Gran Turismo : critique qui perd les pédales (comme Neill Blomkamp)

Antoine Desrues | 8 août 2023 - MAJ : 09/08/2023 12:38
Antoine Desrues | 8 août 2023 - MAJ : 09/08/2023 12:38

Depuis Uncharted, il va falloir s’habituer à voir certains blockbusters démarrer par le logo de PlayStation Productions, nouvelle méthode du constructeur de consoles pour glorifier sa marque et ses jeux phares. En attendant Ghost of Tsushima, c’est au tour de Gran Turismo de passer par la case grand écran, en adaptant l’histoire vraie d’un joueur du simulateur, devenu véritable pilote de courses. Un projet qui faisait moyennement rêver, jusqu’à l’annonce de Neill Blomkamp (District 9) au poste de réalisateur. Des années après avoir failli mettre en scène Halo, l’ancien golden-boy a-t-il réussi à s’approprier l’exercice d’une transposition de jeu vidéo au cinéma ?

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Pour ceux qui – comme l’auteur de ces lignes – ont grandi avec District 9, le coup d’essai de Neill Blomkamp a été une véritable déflagration. Au-delà de la vigueur d’un jeune cinéaste réécrivant l’Apartheid dans un écrin de SF énervée, le film semblait toucher du doigt une croisée des genres et des imageries encore nouvelles, mixant tour à tour des mechas, du body horror et des inspirations directes du jeu vidéo.

Cette boulimie exaltante, Blomkamp n’a cessé de la développer, y compris avant District 9, qui est né de la frustration d’une adaptation annulée du jeu Halo. Pour le meilleur et surtout pour le pire, l’inventivité du réalisateur s’est heurtée par la suite aux désidératas hollywoodiens, que ce soit par des propositions personnelles en demi-teinte (Elysium, Chappie) ou des fantasmes qui ne verront jamais le jour (Alien 5, RoboCop Returns).

 

 

 

Qu’à cela ne tienne, le réalisateur sud-africain a claqué la porte des majors pour créer sa propre boîte indépendante : Oats Studios. Si son business-model n’a jamais su être viable, Blomkamp a profité de cette opportunité pour expérimenter sur une belle quantité de courts-métrages, en mélangeant toujours plus ses inspirations, ses envies cool et ses régimes d’images, à la manière d’un laboratoire en marge du système.

 

Gran Turismo : photoLa réplique "ce n'est pas un jeu, c'est la réalité" est au moins répétée 666 fois

 

Place du mort 

C’est donc avec une crainte teintée d’excitation que l’on appréhendait Gran Turismo. D’un côté, voir l’artiste s’essayer à une adaptation de jeu vidéo sonne comme une évidence presque trop tardive. De l’autre, difficile de ne pas voir dans le projet de PlayStation une commande opportuniste envers sa franchise de jeux de course, soit l’antithèse des idéaux et de l’intransigeance un peu naïfs de Neill Blomkamp. Autant dire que les premières minutes du film peinent à rassurer avec leurs travellings langoureux de publicité et leur historique glorificateur du simulateur de Kazunori Yamauchi.

Pour autant, le réalisateur parvient à y instiguer une note d’intention intrigante, en reproduisant çà et là les placements de caméras si spécifiques de son modèle, et en alternant prises de vues réelles et extraits numériques. A priori, le long-métrage a bien compris ce que l’on est venu chercher : une porosité des deux médiums et de leur langage, là où tant de tentatives antérieures s’y sont cassées les dents.

A vrai dire, le concept du film y est plus que jamais propice, puisqu'il se concentre sur l’histoire vraie de Jann Mardenborough (Archie Madekwe), un grand joueur de Gran Turismo qui a rejoint la GT Academy, un concours permettant aux meilleurs "simracers” de devenir de vrais pilotes de courses. En bref, Blomkamp avait un boulevard pour s’amuser, à la fois par ce rapport entre réel et virtuel, et en agrémentant sa véritable histoire des codes du film de sport.

 

Gran Turismo : photo, David HarbourQuand David Harbour a le meilleur rôle d'un film, c'est qu'il y a un problème

 

Ready Loser One

Malheureusement, cette double quête d’hybridation ne cesse de jouer contre le long-métrage. A vouloir faire de son montage un ensemble frénétique et hétérogène, Gran Turismo se révèle incapable d’introduire ou de construire le moindre enjeu.

Mise à part la relation clichée entretenue entre Jann et son père ouvrier – qui ne comprend pas que son fils passe autant de temps sur des jeux vidéo –, le film accumule les péripéties et les personnages en dépit du bon sens. De la petite amie inexistante au rival insupportable, Gran Turismo se contente de passer à tout berzingue sur ses passages obligés, tout en assumant de ne jamais rien faire de plus.

 

Gran Turismo : photo, Archie Madekewe"It's in the game !"

 

Cet agencement chaotique (en particulier dans la première heure) a même un effet plus pervers, puisqu’il permet à Neill Blomkamp de cacher sous le tapis les sujets plus embarrassants et inévitables liés à son récit. C’est notamment le cas avec Danny Moore (Orlando Bloom), l’organisateur de la GT Academy au nom de Nissan. Bien qu’on essaie de nous faire croire à son rêve improbable de transformer de jeunes recrues en pros du circuit, le symbole derrière cette méritocratie béate ne peut résister à la réalité d’un libéralisme qui n’a qu’un objectif : vendre plus de voitures à une démographie peu concernée.

L’instrumentalisation du talent de Jann a beau être effleurée en de rares instants, la verve politique de Blomkamp est immédiatement tuée dans l’œuf. Pour un film de course où son protagoniste prend un malin plaisir à dériver de la célèbre ligne de trajectoire optimale de Gran Turismo, il est assez ironique que son réalisateur accepte un tel pilotage automatique, à peine rattrapé par les vrais déraillements de la vie de Mardenborough.

 

Gran Turismo : photo, Orlando BloomLegofast

 

Il faut sauver le soldat Blomkamp

Néanmoins, tout cela serait pardonnable si la mise en scène transcendait ce postulat peu palpitant. Or, c’est là que le raté de Gran Turismo s’avère aussi frustrant qu’incompréhensible. Certes, Blomkamp a l’idée éclairée de ne pas juste singer la vue du jeu de l’arrière des véhicules, mais il ne sait jamais sur quel pied danser pour reproduire ses sensations.

A vouloir à tout prix s’accorder à la modernité sous-entendue par son approche, il se contente d’emplir le terrain, comme si sa caméra se devait d’investir le moindre centimètre carré de décor, sur la route comme dans le ciel. Mais passés ses plans de drones pseudo-virevoltants qui zigzaguent auprès des voitures, il manque à l’ensemble un ancrage, une viscéralité de l’action et plus encore, une stratégie de l’image.

A la réflexion, le cinéaste avait pourtant deux choix à sa disposition. Soit, s'inspirer des diverses vues de Gran Turismo, qui restent chevillées au véhicule et offrent une lisibilité claire du circuit. Soit, transcrire avec d’autres outils la pure subjectivité de son personnage, son ressenti de la vitesse et les réactions qu'il doit prendre en une fraction de seconde. Résultat, le long-métrage est coincé dans un entre-deux bâtard, focalisé sur sa shaky cam erratique avant de switcher sur des plans larges à l’omniscience malavisée. Plutôt que de suivre les voitures à pleine vitesse, l’objectif ne fait que croiser leur route, si bien qu’il est difficile de comprendre instinctivement les enjeux spatiaux et le positionnement des pilotes.

 

Gran Turismo : photoTeam Forza

 

Neill Blomkamp a certainement eu conscience de cet aveu d’échec, qui se retrouve emballé dans ce piètre paquet cadeau qu’est le HUD du jeu (ces éléments visuels qui indiquent le classement, ou la place de chaque bolide dans la course). Sans nul doute que le cinéaste a souhaité fuir les évidences du genre pour mieux le renouveler, mais Gran Turismo n’est voué qu’à refléter une régression de sa mise en scène, jamais aussi nerveuse que celle de Jours de tonnerre, ni aussi virtuose et avant-gardiste que celle de Speed Racer.

La sensation d’immersion de Jann, passant du jeu au monde réel, aurait dû être une priorité de son dispositif, afin que le spectateur ressente à son tour cette énergie transmédiatique. Un rendez-vous manqué aussi décevant que le retour en fanfare du réalisateur de District 9, qui semblait être le choix parfait pour un tel exercice de style.

 

Gran Turismo : photo

Résumé

A ne jamais choisir entre ses plans de drones frimeurs et la sensorialité d’un montage plus nerveux, Gran Turismo ne parvient pas à reproduire le feeling du simulateur. Une sacrée déception, étant donné que Neill Blomkamp semblait tout indiqué pour offrir une expérimentation technique brillante entre cinéma et jeu vidéo.

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commentaires
OlivBZH
24/10/2023 à 17:38

Pas d'accord avec vos arguments, mais il est clair que Bloomkamp doit se ressaisir

sebseb
26/09/2023 à 21:02

Pleins de bonnes idées mais le montage au hachoir gâche clairement tout, dommage ...

La Franchise
09/09/2023 à 12:48

Merci à vous Écran large ! Vous êtes d'une fiabilité inégalable !
Je peine souvent à me faire un avis en lisant d'autre critique, mais chez vous, c'est toujours beaucoup plus simple.
J'ai finis par intégrer qu'à chaque fois que vous salissez un film et son réalisateur par la même occasion, je vais l'adorer, pratique !
Plus sérieusement ça me fait de la peine de vous lire, vous parlez toujours de techniques de tournage et de montage comme si vous étiez du métier... Et ça se voit vraiment que vous ne l'êtes pas...
Pardonnez mon manque de délicatesse mais qu'elle idée de M***e de vouloir fixer l'image par rapport à la voiture. Le montage très nerveux est l'ADN du film et c'est pour cette raison que je l'adore (ok, le scénario s'oublie, ça c'est sûr), les plans dynamiques nous procurent des sensations qui font de leur mieux pour nous évoquer celles ressenties sur une piste de course, où les voitures, messieurs, ne sont pas lancées sur les rails que vous espériez poser sous les caméras pour plus de confort. Ce film est une réussite étant donné que le son et l'image nous apportent les émotions que le scénario n'arrive pas à nous procurer, sûrement parce que ce n'était pas la priorité. À choisir je préfère le film comme ça, le spectacle est garanti au moins.
Je conseilles donc à l'équipe d'Écran Large de s'essayer dans la critique de documentaire, où ils auront le droit d'exiger qu'il ne se passe rien sur leur écran.

À plus tard sur votre prochaine critique foireuse.

Satch
07/09/2023 à 18:02

J'ai bien ris en lisant votre commentaire Émilie. "Film magnifique" tient donc il vous en faut peu. Le film est raté de bout en bout, suffit d'avoir un minimum de culture cinématographique. Le jeu des acteurs est médiocre et les scènes sur circuit sont tout sauf réalistes. Suffit de s'y connaître un peu, ce qui n'est pas votre cas visiblement. Allez vous cultiver un peu avant de déblatérer et de critiquer de manière infondée comme vous le faites.

Emilie
27/08/2023 à 18:24

Cette critique est totalement infondée et incompréhensible. Le film est magnifique avec un jeu d'acteur qui m'a beaucoup touché. Les scènes sur circuit sont prenantes, réalistes et bourrées d'adrénaline.
Je n'ai pas vu passé les 2h15 de film.
Il est très émouvant avec une larme à a la fin.
J'ai été les voir 2 fois et mes enfants aussi. Je recommande à 200%.

Beau film
25/08/2023 à 07:28

Je mes 10/10 le résumé très dure avec le film, il doit pas aimer les acteurs et c le film qui en compatis

Jackie
23/08/2023 à 12:22

Personnellement j'ai beaucoup apprécié le film, je pensais que 2 h de projection pouvait être long, mais je n'ai pas vu le temps passé. J'étais dans l'action. C'est un film que je conseille.

fred615
17/08/2023 à 18:32

Les critiques ont bien changées ici avec l'intellectualisation à tout va, d'un film mêlant histoire vraie et jeu vidéo.
A un moment, fiat peut être arrêter hein, on y va pour un divertissement et on est content d'y être allé.
Gran Turismo, c'est 5/6.
PS : je n'aime pas Gran Turismo le jeu.

Terri Tatchell
13/08/2023 à 21:20

Bonjour je suis Terry Tatchell,
Mon mari a bien réalisé district 9, j'ai participé à l'écriture et à une partie des reeshoot suite à une demande de la Warner. Neil n'a pas pu être présent pour les reeshoot trop épuisé du tournage. Et le montage final à été exécuté par Julien Clarke, sans que ni Neil ni moi même n'avons eu notre mots à dire.
Voilà la vérité

Altaïr Demantia
13/08/2023 à 11:42

@Fabien
Salut Jean-Jacques
alias Couliou
alias Coostmo foods et
alias Riri
alias Sanchez

sur un sujet consacré à Blomkamp.

visblement tu es en croisade. Je me demande bien pourquoi. Si tu n'as pas de preuve, même pas un lien à partager, rentre chez toi. Ou parle d'autre chose.

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