réveiller un public rendu à compter les changements de bobine tant il se sent difficilement concerné par la perception étrange de Jeliza-Rose comme moyen de survie dans cet environnement hostile. Ce même public est certainement la partie la plus flouée dans l'histoire et il est tout à fait en droit de se demander s'il ne dérange pas à force de se sentir exclu par un cinéaste qui, frustré d'avoir du faire des compromis pendant des années, n'a décidé d'en faire qu'à sa tête. C'est peut-être la plus grande erreur de Gilliam : ne jouir d'aucun frein pour le plaisir de faire la nique aux producteurs au point de négliger son propre public. Ce plaisir démontre clairement ce qu'est Tideland : un objet ne s'adressant à personne d'autre qu'à Gilliam et son besoin égocentrique de boucler enfin quelque chose qu'il aurait complètement régenté. Il est cependant regrettable que dans ce cas précis, la liberté sente autant le sapin.

Julien Foussereau

POUR : 10/10

Nous sommes tous des enfants de Brazil, des enfants de Terry Gilliam, prêts à partir les yeux fermés en quête du graal (Fisher King), effectuer des voyages dans le temps (L'Armée des 12 singes), partir faire un road movie sous L.S.D (Las Vegas parano). Nous étions prêts à suivre partout Terry Gilliam, génie et créateur d'univers, pour voir un bout de cet imaginaire constitué de légendes et de réalité. La sortie d'un nouveau film du bonhomme est donc toujours un évènement et pourtant depuis une petite dizaine d'année, notre ami anglais se perd dans son propre univers, sa créativité, qui nous emmenait dans les mondes les plus dingues, semble s'être retournée contre lui. Sa folie des grandeurs (sa plus grande qualité) était devenue un fléau capable d'anéantir le plus extraordinaire des projets. Telle une malédiction, les tournages de Gilliam s'avéraient être de véritables catastrophes jusqu'au terrible climax que fut L'homme qui tua Don Quichotte qui s'est transformé en un grandiose « unmaking of » intitulé Lost in la Mancha encore dans toutes les mémoires. Les frères Grimm, son dernier film, avait tout de l'œuvre de transition, sorte de repos du guerrier et compromis entre sa démesure et ses producteurs.

Les premières images et le pitch de Tideland semblaient contenir tous les ingrédients nécessaires pour nous rappeler au bon souvenir de l'artiste récent et non le démiurge du passé. En nous racontant l'histoire de Jeliza-Rose, une petite fille de 9 ans évoluant dans son imaginaire, on se disait en plus qu'on allait voir un film à la Tim Burton. Pas fait pour nous déplaire d'ailleurs. Mais dès les premières scènes, le ton est donné, Jeliza-Rose prépare comme une grande les vacances de son père (comprenez par là une fixette et une piquouse d'héroïne). Après la mort de sa mère suite à une overdose, elle part avec son père au fin fond de l'Ouest américain dans une maison dans laquelle elle va construire et nourrir son imaginaire. Et le beau spectacle à la Tim Burton attendu vire très vite en une sorte de croisement entre Alice au pays des merveilles et Psychose (pour reprendre la définition de Gilliam lui-même) renvoyant dès lors le cinéaste à ses chères chocolats.

Si dans la plupart des films traitant d'un sujet similaire, un personnage ou une voix off nous permet de prendre du recul ou tout du moins de s'identifier, dans Tideland, une maison tout droit sortie du dessin d'un enfant et l'horizon sont nos seuls repères auxquels on pourra tout de même y associer la relation d'une immense tendresse entre Jeliza-Rose et son père (Jeff Bridges qui semble plus ou moins reprendre son rôle dans Fisher king). Au sein de cet univers, elle va aussi rencontrer le bien nommé Dickens (Brendan Fletcher), un jeune homme trépané ayant l'esprit d'un garçon de dix ans qui évolue avec sa sœur Dell, véritable ange noir vivant dans une autre maison à proximité. Il a créé un sous-marin dans les arbres et nage dans les océans de blés… Vous l'aurez compris, Tideland signe la renaissance de Terry Gilliam, 21 ans après Brazil.

De fait, l'adaptation du roman homonyme de Mitch Cullin (qui avait envoyé un exemplaire de son livre à Gilliam pour qu'éventuellement il écrive un commentaire sur la jaquette...) permet à Terry Gilliam de maîtriser à nouveau sa créativité dévastatrice. Tideland est sans aucun doute son film le plus intimiste, le plus « hors champs », le plus réaliste et tout simplement le plus beau de son auteur. Réalisé de mains de maître (les mouvements de caméra sont splendides) avec un sens inné pour capter la liberté et l'insouciance (les plans où Jeliza-Rose court en riant dans les champs), Gilliam n'a de surcroît nullement besoin de marionnettes et de décors démesurées. Le scénario et l'interprétation magistrale font cela eux seules. Le film repose en effet beaucoup sur les frêles épaules de Jodelle Ferland, actrice de 11 ans (la petite fille de Silent Hill) que la caméra ne quitte pas d'une semelle. Son jeu époustouflant, fascinant, troublant nous ravis mais nous séduit aussi à tel point que l'on a même l'impression que Terry Gilliam a trouvé son sacré graal.

On a rarement vu au cinéma un équilibre aussi parfait entre l'imaginaire et la réalité. Tideland est un film troublant, sans aucun doute le plus adulte qui ait été fait sur l'enfance avec La nuit du chasseur de Charles Laughton (c'est dire !!!), à la seule différence près que Terry Gilliam est loin d'être l'homme d'un seul film...

Matthieu Perrin

Résumé

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