Shamshera : critique d'un robin qui envoie du bois

Mathieu Jaborska | 26 juillet 2022
Mathieu Jaborska | 26 juillet 2022

Après Khudabaksh Jhaazi dans Thugs of Hindostan, Narasimha Reddy dans Sye Raa Narasimha Reddy et l'inoubliable duo Bheem Raju dans RRR, un nouveau héros indien pourfend l'Empire britannique dans le blockbuster Shamshera. La réponse hindi au génie du télougou S.S. Rajamouli ? Plutôt un simili-Robin des bois bien bourrin.

Le prince des voleurs

Assistant-réalisateur, notamment sur le célèbre My Name Is Khan, Karan Malhotra avait été promu à la tête du très apprécié (et malheureusement inédit chez nous) Agneepath, remake du film éponyme avec les vedettes Hrithik Roshan et Priyanka Chopra Jonas. Des débuts versant d'emblée dans le grand spectacle populaire, sans passer par la case production modeste, et récompensés d'un vrai succès. En 2015, il assumait des références bien plus américaines dans Brothers, drame sur la MMA fort classique, inspiré officiellement de Warrior, officieusement de Rocky et consorts. 

Son troisième long-métrage, de loin le plus ambitieux avec son budget de plus de 150 crores de roupies (soit environ 19 millions de dollars américains) selon BusinessToday, entend concilier les deux approches. Au sein d'une intrigue à mi-chemin entre l'imaginaire et l'Histoire locale, il insère des motifs narratifs et visuels que nos yeux d'Occidentaux relient instantanément à Robin des bois, puis, vers la fin, au western yankee. 

 

Shamshera : photoUne maîtrise de la hache qu'on aurait aimé voir plus exploitée

 

La vedette hindi Ranbir Kapoor joue le Shamshera du titre, chef de la tribu Khameran en exil, qui accepte un pacte avec l'Empire britannique par l'intermédiaire du perfide Daroga Shuddh Singh. Évidemment, c'est un piège et son peuple est asservi dans une forteresse. Lorsqu'il tente de trouver une échappatoire, il est abattu. 25 ans plus tard, son fils-qui-lui-ressemble-beaucoup-quand-même se destine à une carrière d'officier inespérée, sans se douter qu'il va devoir en fait prendre la succession de son paternel et amasser la somme astronomique réclamée par l'oppresseur en échange de la libération de la tribu.

Un postulat dont on devine très vite les tenants et aboutissants, avec récit initiatique dans la première partie et reconquête épique dans la seconde, comme le veut la tradition. Une recette classique, un peu trop même selon une partie de la presse et de nombreux spectateurs, pas toujours tendres avec cette superproduction qui se voudrait extrêmement spectaculaire.

 

Shamshera : photoRobin d'ébats

 

On les comprend. Bien qu'il refuse de tout concéder à l'action et revendique une approche politique revancharde, Shamshera abandonne en cours de métrage la plupart de ses audaces narratives pour se rattraper finalement au carcan du blockbuster programmatique.

La critique sous-jacente du système de castes, véhiculée par la nature même du mépris voué par les Britanniques, mais aussi les Indiens, à cette communauté, est avalée par le jeu en roue libre du grand méchant, jusqu'à un tour de passe-passe narratif simpliste qui a logiquement fait grincer quelques dents. De même que le personnage de Sona, incarné par Vaani Kapoor, vitrine charnelle qui reprend au nez et à la barbe de ceux qu'elle prétend divertir, la main sur sa volonté politique, notamment lors d'une baston inventive à l'issue de laquelle elle s'extrait du décor dont elle faisait partie, perd progressivement en intérêt.

 

Shamshera : photo, Vaani Kapoor"T'es sûr qu'elle est bonne ?"

 

Il était une fois la révolution

Des idées écartées pour mieux embraser la veine épique du film, lequel glisse peu à peu vers le western au fur et à mesure que ses personnages s'approprient les richesses de leurs tortionnaires, jusqu'à un climax citant directement le genre. Juste avant l'ultime affrontement, la meilleure scène d'action s'amuse à détourner l'un de ses archétypes les plus célèbres, grâce à deux plans-séquences aussi malins qu'exaltants et une torsion des règles de la physique pas piquée des hannetons.

Quand bien même le tout dernier acte, qui se prend les pieds dans ses propres lourdeurs d'écriture, déçoit en comparaison, l'ensemble est donc traversé de quelques séquences d'action bien chorégraphiées et surtout mises en scène avec un zeste de mégalomanie (on pense à cette "lutte" filmée par une succession de travellings circulaires frénétiques), ainsi que de moments de bravoures improbables, telle cette chute pas franchement nécessaire, mais assez lourde en symbolique pour justifier sa place dans le récit.

 

Shamshera : photoIl ne Sanjay pas

 

Plus anecdotique que ne le prétendent ses affriolantes premières minutes, quelque peu limité par son propre univers, coincé entre le fantastique pur et la fable politique, Shamshera tente néanmoins maladroitement de divertir en continu. Et il mise autant sur les mésaventures mouvementées de son héros que sur son ambiance musicale, omniprésente, voire parfois un peu redondante, notamment à cause ce thème principal répété ad nauseam. Quiconque y cherche un spectacle honnête, parsemé de bastons et de numéros musicaux allant du remplissage à la démonstration d'inventivité (l'introduction du héros, excellente), y trouvera son compte.

C'est en fait comme si le film décidait de prendre cette direction en cours de route, abandonnant ses promesses pour prêter allégeance au divertissement benêt, à l'image de son antagoniste, campé par le célébrissime Sanjay Dutt, qui avait d'ailleurs - tenez-vous bien - été lui-même incarné par Ranbir Kapoor dans son propre biopic ! Celui qu'on a encore vu récemment dans K.G.F : Chapter 2, déraille complètement passé la moitié du métrage, si bien qu'il incarne à lui seul toutes les forces et les faiblesses de l'ensemble : intéressant vis-à-vis de son statut ambigu au départ, il se transforme vite en vilain d'opérette assez savoureux. Et parfois, il faut savoir s'en contenter.

 

Shamshera : Affiche officielle

Résumé

Pour peu qu'on fasse le deuil de ses ambitions narratives, Shamshera reste un divertissement honnête, très musical et traversé par quelques scènes d'action amusantes.

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