L'Enlèvement : critique de l'incroyable affaire Edgardo Mortara

Alexandre Janowiak | 30 octobre 2023 - MAJ : 30/10/2023 12:13
Alexandre Janowiak | 30 octobre 2023 - MAJ : 30/10/2023 12:13

Derrière Anatomie d’une chute et La zone d'intérêtL'Enlèvement réalisé par Marco Bellocchio était probablement l'un des plus beaux films du Festival de Cannes 2023. La fresque historique est tristement repartie bredouille de la Croisette malgré son histoire fascinante revenant sur l'affaire Edgardo Mortara (incarné par Enea Sala et Leonardo Maltese), ce jeune italien juif de six ans retiré à ses parents, du jour au lendemain, par les soldats du Pape en 1858, à Bologne, pour recevoir une éducation catholique. L'enlèvement suit la bataille de sa famille pour le récupérer et l'impact politique de l'affaire sur le pays.

le kidnapping d'edgardo mortara

L'affaire Edgardo Mortara est une histoire tellement fascinante qu'elle a, sans surprise, attiré Hollywood à un moment donné. En 2016, alors qu'il sortait tout juste de Le Pont des espions, Steven Spielberg devait se jeter dans l'aventure et adapter l'histoire du jeune italien. Plus ou moins lancée en 2014, la production avait bien avancé avec une première ébauche de scénario signé Tony Kushner (Munich, Lincoln) et surtout un casting annoncé avec Mark Rylance en Pie IX et Oscar Isaac dans la peau d'Edgardo Mortara adulte.

Sauf que le film a très vite été mis en concurrence avec celui des Weinstein, annoncé avec les participations possibles de Robert De Niro dans la peau du Pape Pie IX et Baltasar Kormákur à la réalisation. Harvey Weinstein n'avait en effet pas apprécié que Spielberg refuse de s'occuper de sa version et avait donc décidé de lancer une vendetta artistique contre le cinéaste. Finalement, les deux projets n'ont jamais vu le jour. Steven Spielberg n'arrivant pas à trouver l'enfant parfait pour incarner le jeune Edgardo, il a choisi d'abandonner le film.

 

L'Enlèvement : Photo Paolo PierobonUn Pape sans merci

 

Heureusement, l'histoire a donc enfin pris vie grâce à Marco Bellocchio. Le réalisateur est un peu injustement méconnu du grand public et trop régulièrement sous-estimé par la sphère cinéphile internationale. Pourtant, l'Italien est incontestablement un des maitres du cinéma européen contemporain. Il avait déjà prouvé avec son dernier film de fiction en date, Le Traitre (lui aussi passé par Cannes en 2019), qu'il était capable de livrer des oeuvres historiques majeures (infusant son cinéma depuis plus de vingt ans désormais).

À la fois ambitieux, ample et intime, son portrait captivant de Tommaso Buscetta, mafieux repenti, offrait une plongée fascinante au coeur de la pègre italienne, prouvant la maestria tragique du cinéaste. Il est d'ailleurs tellement talentueux que sa série Esterno Notte a, elle aussi, convaincu à peu près tout le monde en revenant avec puissance sur le destin funeste d'Aldo Moro après son enlèvement par les Brigades rouges. Et avec L'enlèvement (ou Rapito en version originale), le cinéaste livre encore un très gros morceau.

 

 

L'Enlèvement : photoUne reconstitution visuelle absolument splendide

 

 

dieu ne peut pas attendre

Dans une suite logique, Marco Bellochio continue ainsi de retracer le triste passé de l'Italie en s'intéressant cette fois au kidnapping d'Edgardo Mortara. Une manière pour le réalisateur d'explorer plus en avant les multiples dissensions du pays notamment ici entre l'Italie libérale et l'Église catholique dont le pouvoir était de plus en plus vacillant à l'époque. Comme il l'explique dans le dossier de presse : "L’enlèvement du petit Edgardo symbolise la volonté désespérée, ultraviolente, d’un pouvoir déclinant qui essaie de résister à son propre effondrement, en contre-attaquant".

Un sujet absolument fascinant que Bellocchio parvient à transcender durant les 2h15 de son métrage. Outre la formidable reconstitution de l'Italie du 19e siècle et une photographie étincelante (les sublimes scènes nocturnes et intérieures éclairées à la bougie), L'enlèvement parvient en effet à dépoussiérer le classicisme du genre avec brio. La fresque historique est, en effet, un exercice régulièrement casse-gueule pour les cinéastes et Marco Bellocchio en a conscience. Bien sûr, le film perd parfois en vigueur (notamment dans sa partie procès), mais c'est justement parce que le cinéaste s'accroche énormément au drame familial qui en découle. 

 

L'enlèvement : photoUne scène déchirante et une relation mère-fils passionnante

 

Si l'affaire a bouleversé l'Italie et les instances religieuses de l'époque, elle a aussi provoqué une scission familiale déchirante. Dès lors qu'il filme, en ouverture, l'enlèvement du garçon par les soldats du Pape, Bellocchio saisit un instant tragique dont l'impact sur le quotidien de cette famille juive sera indélébile. L'émotion se pointe, attrape le coeur des spectateurs et le tord, l'écrase, comme pour mieux décupler l'atrocité vécue par ses parents désarmés et le basculement soudain de la vie de ce jeune garçon (incroyable Enea Sala).

C'est d'autant plus fort lorsque Bellocchio filme les réminiscences de la mère d'Edgardo, hallucinant la présence de son fils lors d'un repas de famille, les yeux plongés dans le vide de son âme déchirée par leur séparation. Dans un registre aux antipodes, la manière dont le cinéaste se moque du Pape, cauchemardant d'une circoncision nocturne ou de caricatures prenant vie, est une vraie bouffée d'air frais drôle au milieu de la noirceur du récit. Alors évidemment, les envolées baroques diviseront sans doute un peu, mais c'est bien la preuve qu'il y a du cinéma. Car Bellocchio ne se contente pas de raconter l'affaire Mortara dans L'enlèvement, il lui insuffle une âme. Brillant.

 

L'Enlèvement : Affiche française

Résumé

L'enlèvement est une fresque historique d'une beauté absolue, au drame familial déchirant et aux idées fabuleuses pour dépoussiérer le classicisme du genre.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.2)

Votre note ?

commentaires
Sanchez
09/11/2023 à 09:12

Tout est là pour faire un chef d’œuvre , images et mise en scènes somptueuses, sujet étonnement d’actualité (la religion, une connerie invraisemblable), et pourtant on ne saurait dire pourquoi la mayonnaise ne prend pas vraiment et on reste sur le carreau, pas ému là où on aurait aimé l’être. Et cette musique tonitruante qui veut faire opéra, c’est raté et ça casse les oreilles !

Axelle
04/11/2023 à 14:44

On appelle cela critique cinématographique ?
Pas un mot sur le film !
A croire que ceux qui en parlent ne l'ont peut être pas vu ...
Moi , j'ai beaucoup aimé , et appris .
Salut

rientintinchti2
31/10/2023 à 21:37

@Alexandre Janowiak
Merci pour ces précisions.
Oui, mon post était peut-être réducteur.
Que de telles productions soit nées est une bonne chose.
Mais auraient-elles osé s'attaquer à eux quand ils étaient au sommet de leur piedestal???
Ces productions existent-elles dans un souci de justice ou pour ramasser les miettes sur des affaires qui ont déjà été révélées au grand jour???
Après je ne veux pas non plus voir le mal partout.
Merci dans tous les cas pour les infos.

Alexandre Janowiak - Rédaction
31/10/2023 à 11:48

@rientintinchti2

Des films à propos de Weinstein existent déjà de manière plus (She Said) ou moins (The Assistant) frontale, sans compter les documentaires (L'intouchable, Harvey Weinstein) donc bon...

Netflix a réalisé une série documentaire sur Jeffrey Epstein ; HBO a réalisé une mini-série sur Woody Allen ; Scandale, The Loudest Voice et un docu s'intéressaient à Roger Ailes... Polanski rien, a priori, en effet, mais c'est réducteur (voire totalement faux) d'imaginer que les cinéastes ne s'attaquent pas à ces sujets.

youl
31/10/2023 à 09:45

Son précédent film "le traitre" était un vrai bijou, il y avait du Sorentino dans ce film.

rientintinchti2
30/10/2023 à 23:10

L'acharnement contre l'Église fait recette et c'est à la mode...
Beaucoup attribuent les crimes et dérives de certains religieux aux religions.
C'est tendance d'attaquer les religions.
Quand un politicien commet un crime, ils font bien la distinction et mettent ça sur le compte de l'individu et non pas sur le compte de la démocratie.
Dommage que les réalisateurs/ auteurs et autres prétendus intellectuels ne se penchent pas sur les crimes et dérives dans leur milieu ou dans le monde politique et de la finance.
à quand un film sur Epstein/Polanski/Weinstein???

Birdy l'inquisiteur
30/10/2023 à 20:34

Je n'ai pas vu le film mais j'ai adoré la critique.

Ghob_
30/10/2023 à 18:27

Tiens et là personne pour commenter un film noté 4 étoiles, là où la plupart passent leur temps à râler sur le fait qu'EL n'aime rien et qu'ils mettent que des notes pourries ? Bah nan y'a aussi de très bons films qui sortent régulièrement (et salués par la rédac'), sauf que ce ne sont pas forcément ceux qui sont le plus mis en avant dans le circuit promotionnel et c'est bien dommage car ça invisibilise ces métrages qui ne seront vus que par une poignée de curieux et passionnés. Et c'est bien dommage...

No festival
30/10/2023 à 13:48

No français
No metoo

No statuette

votre commentaire