Joyeuse fin du monde : critique du dernier réveillon de Noël avant l'apocalypse

Geoffrey Fouillet | 27 septembre 2022
Geoffrey Fouillet | 27 septembre 2022

Premier film de la réalisatrice Camille Griffin, Joyeuse fin du monde (Silent Night sous son titre d'origine) débarque en France directement en DVD et Blu-ray après avoir fait grand bruit lors de sa première mondiale au Festival international du film de Toronto 2021. Sortie en salles en décembre dernier aux États-Unis et au Royaume-Uni, cette comédie noire so british, produite par Matthew Vaughn, s'attaque à la sacro-sainte magie de Noël en compagnie de Matthew Goode et Keira Knightley. Mais tout ce beau monde est-il de taille à régaler ?

MERRY CHRISTMAS

Festoyer puis mourir en paix, quel meilleur programme pour les fêtes de fin d'année ? C'est en tout cas celui que Simon (Matthew Goode) et Nell (Keira Knightley) ont choisi de suivre aux côtés de leurs enfants, dont Art (Roman Griffin Davis, fils de la réalisatrice et révélation de Jojo Rabbit), afin de célébrer Noël une toute dernière fois. Et leurs proches sont naturellement conviés aux réjouissances dans leur grande propriété nichée au cœur de la campagne anglaise. Alors pourquoi ce tableau idyllique est-il voué à s'assombrir ? La raison est simple : un gaz mortel se répand à travers le monde, et d'ici quelques heures, ce sera au tour des Anglais d'y goûter.

Durant sa première moitié, Joyeuse fin du monde élude intelligemment l'imminence de la catastrophe en s'attachant à l'attitude hypocrite de ses personnages. Lorsque les convives, sur le point d'arriver à destination, allument l'auto-radio et chantent en choeur le tube de Noël à la mode (eh oui, c'est Michael Bublé qui s'y colle), on sent bien que toute cette bonne humeur collégiale sonne faux. Et la comédie doit durer aussi longtemps que possible afin de préserver les apparences et ainsi repousser l'échéance de la mort. Il n'y a qu'à voir Nell disposer un peu partout dans la maison des branches de gui, la plante porte-bonheur par excellence, mais aussi symbole d'immortalité durant l'Antiquité.

 

Silent Night : photo"Un toast à nos joyeuses retrouvailles... et funérailles !"

 

« J'ai essayé pendant des années d'écrire des histoires sur le système de classes qui est le mien, et le dysfonctionnement des classes moyennes et privilégiées en Angleterre », racontait Camille Griffin lors d'une interview donnée au site Screenrant, à l'occasion de la sortie du film outre-Atlantique. Une chose est sûre, son obstination a fini par payer tant l'objectif est pleinement atteint.

Entre les messes basses et les humiliations publiques, les personnages ne se font aucun cadeau (dommage, c'est Noël) et incarnent à eux seuls la petite bourgeoisie décadente et superficielle. « J'ai vu La Route et pas question que je vive ça. Je ne supporterai pas le monochrome post-apocalyptique », entend-on au détour d'une conversation. Si la réplique est évidemment très drôle, elle montre aussi la légèreté avec laquelle le groupe envisage l'approche du cataclysme.

Encore une fois, tout est affaire de cosmétique, jusqu'au traditionnel bénédicité entonné par Simon alors qu'il ne croit pas en Dieu. Il est très intéressant par ailleurs que la réalisatrice décide de réduire progressivement le brouhaha général des festivités pour tendre vers le murmure puis le silence. Un choix qui renvoie bien sûr au titre original du film, Silent Night, en référence à la célèbre mélodie sacrée de Franz Gruber (magnifiquement réorchestrée ici par le compositeur Lorne Balfe), mais aussi à une forme nouvelle de spiritualité, les personnages réalisant qu'il ne sert à rien de pavoiser.

 

Silent Night : photoRira bien qui rira le dernier

 

LA PILULE SANS LENDEMAIN

C'est donc à mi-parcours que Joyeuse fin du monde se met à creuser un sillon plus dramatique lorsque Art, le seul vrai libre penseur du groupe, remet en cause l'autorité des adultes et notamment de ses parents. Et s'il existait une chance pour eux de survivre à ce fléau ? Pourquoi s'en remettre aveuglément au gouvernement ou même à l'avis des scientifiques ? Autant de questions que le garçon va soulever sans détour, avec une conscience citoyenne et politique si aiguë pour son âge qu'elle pourrait sembler totalement absurde du point de vue du spectateur. Mais c'est aussi la grande idée du film que de faire endosser à l'enfant le rôle d'objecteur de conscience.

« Prenez votre pilule de sortie, évitez la souffrance et mourez dans la dignité », informe un spot gouvernemental. Voici le nouveau commandement auquel le pays doit se plier, la seule alternative trouvée par le pouvoir en place. Au fond, Art reproche à sa famille et ses proches d'accepter leur impuissance face aux évènements, lui qui prend régulièrement le contrôle de son destin, de façon anodine d'abord en modifiant discrètement le plan de table, puis de manière plus radicale ensuite en fuyant la maison au mépris du danger.

 

Silent Night : photo, Roman Griffin DavisLa voix de la raison

 

Bien sûr, la réalisatrice ne cherche en aucun cas à justifier les dérives anti-système à travers le comportement rebelle du garçon, et il est bon de rappeler que le film a été écrit avant la pandémie de Covid-19. Ceci étant dit, le film met en exergue la responsabilité qui incombe aux jeunes générations de réussir là où les précédentes ont échoué, en les poussant à s'affirmer, à interroger leur propre environnement. Et plus le doute s'immisce dans le débat, plus les masques tombent.

Le resserrement spatio-temporel de l'action permet autrement de montrer le paysage et notamment la météo se détériorer à vitesse grand V. La nuit tombée, l'horizon annonce une tempête de tous les diables, avec éclairs et tornades à la clé. On en revient à nouveau à la dimension religieuse et sacrée du projet. Si les théories vont bon train (c'est un coup des Russes d'un côté, une revanche de Mère Nature de l'autre), la menace n'en vient pas moins du ciel. De là à y voir une punition divine, il n'y a qu'un pas.

 

Silent Night : photo, Roman Griffin Davis, Keira KnightleyLe regard profondément aimant d'une mère envers son fils

 

Il est donc moins question de la fin du monde que de la fin d'un monde. Quand la neige fait enfin son apparition dans les ultimes plans, elle est symboliquement le signe d'une ère nouvelle, et ironiquement, le rappel tardif que la magie de Noël existe. En ce sens, on échappe au nihilisme d'un Lars Von Trier période Melancholia, sans pour autant verser dans le pur happy end, tant s'en faut. Un équilibre précieux entre humour et gravité, candeur et noirceur, que le film maintient avec un talent insolent sur toute sa durée.

Joyeuse fin du monde est disponible en DVD et Blu-ray depuis le 23 septembre 2022

 

Silent Night : photo, Matthew Goode, Keira Knightley, Roman Griffin Davis

Résumé

Quand la comédie grinçante tourne à la tragédie apocalyptique, le résultat étonne et passionne. Joyeuse fin du monde représente bien le parfait remède aux films de Noël un peu trop sucrés ou dépourvus de piquant.

Autre avis Geoffrey Crété
Comme un bon repas de famille, Joyeuse fin du monde jongle entre les rires, les larmes, le cringe et le désespoir avec une perversité réjouissante. Une belle et cruelle petite surprise.
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Lecteurs

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commentaires
Guihero
29/09/2022 à 09:17

@Birdy Christmas, c'est assez normal, le film n'est pas sorti au cinéma chez nous, c'est un direct to DVD qui vient juste de sortir.

Tesla Kusturica
28/09/2022 à 22:28

@chacha @hammercushing
Merci pour ce grand écart...

Hammercushing
27/09/2022 à 19:05

Un scénario fabuleux fait de ce film un ovni cinématographique.
On en sort bouleversés.
A voir de toute urgence
Ne pas l’avoir sorti en salles est une hérésie

Chacha
27/09/2022 à 13:07

Quel film merdique.. ennuyeux a mourir et depourvu d interet.. passez votre chemin ou alors lisez la "critique" de ce mauvais film et perdez votre temps!

Birdy Christmas
27/09/2022 à 09:20

Complètement passé à côté à sa sortie, pourtant j'adore le concept.
Je me le réserve pour un soir à tendance suicidaire.

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