Blonde : critique du fantôme Marilyn Monroe sur Netflix

Alexandre Janowiak | 27 septembre 2022 - MAJ : 05/07/2023 13:59
Alexandre Janowiak | 27 septembre 2022 - MAJ : 05/07/2023 13:59

Depuis 2002 et sa lecture du Blonde de Joyce Carol Oates, le réalisateur Andrew Dominik rêvait d'en faire un film. Vingt-ans plus tard, après une production mouvementée entre problèmes de financement, changements de casting et rumeurs de censure, son adaptation a enfin abouti. Présenté en grande pompe lors de la Mostra de Venise 2022 (et tristement reparti bredouille), son Blonde mené par Ana de Armas dans la peau de Norma Jeane/Marilyn Monroe est visible sur Netflix en France, et le résultat ébouriffant risque de diviser longtemps dans les chaumières.

La mort de Norma jeane par la célèbre Marilyn

Andrew Dominik est un cinéaste rare, précieux et surprenant dans le paysage hollywoodien. Si l'on éclipse son prometteur Chopper (premier essai s'attardant sur une figure australienne et ayant été tourné au pays d'Oz), Andrew Dominik a réussi à devenir, en seulement deux films, le spécialiste d'un simili-genre s'adonnant à déconstruire les États-Unis ou à établir une autre forme de vérité autour de ses mythes, pour mieux les piétiner, les saisir ou les redécouvrir.

Si le bancal Cogan : Killing Them Softly martelait avec un manque de subtilité flagrant et un ton trop verbeux les dérives du capitalisme et de la politique américaine, l'immense L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford avait prouvé la puissance de son cinéma et sa vision unique des légendes américaines. En mutant le simple western classique en un poème mélancolique (voire homo-érotique) aux airs malickiens, Andrew Dominik parvenait à démanteler les figures de Jesse James et de Robert Ford, venant saborder l'idée d'héroïsme et l'obsession de la célébrité (ce qu'il a également fait dans la série Mindhunter avec la figure gourouesque de Charles Manson).

 

 

C'est donc sans surprise qu'il s'attaque, avec Blonde, aux mêmes thématiques en étudiant cette fois le destin de Norma Jeane/Marilyn Monroe. Loin d'en faire un simple biopic classique, le réalisateur décide de bouleverser les codes du genre pour continuer à tracer son sillon d'auteur (toujours à l'aide d'un roman, ici celui éponyme de l'immense Joyce Carol Oates) : déconstruire une fausse utopie américaine, et plus particulièrement recontextualiser une invention hollywoodienne pour proposer un regard nouveau sur une icône adulée (et pourtant si isolée).

Une démarche extrêmement risquée qui va forcément créer d'innombrables débats, causer de nombreuses dissensions et ne pas plaire à tout le monde. D'autant plus que le réalisateur s'emploie à défaire le mythe à travers une oeuvre radicale, onirique et volontairement provocatrice, où la femme affronte en permanence l'actrice, où Norma Jeane subit progressivement son double Marilyn Monroe, celle "dont toutes les femmes aimeraient être à la place". Si elles savaient...

 

Blonde : Photo Ana de Armas "Que vous êtes cruelle madame Monroe, on aimerait tant être à votre place"

 

cauchemarilyn

"Marilyn était la personne la plus célèbre au monde. Mais c’est aussi ce qui a réduit Norma à l’invisibilité. C’est l’histoire qu’on voulait raconter", a expliqué Ana de Armas (tout bonnement incroyable) pour préciser le cheminement de Blonde. Et c'est en effet ce qui donne au long-métrage une force si particulière, adaptant avec habileté l'intelligence du roman de Oates et son idée fondatrice : Norma Jeane, jeune femme d'abord sauvée par l'alter-ego qu'elle s'est inventée (Marilyn Monroe), a finalement été dévorée par les dérives de sa création et surtout la manière dont le monde se l'est appropriée à ses dépens en l'objectifiant.

Dans cette oeuvre-fleuve de 2h45, Norma Jeane ne cesse en effet de s'enfoncer un peu plus chaque minute dans un cauchemar terrifiant, broyée à tour de rôle par les hommes (maris, amants, producteurs, fans...) et le système hollywoodien. Ce n'est d'ailleurs pas anodin si dès les premiers instants de Blonde, la jeune Norma Jeane (Lily Fisher) est d'ores et déjà écrasée par ce qui l'entoure, la voiture de sa mère s'enfonçant au coeur des collines enflammées d'Hollywood, présageant l'enfer du milieu qu'elle fréquentera adulte.

 

Blonde : Photo Ana de Armas, Adrien BrodyUn espace qui s'amenuise chaque jour un peu plus

 

Un enfer auquel Andrew Dominik va se confronter frontalement à travers une mise en scène profondément marquante. Qu'il transforme des étoiles en spermatozoïdes ou des draps en chutes du Niagara, qu'il distorde des corps pour mieux sublimer une libération physique ou déforme des bouches masculines rêvant d'engloutir leur héroïne, qu'il isole Marilyn dans une bulle sonore ou l'enferme inexorablement dans un cadre étriqué dont elle ne peut s'échapper, qu'il la filme en vision nocturne dans une panique terrifiante ou la rapetisse dans son siège de cinéma, Andrew Dominik tente et expérimente en permanence (quitte à tomber dans une surenchère qui pourra parfois agacer).

Une chose est sûre, Andrew Dominik offre des plans et séquences d'une puissance insoupçonnée, jouant de tous les formats (et d'un incessant jeu de noir et blanc/couleur) pour mieux étudier les enjeux émotionnels, les basculements psychologiques ou les terreurs sentimentales de son héroïne. Ainsi, Andrew Dominik capte avec maestria la richesse du bouquin de Oates, tout en parvenant à y insuffler sa propre folie, son propre rythme et in fine sa propre poésie. Le montage plein d'ellipses aura raison de nombreux spectateurs, mais c'est justement à travers cette narration fragmentée, plongeant dans le regard de Norma et sa dualité avec Marilyn, que le long-métrage s'envole.

 

Blonde : Photo Ana de ArmasUne solitude désarmante

 

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En balayant la vie de Marilyn Monroe entre déceptions amoureuses, tragédies maternelles, recherches éternelles de la figure paternelle, succès et échecs de sa vie de comédienne (on pourra regretter que le film n'évoque pas ou trop peu son talent d'actrice et son travail acharné de composition), Blonde bouleverse, déroute, secoue.

Il perturbe lorsqu'il s'évertue à décomposer sa célébrité, à revisiter des images iconiques à travers ses yeux (l'anxiogène séance photo de Sept ans de réflexion). Il chamboule même lorsqu'il s'attache à décrire la solitude de l'actrice, cette enfant abandonnée si désireuse d'avoir un bébé et échouant malheureusement à plusieurs reprises (bousculée par des désirs ambivalents, freinée par des desseins incompatibles, voire maudite par un corps qui ne lui a jamais totalement appartenu).

Mais plus encore, Blonde est avant tout une oeuvre hors du commun, sensorielle et enivrante. Une oeuvre qui vire carrément vers une expérience hallucinatoire aussi épuisante que fascinante. Impossible de ne pas penser, en effet, au cinéma de David Lynch devant Blonde tant le récit et ses métamorphoses permanentes (narratives ou visuelles) embrassent pleinement le style du réalisateur de Eraserhead. Au fur et à mesure de l'avancée du récit, Andrew Dominik enfonce ainsi les spectateurs dans un trip fantasmagorique dont il devient difficile de délier le vrai du faux, le rêve de la réalité, l'inconscient du conscient, l'intime du révélé, la fiction de la biographie.

 

Blonde : photoUne scène quasi-sacrificielle

 

"On ne sait jamais ce qui est vrai et ce qu'on imagine", confie Gladys Mortensen (Julianne Nicholson) à sa jeune fille Norma Jeane en début de métrage. Un aphorisme qui suivra autant les spectateurs dans leur visionnage (régulièrement troublés par la fidélité des reconstitutions et hommages) que Norma Jeane tout au long de sa vie jusqu'à un point de rupture terminal.

Car lorsque l'actrice, à force d'incarner de multiples visages aux yeux des autres, finit par ne plus savoir qui elle est vraiment, quelle personnalité elle doit revêtir à tel instant pour satisfaire ou quelle facette d'elle-même avait séduit la personne qu'elle côtoie (le terrible passage dans une chambre d'hôtel), c'est toute une logique qui s'écroule, la réité de son existence qui s'effrite, voire disparaît.

 

Blonde : Photo Ana de ArmasQui est Marilyn ? Où est Norma ? Quand sont-elles ?

 

Si Blonde est bercé par l'enivrante bande-originale de Nick Cave et Warren Ellis – rappelant régulièrement les partitions de Badalamenti pour Lynch notamment sur Twin Peaks – son ultime partie évoque ainsi, sans doute possible, le grand final de Mulholland Drive. Les images se fondent les unes dans les autres. Les corps maquillés deviennent de véritables cadavres (à moins que ce ne soit l'inverse). Les émotions se juxtaposent pour ne créer que des monstres incontrôlables. Le silence remplace le vacarme pour laisser place aux spectres qui nous hantent.

Un jeu de double qui doit quasiment tout à la performance saisissante et exigeante d'Ana de Armas capable, sans jamais singer bêtement la figure de Monroe, d'évoluer spontanément entre les deux esprits/corps de Norma. Une aisance troublante dont on ressort obsédé, dévoré d'une étrange sensation : celle d'avoir, non pas seulement expérimenté une oeuvre magique et terrorisante, mais bien d'avoir vu renaître un ange abandonné et son éternel fantôme. Miraculeux.

Blonde est disponible sur Netflix depuis le 28 septembre 2022

 

Blonde : Affiche US

Résumé

Au cœur d'un sensationnel chaos organisé, Andrew Dominik nous plonge dans la psyché cauchemardesque de Norma Jeane avec Blonde, expérience fragmentée fantasmagorique, d'une sensorialité hors du commun, jonglant entre onirisme et horreur, rêve et réalité.

Autre avis Geoffrey Crété
Comme un cauchemar, le labyrinthe Blonde est éprouvant, étrange et inextricable. C'est sa force et sa limite, qui explose dans des scènes intenses et étourdissantes, avant de se perdre dans les impasses et la surenchère.
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commentaires
Miami81
17/10/2022 à 22:35

Intellectuellement chaotique.... voilà voilà. Plein d effets de style, volontairement brouillon dans son écriture. Certain parlent d imitation de Lynch, on n en n est pas loin jusque dans certains scores musicaux.
Perso, ça m'a laissé de marbre, d'autant que je n'ai à la base aucun affect particulier pour Maryline. mais je peux comprendre que certain aiment.

Walter Pernety
17/10/2022 à 15:02

Laissez SVP David Lynch à la place qu'il mérite. Aucune comparaison possible.
Formellement prétentieux et inepte, le fond ne mérite pas mieux...

Kyle Reese
05/10/2022 à 00:36

Enorme coup de cœur pour moi. Ana de armas est bouleversante. Elle mérite tous les prix d'interprétation à venir. Un des meilleurs films que j'ai vu de cette année. Peut être le meilleur.
La grosse claque. Ceux qui aime le cinéma de Lynch ne peuvent qu'aimer ce film.

Freetofi
03/10/2022 à 11:00

Je comprends l'avis enflammé sur la Real. Mais ce film est une insulte a marilyn, jamais poétique, ne dégage aucun charme ...2h45 de cauchemar sauvé par l'actrice et je parle même pas des allusions pro life dégueulasses. Bref bcp de provoc et au final belle déception.

Pot Do
01/10/2022 à 23:12

Une star frappadingue malmenée par la vie, une victime au triste sort. Les hommes n'en sortent pas grandis, elle non plus d'ailleurs. Ses troubles psychologiques l'ont conduit sur les chemins de la destruction. L'actrice est fabuleuse ! Film intéressant qui détruit le mythe.

La Classe Américaine
01/10/2022 à 20:42

Visuellement éblouissant et radical. Ana de Amas est Marylin jusqu'au bout des ongles et livre la performance ultime. Alors oui, le film se penche se l'aspect sordide de sa célébrité et cela tire en longueur sur la fin. Et aussi cela fait penser a Mulholland Drive dans son mélange entre réalité et fiction, beauté et horreur pures.

viande a vision
01/10/2022 à 02:49

C'est beau , C'est bien joué mais on se fait vite chier... Une mini série aurait fait l'affaire...En 5 épisodes par exemple...

Nesseu
30/09/2022 à 13:28

Mulholland drive part 2.

Bob nims
29/09/2022 à 13:44

Un film pour les Oscars

GTB
29/09/2022 à 13:17

Wow! Quel film! N'ayant pas lu le roman je ne savais pas précisément à quoi m'attendre, et effectivement c'est très radical dans son intention. Intention de démystifier le personnage en parlant de la personne qui déplaira à coup sûr à tout ceux qui ne veulent pas qu'on touche à cette image.

Cette radicalité est d'ailleurs mon reproche principal au film/bouquin. Tout n'est que souffrance, tout ne sert qu'à broyer Norma. Même en optant pour le bopic-fiction, il y avait moyen de teinter les choses de différentes nuances.
En dehors de ça, c'est une dinguerie et formellement il y a des fulgurances folles. Ana de Armas livre une performance complexe, à l'image de l'ensemble du film.

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