Critique : The Constant gardener

Vincent Julé | 26 décembre 2005
Vincent Julé | 26 décembre 2005

L'expression « entrer dans un film » est assez nébuleuse pour ne rien dire en tant que tel. Le rôle du spectateur – qui espérons-le chez les lecteurs d'Écran Large n'a rien de passif – consiste ainsi parfois à trouver une porte d'entrée pour apprécier une œuvre, l'analyser, la décrypter, la ressentir. Et cela peut prendre du temps, voire ne jamais arriver, selon les personnes, les films. Il n'y a bien sûr pas de recette miracle, ou alors autant que de spectateurs et d'œuvres : un acteur, un sujet, un lieu, une musique, une sensibilité, etc. C'est pourquoi le traditionnel générique se propose d'incarner, d'installer le ton, l'esprit du film. Cela va du simple et mythique déroulé de Star wars au mini-clip maintes-fois-copié-jamais-égalé de Seven, ou à son absence pure et simple.

The Constant Gardener s'ouvre ainsi directement sur un plan d'une banalité surprenante. Pas de vue aérienne, de travelling ou de gros plan tendance. Juste le plan fixe, à vue d'homme, d'un tarmac, où Ralph Fiennes dit au revoir à sa femme Rachel Weisz. Cette apparente simplicité, presque décevante, révèle pourtant rapidement des trésors de maîtrise et de talent. Jeu avec la profondeur de champ poussé à l'extrême, passage de l'ombre à la lumière hallucinant dans une saturation des couleurs magnifique. Suivent une poignée de plans d'un accident, immobiles et aux cadrages singuliers. Ainsi, en à peine quelques secondes, le réalisateur brésilien Fernando Meirelles définit une identité visuelle et une mise en scène en adéquation avec son sujet, la violence d'Etat. À la question « comment filmer le non-spectaculaire », il donne ainsi une des plus belles réponses vues sur grand écran.

À l'instar de ses deux seules scènes d'action, un court et cru passage à tabac et une course-poursuite avortée, le film distille une impression nouvelle, à la fois paradoxale et envoûtante. Celle-là même d'assister à un déferlement de violence invisible, insidieuse, omniprésente avec cette même constance du titre et du fameux jardinier. En effet, la force tranquille du film trouve résonance dans le personnage de diplomate britannique incarné par le flegmatique et discret Ralph Fiennes. Il mène son combat sans éclats, avec maladresse, sur les traces d'une femme qu'il croyait connaître et aimer. Leur histoire d'amour n'est d'ailleurs pas, au sens propre, empathique, puisque l'un comme l'autre existe plus au travers de leurs défauts. Au final, la quête de la vérité comme celle de l'amour prennent la forme d'un acte de foi.

Adapté de John Le Carré, The Constant gardener tient ainsi moins du thriller que du drame, surtout grâce à cette photographie saisissante et quasi-documentaire de l'Afrique en général, et du Kenya en particulier. Pas de douteuse reconstruction ou de tournage dans le pays d'à-côté, toute l'équipe s'est mêlée aux villages et aux peuples environnant pour une immersion totale du spectateur. Comme le considère lui-même Fernando Meirelles, le Kenya est bien « le troisième protagoniste » de ce film flamboyant.

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