My Favorite War : critique qui valse avec Staline

Elliot Amor | 20 avril 2022 - MAJ : 20/04/2022 12:30
Elliot Amor | 20 avril 2022 - MAJ : 20/04/2022 12:30

Vous êtes-vous déjà demandé si la Lettonie faisait du cinéma d'animation ? Si oui, vous avez dû constater que cela se limitait à deux longs métrages. Eh bien, avec My Favorite War, réalisé par  Ilze Burkovska-Jacobsen, il y en a désormais trois. Et la rareté du film ne s'arrête pas là, car il s'agit également d'un documentaire. C'est donc parti pour la critique de l'objet filmique non identifié de la semaine.

L'Enfance d'Ilze

Née au début des années 1970, la réalisatrice Ilze Burkovska-Jacobsen a grandi dans une Lettonie soviétique qui, comme partout en URSS, avait un concept de liberté... différent de celui qu'on connaît en occident. Au premier abord, on pourrait penser que le film est une autobiographie animée, mais dès son introduction, My Favorite War s'identifie plus comme un témoignage sur une époque révolue (dans les pays baltes) pourtant très récente.

C'est dans un premier temps du point de vue d'une enfant qu'on découvre à quoi ressemblait le quotidien d'une famille lettone pendant la guerre froide. Alors que la jeunesse française s'émerveillait devant Goldorak, les enfants des républiques soviétiques étaient conditionnés à aimer les récits héroïques (et exagérés) de la Seconde Guerre mondiale. La petite Ilze n'y a donc pas échappé et était fan de la série polonaise Quatre tankistes et un chien (il faut avouer que ce titre est formidable).

La narration compte ainsi sur la culture générale des spectateurs pour les laisser comprendre certains enjeux qui passent au-dessus de la tête d'une protagoniste âgée de moins de dix ans (la voix off aide un peu). Et comme une grande partie de l'intrigue est traitée via son regard, certains éléments, comme des décors ou des personnages, deviennent propres au cinéma d'épouvante. Le meilleur exemple est ce que la narratrice appelle « le Polygone », un lieu appartenant à l'armée et montré comme une forêt maléfique habitée par des monstres.

 

My Favorite War : photoLa mélodie du malheur

 

Évidemment, la petite Ilze grandit et commence à penser par elle-même. Le point de vue de l'enfant est alors remplacé par celui d'une journaliste en herbe. Dans cette deuxième partie, on sent que l'héroïne s'intéresse un peu plus aux émotions et au vécu des autres personnages, allant de sa propre mère à la petite vieille qui déteste l'odeur du savon à la fraise. Il va de soi que, lorsque la protagoniste dit qu'elle rêve d'être journaliste, son quotidien semble encore plus triste. Et pour couronner le tout, la mise en scène horrifique laisse place à des images dignes d'un film post-apo. Bonne ambiance.

Ilze Burkovska-Jacobsen se concentre principalement sur l'histoire de la Lettonie entre la Seconde Guerre mondiale et la chute du bloc de l'Est. Le film aborde donc très peu les événements post-URSS. Et pourtant, ce que les personnages ont vécu dans My Favorite War a une terrible ressemblance avec l'actualité en Ukraine et en Russie. Vladimir Poutine a même droit à un petit clin d'œil à la fin du film, parmi d'autres dictateurs et patriarches encore au pouvoir pendant la production du film.

 

 

My Favorite War : photoLénine, réveille-toi.

 

(Not) Back in the U.S.S.R.

Le cinéma d'animation letton est encore très loin des récentes pépites américaines, françaises ou japonaises, mais il n'empêche que My Favorite War regorge d'idées dans son découpage, son montage et son écriture. On remarque également une inspiration provenant du cinéma russe et scandinave, les spectres d'Andrei Tarkovski et d'Ingmar Bergman (pour ne citer que les plus évidents) étant apparemment bien présents dans les pays baltes.

Alors effectivement, l'animation n'est pas aussi fluide que la nouvelle saison de Demon Slayer ou que le dernier Pixar, mais, il y a là une volonté de faire du cinéma qui permet de passer outre l'animation du logiciel Adobe Flash. Et on ne parle pas seulement de technique, mais aussi du fond du film qui défend la liberté d'expression, ce qu'il y a probablement de plus important. Les vingt dernières minutes essaient ainsi de rappeler que même les plus grands oppresseurs ne peuvent faire taire la voix du peuple éternellement.

 

My Favorite War : photoTout l'monde s'éclate à la queuleuleu

 

Et quand on voit jusqu'où allait la propagande soviétique, on comprend que la réalisatrice ait préféré l'animation aux images d'archives. Mais pourquoi choisir de l'animation plutôt que des prises de vue réelles scénarisées ? On n'a pas trop de mal à s'imaginer que Burkovska-Jacobsen se soit laissée influencer par un réalisateur qui répond au nom d'Ari Folman. En 2007, ce dernier a signé le chef-d'œuvre Valse avec Bachir, dans lequel il essaie de se remémorer ce qu'il a vu pendant la guerre au Liban.

Valse avec Bachir a démontré que l'animation permettait aux auteurs d'être plus fidèles que jamais à leurs souvenirs, leurs rêves, ou encore leurs fantasmes. Ça, Ilze Burkovska-Jacobsen l'a bien compris et on peut supposer qu'elle n'aurait pas eu le budget et la liberté nécessaire avec un film en prises de vue réelles. D'autres films d'animation sont bien sûr passés par là, comme l'incontournable Persepolis de Marjane Satrapi. La démarche est très similaire, Satrapi ayant elle aussi opté pour une fiction qui raconte son histoire.

 

 

My Favorite War : photoLa Petite Maison dans la république socialiste soviétique

 

Et si vous en redemandez, on vous suggère de jeter un œil à un autre film d'animation letton récompensé un an plus tôt au festival d'Annecy : Ailleurs de Gints Zilbalodis. Ça n'a rien à voir, c'est en 3D, il n'y a aucun dialogue et ça parle plus aux fans de Shadow of the Colossus qu'aux férus d'Histoire. Mais le film a le mérite d'être un long métrage imaginé et animé par une seule et même personne. Et ça, en plus de forcer le respect, ça donne de l'espoir pour l'avenir d'un cinéma d'animation naissant.

 

My Favorite War : Affiche officielle

Résumé

À moins d'avoir vécu en Lettonie dans les années 1980, My Favorite War a le mérite de nous apprendre des choses. Et puis ça fait toujours plaisir de se pointer à une soirée mondaine et dire : « Oh, je t'ai pas dit ! L'autre jour je me suis fait un documentaire d'animation letton, c'était vraiment super ».

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commentaires
Deny
20/04/2022 à 16:02

"Ailleurs" c'est Letton! Merci pour cette surprenante info sur ce film bancale, mais, bizarrement attachant... Hâte de voir "my favorite war"

Kyle Reese
20/04/2022 à 14:16

Résonance directe avec ce qui se passe en ce moment en Ukraine.
L'idéologie communisme mortifère est encore à l’œuvre. 100 millions de morts, au moins, et ça massacre encore et encore. Tchétchénie, Syrie, Ukraine.
On en ai encore là en 2022. Qui l'eut crut au moment de la chute du mur et de l'effondrement du bloc de l'est. J'ai vu ce moment d'accélération magnifique de l'histoire à la TV, vecteur de l'espoir d'un futur radieux, avec l'an 2000 qui faisait rêver en point de mire, ça allait être bien le nouveau millénaire. Et puis, crise écologique, énergétique, guerre, terrorisme etc ..., quelle naïveté. L'avenir ne fait plus vraiment rêver. Je plain les nouvelles générations.

Aller, pour rester dans l'animation

Il faut que tu respires
Et ça c'est rien de le dire
Tu vas pas mourir de rire
Et c'est pas rien de le dire

https://www.youtube.com/watch?v=Iwb6u1Jo1Mc&ab_channel=mickey3d

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