Cannes 2023 : on a vu L'enlèvement, l'incroyable histoire abandonnée par Steven Spielberg

Alexandre Janowiak | 25 mai 2023 - MAJ : 13/06/2023 15:53
Alexandre Janowiak | 25 mai 2023 - MAJ : 13/06/2023 15:53

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2023 du Festival de Cannes. Entre cinéastes confirmés et jeunes talents prometteurs, la centaine de films sélectionnés a de quoi donner le tournis. Après l’ouverture de Maïwenn, Jeanne du Barry, c’est l’heure de revenir sur L'enlèvement. Une fresque historique réalisée par Marco Bellocchio sur la fameuse affaire Edgardo Mortara et que Steven Spielberg a longtemps essayé de produire à Hollywood en vain.

 

 

De quoi ça parle ? En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape viennent retirer le jeune Edgardo Mortara, âgé de six ans, à sa famille. Apparemment baptisé en secret par sa nourrice étant bébé, il doit recevoir une éducation catholique. Les parents d’Edgardo vont tout faire pour récupérer leur fils, soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale, mais l’Église et le Pape refusent de rendre l'enfant, alors que son pouvoir est de plus en plus vacillant.

C’était comment ? L'affaire Edgardo Mortara est une histoire tellement fascinante qu'elle a forcément attiré, à un moment donné, Hollywood. Et en 2016, alors qu'il sortait tout juste de Le Pont des espions, Steven Spielberg devait se jeter dans l'aventure et adapter l'histoire du jeune italien. La production avait bien avancé avec une première ébauche de scénario (signé Tony Kushner) et surtout un casting annoncé avec Mark Rylance en Pie IX et Oscar Isaac dans la peau d'Edgardo Mortara adulte.

Le film a très vite été mis en concurrence avec celui des Weinstein, annoncé avec Robert De Niro dans la peau du Pape Pie IX et Baltasar Kormákur à la réalisation. Le producteur n'avait en effet pas apprécié que Spielberg refuse de s'occuper de sa version et avait donc décidé de lancer une vendetta artistique contre le cinéaste. Finalement, les deux projets n'ont jamais vu le jour. Steven Spielberg n'arrivant pas à trouver l'enfant parfait pour incarner le jeune Edgardo, il a choisi d'abandonner le film. Heureusement, l'histoire a enfin pris vie grâce à Marco Bellocchio. 

 

 

Marco Bellocchio est un peu injustement méconnu du grand public et trop régulièrement sous-estimé par la sphère cinéphile internationale. Pourtant, l'Italien est incontestablement un des maitres du cinéma européen contemporain. Il avait déjà prouvé avec son dernier film de fiction en date, Le Traitre (lui aussi passé par Cannes en 2019), qu'il était capable de livrer des oeuvres historiques majeures. Et le monsieur est d'ailleurs tellement talentueux qu'il a aussi convaincu à peu près tout le monde avec sa série Esterno Notte sur Arte en France. Et avec L'enlèvement (ou Rapito en version originale), le cinéaste livre encore un très gros morceau.

Outre la formidable reconstitution de l'Italie du 19e siècle et une photographie étincelante (les sublimes scènes nocturnes et intérieurs éclairés à la bougie), L'enlèvement parvient à dépoussiérer le classicisme du genre avec brio. La fresque historique est, en effet, un exercice régulièrement casse-gueule pour les cinéastes et Marco Bellocchio en a conscience. De fait, il ne se contente pas de raconter l'affaire Mortara et lui insuffle une âme. Bien sûr, le film historique perd parfois en vigueur (notamment dans sa partie procès), mais c'est justement parce que le cinéaste s'accroche énormément au drame familial qui en découle.

 

L'enlèvement : photoUne scène déchirante et une relation mère-fils passionnante

 

Si l'affaire Edgardo Mortara a bouleversé l'Italie et les instances religieuses de l'époque, elle a surtout provoqué une scission familiale déchirante. Dès lors qu'il filme, en ouverture, l'enlèvement du garçon par les soldats du Pape, Bellocchio saisit un instant tragique dont l'impact sur le quotidien de cette famille juive sera indélébile. L'émotion se pointe, attrape le coeur des spectateurs et le tord, l'écrase, comme pour mieux décupler l'atrocité vécue par ses parents désarmés et le basculement soudain de la vie de ce jeune garçon (incroyable Enea Sala).

C'est d'autant plus fort lorsque Bellocchio filme les réminiscences de la mère d'Edgardo, hallucinant la présence de son fils lors d'un repas de famille, les yeux plongés dans le vide de son âme déchirée par leur séparation. Dans un registre aux antipodes, sa manière de moquer le Pape, cauchemardant d'une circoncision nocturne ou de caricatures prenant vie, est une vraie bouffée d'air frais drôle au milieu de la noirceur du récit. Les envolées baroques diviseront sans doute un peu, mais c'est bien la preuve qu'il y a du cinéma dans L'enlèvement et ça fait du bien. Un grand film qui démériterait pas une Palme du consensus si le jury est très divisé.

Et ça sort quand ? Le film est prévu pour le 25 octobre 2023.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Eddie Felson
25/05/2023 à 22:00

Interessant, une sortie de plus à ne pas rater à l’automne.