Reste un peu : critique d'un Gad Elmaleh qui a vu la Vierge

Lino Cassinat | 6 juin 2023 - MAJ : 07/06/2023 12:02
Lino Cassinat | 6 juin 2023 - MAJ : 07/06/2023 12:02

Roi incontesté du one-man-show français de 2005 à 2012, Gad Elmaleh s'est fait plus rare sur nos scènes et nos écrans depuis une dizaine d'années. Occupé avec sa carrière américaine lancée en 2015 et quelques polémiques encombrantes, entre un sketch jugé raciste avec Kev Adams et une accusation étayée de plagiat, il avait pour ainsi dire disparu, laissant un souvenir contrasté. Gad Elmaleh était-il enterré ? Pas du tout. Loin des projecteurs, dans l'intimité de la star, se produisait un grand bouleversement : sa conversion (?) au catholicisme, qu'il raconte dans son Reste un peu, film dans lequel il joue son propre rôle avec ses parents Régine Elmaleh et David Elmaleh.

ORA PRO NOBIS

Si le "genre" du film mystico-religieux a longtemps été l'apanage des plus grands, de Andrei Tarkovski à Ingmar Bergman en passant par Carl Theodor Dreyer, c'est désormais un terrain délaissé, que n'arpente désormais plus guère que Terrence Malick (et encore, délivré au maximum de renvois à un culte en particulier). Tout au plus en tire-t-on désormais quelques comédies comme CoExister, tandis que le sujet profond de la foi semble mis au placard. Presque un aveu d'échec du cinéma : le sujet est devenu trop compliqué, le monde trop tendu pour ouvrir sereinement, mais sérieusement le sujet et en faire autre chose qu'une blague ou une fable évitant soigneusement le cœur de la question.

 

Reste un peu : photo, Gad Elmaleh, Olivia JubinL'ambiance est posée

 

Quelle surprise donc de voir que c'est Gad Elmaleh qui prendra à sa charge d'aller droit au cœur. Soyons honnêtes : l'énoncé "Gad Elmaleh fait un film sur la religion" avait de quoi faire frémir, laissait au mieux espérer un gros drame sentimentalo-moralisateur, et au pire, Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ?. Énorme soupir de soulagement : rien de tout cela ici. Dès son ouverture, Gad Elmaleh envoie sa flèche en plein dans la bonne cible, adopte un beau ton, vraiment léger, mais faussement tranquille, comme les mélodies yiddish de son film. "On m'a dit que vous étiez clown" : oui, mais il est aussi en crise existentielle, épris d'une foi catholique à 50 ans alors qu'il vient de la foi juive et d'une famille séfarade traditionaliste.

Inutile de dire que Gad Elmaleh ouvre une boîte de Pandore énorme. C'est d'ailleurs explicite : de passage chez ses parents à qui il n'a pas encore annoncé son intention de se convertir, Gad Elmaleh regarde une messe sur son ordinateur, seul dans son ancienne chambre d'ado. Sa mère fait irruption, il claque d'un coup son ordinateur. Le quiproquo est évident, mais impossible de dire la vérité, le tourment de la foi est un tabou plus implacable encore que celui du porno. Et on n'aura pas peur de le dire : Reste un peu de Gad Elmaleh contient de vrais morceaux de mise en scène.

 

Reste un peu : photo, Gad Elmaleh, Judith ElmalehÉvidemment, la promotion joue à fond la carte de l'éclat de rire, mais bon

 

HABEMUS GAD ELMALEH

2022 aura donc vu coup sur coup les petites éclosions de Franck Dubosc puis Gad Elmaleh en tant qu'auteurs, et non nous n'avons pas écrit cette phrase sous psychotrope amazonien. On dira d'ailleurs du second la même chose que ce que l'on avait dit du premier : ce n'est certes pas le Pérou ni même le fabuleux Silence de Martin Scorsese (auquel Reste un peu "pique" sa scène de fin, attention Gad Elmaleh, on te voit), mais Reste un peu est clairement structuré, explicitement sincère, et loin des fumisteries habituelles de nos comiques bien de chez nous. La tentation est grande au vu de l'historique de Gad Elmaleh, mais ne mélangeons pas les clowns avec les bouffons.

Soyez d'ailleurs prévenus : inutile d'aller voir Reste un peu pour se farcir une grosse tranche de marrade. Si son film fait sourire et contient quelques saillies cocasses, si Gad Elmaleh n'est pas là pour vous faire déprimer, Gad Elmaleh n'est pas non plus là pour rigoler, à peine pour se détendre. Pas d'exubérance ici, de la foi, oui, mais surtout beaucoup, beaucoup de doutes. Et une envie manifeste de dialoguer, d'échanger les découvertes faites au cours de son errance spirituelle. À l'angoisse de sortir de la grand-route de la foi, Gad Elmaleh répond avec l'enthousiasme de parcourir un chemin intérieur, plus tortueux, mais loin des sentiers battus.

 

Reste un peu : photo, Gad Elmaleh, Roschdy ZemLa promotion joue aussi à fond la carte de l'apéro, troisième image, troisième tablée

 

"Bienheureux celui qui ne demande pas son chemin à quelqu'un qui le connaît, sinon il risquerait de ne pas se perdre", dit Reste un peu. Le catholique Tolkien aurait répondu "tous ceux qui errent ne sont pas perdus", et il s'en faut de peu pour que Reste un peu soit, au fond, à considérer comme un film d'aventure, car il est explicitement un voyage. Comme un aventurier, Gad Elmaleh s'entoure d'ailleurs dans sa quête de la foi des meilleurs compagnons de route, à commencer par ses parents et sa sœur. Des proches qu'il filme avec une tendresse imparable, soucieux des peines que sa conversion provoque, scrutant les visages en gros plans, dont il cherche les sourires et redoute les crispations.

 

Reste un peu : photo, Gad Elmaleh, David Elmaleh, Régine Elmaleh Gad Elmaleh face à ses vrais parents

 

URBI ET ORBI

Cependant, malgré une démarche profondément inattaquable et un style noblement naturaliste parfaitement maîtrisé, une fois Reste un peu terminé, on ne peut s'empêcher de se dire que si la cible a été touchée, la flèche s'est plantée un peu à côté du centre. De se dire que Reste un peu est un assez beau, mais un assez petit film. Aucun mal à cela, ce n'est pas la taille qui compte et d'ailleurs, au fond, l'humilité et la modestie du film, ainsi que les propos de son auteur en interview, expriment bien que l'idée même d'ampleur artistique n'a pas lieu d'être ici. Reste un peu se veut un objet réflexif plus qu'esthétique et c'est tout à son honneur.

 

Reste un peu : photo, Gad Elmaleh, Delphine HorvilleurReste un peu joue sur les frontières réalité, fiction avec ici Delphine Horvilleur

 

Pour autant, la question des limites de la mise en scène demeure, car elles empêchent autant un point de vue esthétique qu'un véritable point de vue réflexif. Par ailleurs, puisqu'il s'agit de prendre au sérieux Reste un peu dans ses qualités, l'honnêteté commande également de prendre au sérieux ses manquements. Bien que touchant dans un premier temps, on se demande rapidement quel est l'intérêt véritable du dispositif hautement meta de Reste un peu, ce qui renforce son réalisme avec du béton armé, et en même temps, fait quelque peu obstacle : on ne peut s'empêcher de voir le vrai Gad Elmaleh, celui qui a des casseroles et qui nous a infligé Coco, derrière le faux vrai Gad Elmaleh, en quête de tranquillité... voire d'absolution.

Un bouchon poussé un peu loin dans sa demande au public. De même, on soulignera que l'intimité de Reste un peu est autant sa plus grande force que sa faiblesse principale, et élude le fait que la question de la foi, si elle est principalement composée d'éléments extrêmement personnels, est aussi manipulée par des éléments extérieurs et devenue le lieu de rendez-vous de tous les conservatismes obscurantistes les plus puants. Et il ne suffit pas de donner la parole (trop) tardivement à Delphine Horvilleur pour enrayer la dépolitisation – c'est d'ailleurs la preuve que l'œuvre a conscience de son manquement. Que Gad Elmaleh soit une brebis égarée, très bien. Qu'elle ferme les yeux, c'est embêtant. 

 

Reste un peu : Affiche officielle

Résumé

Un peu raté, mais pas mal réussi quand même, Reste un peu a tout de même beaucoup de mérites, dont le principal est de sortir du lot et de poser la plupart des bonnes questions dans les bons termes. Et d'émouvoir, aussi, un peu.

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commentaires
Apnée
04/07/2023 à 14:48

Reste un peu ,le film de Gad Elmaleh que je viens juste de découvrir sur canal est un film sublime qui traite de l’errance de l’âme humaine avec beaucoup de subtilité et de sensibilité.Il pose les vraies questions sur la religion et les diktats familiaux avec beaucoup d’intelligence.
J’ai adoré tout simplement .

alulu
07/06/2023 à 11:13

Gad Elmaleh en moine copiste, ça aurait pu le faire.

alulu
07/06/2023 à 11:10

Gad Elmaleh aime le schisme, les copies, c'est plus fort que lui.

Le Québécois Frustré
07/06/2023 à 06:48

Gad reste chez toi calisse de voleur, icitte on ne veut rien savoir de toi mon crisse de crosseur.

La Police de l’Humour
07/06/2023 à 06:43

Gad Elvolé! Interdit de passage dans certains comedy club, ce voleur et copieur mérite une fin de carrière dans le silence...

Pacino
06/06/2023 à 21:26

Projet incroyablement narcissique. Gad Elmaleh est définitivement has been.

popol
06/06/2023 à 20:49

Juste pour info Gad elmaleh ne s'est pas converti au catholicisme ce n'est qu'un film , une fiction ... je le connais personnellement et il est toujours Juif à 100% il l'a fait dans une logique de rapprochement des religions et aussi un peu pour son image suite aux polémiques de plagiat , ainsi que pour ouvrir les yeux des Juifs qui souvent on de gros préjugé sur les cathos . Gad à beaucoup de defauts mais c'est un homme de coeur et un type hyper gentil avec tout le monde . le film est plutot sympatique d'ailleur et c'est tout à son honneur .


06/12/2022 à 23:05

Merci Gad pour cette magnifique réalisation, authentique et tellement touchante.

Quel témoignage de Foi et d'humilité pour oser exposer ainsi son propre cheminement spirituel, si intime, si profond. Ce film fait du bien, il nous captive et nous recentre sur l'Essentiel.

Odile
27/11/2022 à 21:01

Très bon film!
A voir.

Bum de Cerisy
25/11/2022 à 21:01

Contrairement à la plupart des commentaires, Gad Elmaleh ne fait aucun prosélytisme, et le mérite de ce film est avant tout de rappeler que les trois religions monothéistes devraient s'en inspirer pour tendre vers un syncrétisme, et ainsi oublier leurs différences pour contribuer à la paix fraternelle ... foi d'agnostique !

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