Critique : Viva Zapatero !

Johan Beyney | 19 décembre 2005
Johan Beyney | 19 décembre 2005

C'est mordant, c'est drôle, c'est juste et c'est… déprogrammé ! Après sa première diffusion, le show satirique de Sabina Guzzanti, RaiOT, a été purement et simplement supprimé des grilles de programmes de la Rai, la télévision publique transalpine. C'est que dans la démocratie italienne, on ne se moque pas impunément du gouvernement et de son chef de file, Silvio Berlusconi.

Atterrée par la mauvaise foi des dirigeants de sa chaîne, l'humoriste va alors, avec humour, se mettre en quête d'une explication. Caméra à l'épaule, elle court après les hommes politiques et médiatiques avec pour bagage une seule question : pourquoi ? Les réponses, évasives et embarrassés, se suivent et se ressemblent : l'émission était vulgaire, insultante, diffamatoire. Sur tous ces entretiens pèse la présence menaçante d'un homme qui concentre dans ses mains– avec toutes les dérives que cela implique – le pouvoir économique, médiatique et politique d'une démocratie en perdition.

Sabina Guzzanti revient sur l'arrivée au pouvoir du Cavaliere, des origines obscures de sa fortune aux magouilles parlementaires qui lui assurent aujourd'hui le monopole de l'information en Italie. Si ce résumé des faits peut parfois paraître obscur pour les non-initiés, la situation s'avère limpide. Détenteur des chaînes privées, Berlusconi nomme, en tant que premier ministre, les dirigeants des chaînes publiques et les membres de l'équivalent italien du CSA. De quoi contrôler à la fois son image et celle de son gouvernement, de quoi taire ce qui doit être tu. Bâillonnés par la peur d'un licenciement opportun ou d'un procès qui les mettrait sur la paille, politiques et journalistes font profil bas. Causes et conséquences…

Ne restent alors que les clowns pour faire le boulot, une mission difficile quand la scène des médias leur est fermée… Car selon les autorités en place, la satire ne saurait se fonder sur la politique : elle doit faire rire, pas réfléchir. Si les humoristes se mettent à faire de la politique, alors où va-t-on ? Devant ces dialogues de sourds, Sabina Guzzanti trépigne, enrage, et fait le constat d'une démocratie en danger où, derrière les mots choisis de ses dirigeants, affleurent les notions anti-démocratiques de censure et de fascisme. Un état des lieux d'autant plus effrayant qu'il concerne l'un des pays fondateurs de l'Union Européenne.

La manière dont Sabina Guzzanti s'agite pour faire reconnaître les véritables raisons de la déprogrammation de son émission a la force du désespoir et l'on se sent avec elle submergé par un désagréable sentiment d'impuissance. C'est peut-être d'ailleurs l'un des défauts du film : trop impliquée, l'humoriste/réalisatrice peine à prendre du recul et a tendance à s'éparpiller dans un propos et une réalisation parfois brouillons. Reste que son cri d'alarme résonne de manière convaincante et nous incite à rester vigilants pour sauvegarder ce fondement essentiel de la démocratie qu'est la liberté d'expression. Acclamé lors de sa présentation à la Mostra de Venise, succès public en Italie, Viva Zapatero ! s'avère –avec ses défauts – être une œuvre de salubrité publique.

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