Le Cercle des neiges : critique d’un buffet froid sur Netflix

Antoine Desrues | 4 janvier 2024
Antoine Desrues | 4 janvier 2024

De L’Orphelinat à Quelques minutes après minuitJuan Antonio Bayona s’est façonné une carrière des plus maîtrisées et passionnantes (oui, même sur Jurassic World 2...). Dans la lignée de The ImpossibleLe Cercle des neiges réinvestit le drame inspiré par un fait réel, à savoir le crash d'un avion uruguayen dans la cordillère des Andes en 1972. Si l’événement a marqué son époque (notamment à cause du cannibalisme nécessaire à la survie des passagers), le cinéaste en tire une nouvelle fois un film à la mise en scène sensible et viscérale, disponible sur Netflix.

Fêtes de Bayona

Le Cercle des neiges déploie dès ses premières minutes un motif majeur : celui de la photographie. Si la prise de clichés rassemble les personnages sur un tarmac d’aéroport dans l’introduction, c’est pour immortaliser le calme avant la tempête à venir, et des vies qui ne seront plus jamais les mêmes. Mais Juan Antonio Bayona va plus loin, puisque d’autres photos seront prises et observées comme autant de preuves et de souvenirs de la société alternative qui va se créer dans la montagne.

En adaptant l’histoire vraie cauchemardesque de cette équipe de rugby coincée dans la cordillère des Andes après un crash d’avion, le réalisateur a conscience des fantasmes qui entourent ce fait divers hautement médiatisé. Par la sauvegarde de moments fugaces, par la préservation de l’évanescent, la notion de reconstitution s’impose comme interrogation centrale du long-métrage. Quelle doit être la limite dans la recréation d’un événement aussi traumatique ?

 

Le cercle des neiges : photoL'une des photos en question

 

La grande intelligence de Bayona, c’est d’accepter la nature de son sujet : sur cette crête où les survivants ont été ostracisés pendant si longtemps, Le Cercle des neiges ne peut qu’embrasser la subjectivité de ses personnages et de leur témoignage. Tout comme la photographie, le cinéma de l’auteur capte les bribes d’un temps suspendu, où la voix des vivants s’exprime autant que celle des défunts (magnifique structure narrative dont on ne spoilera pas certaines surprises tétanisantes).

L'idée est d’autant plus importante que ce contexte particulier évoque en creux la place particulière de la mort. Omniprésente et intraitable dans ce cocon inhospitalier, elle est aussi confrontée aux éléments, et plongée dans une sorte de stase. À cause du froid, les cadavres ne disparaissent jamais vraiment, si ce n’est au travers de leur ingestion par les autres.

Bien évidemment, le cannibalisme tant commenté de cette histoire devient le point sensible du film, attendu au tournant par le spectateur. Si Bayona ne l’esquive pas, il le traite avec la finesse nécessaire pour que sa dimension choc ne perde jamais de vue le dilemme moral. Il filme avec attention les débats et les logiques qui s’opposent autour de cette question, afin de mettre en perspective le paradoxe de cette solidarité ultime, de cette humanité rassemblée sous le prisme de la survie, alors qu’elle franchit une barrière a priori indéfendable.

 

Le cercle des neiges : photoQuand tu vois de la neige à Paris

 

Survival of kindness

Le Cercle des neiges pousse ainsi le spectateur à la même introspection, phase essentielle d’une immersion totale par la mise en scène. On comprend ce qui a attiré le cinéaste vers le sujet, et plus particulièrement vers le livre La sociedad de la nieve de Pablo Vierci, témoignage de 2009 qui a redéfini la perception de l’incident.

Par ses courtes focales qui accentuent le moindre détail, la moindre texture et le manque flagrant de ressources à disposition du groupe, chaque plan se raccroche à l’interaction des corps et à leur transformation dans ce désert glacial. Au fur et à mesure, on a l’impression de sentir le froid et les odeurs de cet espace mortifère, tandis que les rares signes de vie présents à l’écran semblent atteindre une forme de sublime poétique (la buée expulsée par la bouche des personnages).

 

Le cercle des neiges : photoUne séquence bien traumatisante

 

Comme souvent avec Bayona, cette beauté s'exprime dans l’équilibre parfois précaire entre la dimension mélodramatique du récit (portée par la musique anxiogène et mélancolique de Michael Giacchino) et son souhait de coller au plus près à l’expérience éreintante des protagonistes. La prouesse du Cercle des neiges, c’est de parvenir à traiter de front la dureté de son sujet et ses questionnements moraux, sans sombrer dans une vulgarité sensationnaliste. Cependant, le film n’évite pas certains écueils, que ce soit sa durée quelque peu anesthésiante ou sa quête d’exhaustivité, forcément complexe dans un tel film de groupe.

Et si on peut reprocher à l’ensemble sa difficulté à caractériser certains personnages pourtant majeurs du récit, on lui pardonne presque au vu de la puissance de sa réalisation, dont le niveau de viscéralité dépasse celle, déjà impressionnante, de The Impossible. Juan Antonio Bayona tisse d’ailleurs une connexion fascinante entre les deux œuvres, et leurs histoires désespérées qui refusent de céder au nihilisme.

 

Le cercle des neiges : photo"C'est loin mais c'est beau"

 

Un film sublime (dans tous les sens du terme)

Alors que les survivants cherchent un sens à la mort de leurs amis, une forme de spiritualité pointe le bout de son nez, malgré la nature de ce territoire qui semble avoir été abandonné par les hommes (les hélicoptères de secours ne peuvent pas les repérer) et par Dieu. Les élans éthérés de la photographie confirment la valeur symbolique du cinéma de Bayona : face à l’adversité, l’humain devient sa propre religion.

La croyance dans sa capacité de transcendance devient une nécessité, qui permet de supporter le pire et de réaliser l’impossible. Un peu comme dans Gravity, où Sandra Bullock retrouve goût à l’existence en se reconnectant à la condition physique de l’humanité dans un environnement hostile, Le Cercle des neiges part de l’intime pour s’étendre comme une toile de Caspar Friedrich.

Les personnages acceptent leur petitesse dans l'immensité terrifiante du monde, et s’accordent à sa beauté dans des plans larges somptueux (les plus ahurissants depuis ceux du Seigneur des anneaux ?). De quoi affirmer la cohérence des films de Juan Antonio Bayona. S’il étudie ici une “société de la neige” comme le présente le titre original, il creuse les systèmes qui naissent de nos instincts, de notre soif de survie et de notre peur de la mort, le tout avec une approche universelle aux allures quasi-mythologiques. C’est là que l’auteur bouleverse le plus.

Le Cercle des neiges est disponible sur Netflix depuis le 4 janvier 2024.

 

Le Cercle des neiges : Affiche officielle

Résumé

Un survival tendu et virtuose, mais surtout une oeuvre au sublime désarmant. Juan Antonio Bayona est définitivement un grand cinéaste.

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Lecteurs

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commentaires
Stefun
22/01/2024 à 22:47

J'ai trouvé ça totalement plat, fade, les acteurs sans aucun charisme, les dialogues et le doublage VF niveau film netflix en gros...
Le film est prenant de par son sujet, mais jamais par son écriture, son interprétation ou sa réalisation (certains ont trouvé la photographie magnifique, vraiment ?)
Bon vous l'aurez compris : très décevant... C'est un film netflix moyen c'est à dire un film plutot médiocre

Pmesnier
22/01/2024 à 09:59

Puissant, incroyablement émouvant, visuellement parfait. La preuve qu'on peut tenir un véritable suspense avec une histoire dont l'issue est pourtant connue. Très, très dommage de ne pas pouvoir voir un tel film sur un vrai grand écran de cinéma.

La Classe Américaine
08/01/2024 à 08:28

Le film est visuellement magnifique et ne tombe jamais dans des images graphiques insoutenables, et c'est un véritable gageur compte-tenu du sujet. L'horreur est finalement filmée avec beaucoup de pudeur. Reste, quand même, un scénario très linéaire et très basique (un comble pour une histoire comme celle-ci) se contentant machinalement de dérouler la chronologie des faits et des morts quasiment jour par jour avec, de surcroit, une voix off envahissante qui vient expliquer ce que l'on voit déjà (et qui raconte le tout du point de vue d'un personnage qui va mourir #grosse_incohérence !). Il aurait donc fallu couper 30mn de métrage pour que, la délivrance arrivant, elle puisse nous emporter et nous bouleverser comme il se doit.

Geoffrey Crété - Rédaction
07/01/2024 à 13:47

@Kobalann

Le titre de la critique de La Petite sirène n'a pas été modifié, merci de ne pas inventer des choses.
Vous parlez peut-être de ce qu'on avait choisi comme accroche quand la critique a été mise en une, sur la page d'accueil, où on choisit ce qu'on veut le temps d'une journée ou deux (souvent un des intertitres de la légende, sachant qu'on a plusieurs lignes sur la une, donc plusieurs textes). Ce qui n'a rien à voir.

Kobalann
06/01/2024 à 19:00

@ Phoebe Buffet
Pas n'importe quoi, je parle du titre principale qui était dans le fil d'actualité et qui était en haut de page a la place d'un "disney noyé" (ce qui fait le clique donc) et qui a été changer.

Gaëtan 54
06/01/2024 à 16:13

Faudrait peut-être envisager de se détendre un peu et ne pas partir dans tous les sens. On parle d'un jeu de mot dans le titre d'un article.
La critique est très respectueuse de l'événement.

@tlantis
06/01/2024 à 12:30

Quand je voie tous ceux qui s’offusquent du titre , je me dis que non somme dans une triste période où les choqué de tout on trop leurs mots à dire .
EL devrait faire un donner un mecredi soir avec eux sa serais marrant .

Et drôle aussi que les offusqués à grande gueule sont jamais parmis ceux qui ont un abonnement mais viennent hurler et perdre leurs temps

J0N
06/01/2024 à 03:11

Rhaaaa les gars... Vous voulez pas lacher la bride avec votre sacralisation à deux balles là ? Sérieusement, c'est vous que ça dérange, pas les morts, ils en ont sûrement plus rien à foutre. Les familles ? Ce drame a eut lieu il ya un moment, il est temps de respirer, sinon dans le pire des cas on va arrêter de faire des traits d'humour sur tout, puisqu'on pourra toujours blesser quelqu'un. L'humour, c'est sûrement le positif qu'on peut tirer d'une horreur comme ça, ce serait dommage de continuer à ne voir que la souffrance dans tout ce dans quoi elle est présente. Rire n'est pas se moquer, ce n'est pas oublier ce qui est abominable. Jouer avec les mots comme ils le font ici, c'est leur code et ils font de la critique ciné, c'est pas des maîtres de cérémonie.

zidus
06/01/2024 à 02:40

C'est tellement moins bien que Les survivants...

Phoebe Buffet
06/01/2024 à 02:35

@Kobalann

N'importe quoi
Ce sous-titre est bien là sur La petite sirène

https://www.ecranlarge.com/films/critique/1478658-la-petite-sirene-critique-dun-disney-noye

Marrant comme ça hurle à la cancel culture et bidule et on peut plus rien dire et on nous censure à la moindre occasion, mais là apparemment faudrait censurer le titre d'EL. Bah non, le mauvais goût n'est pas interdit et si ça vous choque, le monde s'en remettra et vous aussi

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