Les Frères Grimm : Critique

Johan Beyney | 27 septembre 2005
Johan Beyney | 27 septembre 2005

Les Frères Grimm marque le retour d'un réalisateur hors normes que, avec la tentative avortée de son Don Quichotte, on n'avait pas revu depuis Las Vegas parano. L'attente était d'autant plus grande que l'ex-Monty Python à l'univers décalé et déjanté revient ici avec un film qui flirte avec le conte de fées. L'histoire des frères Grimm (des charlatans chasseurs de sorcières et autres monstres imaginaires, dont les aventures inspireront plus tard leur œuvre d'écrivains) semblait d'ailleurs faite pour lui, avec ses promesses de forêts sombres, de malédictions ancestrales, de créativité fantasque et fantastique.

Sans conteste, on retrouve ici la patte de Gilliam : un mélange épique de conte cauchemardesque, d'inventivité visuelle, d'humour burlesque, d'excès théâtral. Au milieu de décors grandioses et inquiétants qui rappellent le Sleepy Hollow de Tim Burton, le réalisateur met en scène une galerie de personnages grandiloquents qui, loin des clichés hollywoodiens, sentent la boue et la crasse. À ce titre, Jonathan Pryce (un habitué chez Gilliam), général français délicieusement cruel et cynique et Peter Stormare (fidèle des frères Coen), homme de main italien stupide et cruel, apportent ce qu'il faut de folie à leurs personnages de méchants expansifs et outrés. On notera également la performance, dans le duo fraternel, de Heath Ledger, qui campe un Jacob Grimm tout en maladresse et en sensibilité. Caméra bancale et lumières changeantes, Terry Gilliam filme cet univers sale, peuplé de personnages excessifs, de machines loufoques et d'humour noir pour donner vie à une histoire idéale pour laisser libre cours à toute sa créativité.

 

 

Alors, pourquoi pas plus de la moyenne ? Parce qu'en dépit de tout ce qui a été dit précédemment, le défi proposé par ces frères Grimm est loin d'avoir été relevé. Que Terry Gilliam ait eu du mal à concilier sa propre vision des choses aux impératifs hollywoodiens d'un film de commande, ou qu'il ait été amené sur certains points à racler des fonds de tiroir, le produit fini reste loin de répondre à toutes nos attentes. Le hic majeur auquel se heurte le récit est un manifeste problème de rythme : trop rapide sur certains points, le film s'attarde sur d'autres, multipliant les scènes redondantes (allers-retours incessants dans la forêt, arrivées de moins en moins inopinées des méchants au fur et à mesure que le film avance) ou peinant à rattacher certaines séquences à l'intrigue principale. Le tout finit par donner l'impression d'une accumulation hystérique de scènes où finissent par se perdre intrigue, tension, personnages…et spectateurs.

 

 

 

Cette difficulté à assurer la cohésion scénaristique du récit se double par ailleurs d'un manque de cohésion esthétique entre scènes triviales et images léchées de conte de fées, entre ambition créative et médiocrité des effets spéciaux. Trop occupé par toutes ces considérations, Gilliam ne nous présente alors en guise de personnages que des images d'Epinal qui, si elles sont agréables à regarder, n'en sont pas moins sans véritable consistance. Pryce et Stormare s'agitent beaucoup pour finalement pas grand-chose. Monica Bellucci, contente de jouer les icônes, en oublie d'être aussi une actrice. On nous propose comme jeune première une femme-trappeur à tête de mannequin qu'on dirait tout droit sortie d'un épisode de Dr Quinn Femme médecin. Quant à « Fade » Damon…

 

 

Alors, pourquoi pas moins de la moyenne ? D'abord parce qu'une grande partie de cet échec doit être attribuée au scénario de Ehren Kruger (Arlington Road certes, mais aussi Scream 3, The ring 1 et 2, Piège fatal) qui ne fait pas franchement dans la subtilité. Son nom apparaissant aussi gros que celui du réalisateur sur l'affiche (si c'est pas une honte…), il peut en assumer la responsabilité ! Ensuite parce que, plus qu'un film raté de Terry Gilliam, Les frères Grimm apparaît davantage comme un film hollywoodien sabordé par un cinéaste qui n'a pas pu en faire ce qu'il voulait. Derrière les clichés formatés du blockbuster américain, on sent se débattre un auteur plein d'idées qui ne sait que faire du scénario et de l'argent qu'on lui a donné, tant le compromis entre ce qu'on lui demande de faire et son propre univers ne sont pas compatibles. Résultat : ni conte féérique hollywoodien, ni conte burlesque gilliamesque, Les frères Grimm s'enlise à essayer de trouver sa propre identité. Naïveté ou excès d'indulgence? Laissons à Gilliam le bénéfice du talent en attendant Tideland.

 

Résumé

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