Julie (en 12 chapitres) : critique qui ne s'en est toujours pas remis

Simon Riaux | 26 mai 2022
Simon Riaux | 26 mai 2022

Julie (en 12 chapitres) est ce soir à 21h09 sur Canal+.

Après Thelma ou encore Oslo, 31, aoûtJoachim Trier affine encore son art de délicat portraitiste de la Norvège contemporaine avec Julie (en 12 chapitres) primé à Cannes. Mais, s'il ne s'est pas départi du scalpel qui lui tient parfois lieu de regard, c'est porté par une énergie nouvelle qu'il nous revient.

VOIX AU CHAPITRE

Dès son ouverture, le récit de Trier déjoue les questions et les attentes du spectateur. Apparaît au milieu du cadre Renate Reinsve, en tenue de soirée, droite, scindant une image nimbée de soleil, immédiatement exclue du remous trouble d'on ne sait trop quelle foule. Elle trône là, comme une extension de ce titre annonçant une partition en 12 épisodes, quand tout en elle vient progressivement troubler le programme annoncé. Il y a là un bouillonnement, une éruption annoncée, qui se fait jour dès ce plan fixe, et se voit immédiatement confirmé par une introduction volcanique.

Julie court. Après ses études, après ses envies. Littéralement. En une poignée de minutes, où plans éclatants et montage syncopé se rencontrent idéalement, se dessine une esquisse vivante : celle d'une jeune femme reconfigurant perpétuellement ses désirs et les moyens de les atteindre. De la médecine, à la psychologie à la pratique des arts, elle jongle, tant et si bien que la caméra semble peiner à la suivre, embrassant tant bien que mal la phénoménale énergie qu'elle répand autour d'elle. Puis vient une rencontre, décisive, avec Aksel, bédéiste à la gloire un peu passée, mais au charisme encore remuant.

 

photo, Renate ReinsveUne ouverture lumineuse

 

Passé cet incipit revigorant, Joachim Trier paraît se calmer, ne pas choisir entre comédie romantique, quête existentielle et drame amoureux. Or, c'est cette danse incertaine qui va progressivement conférer à Julie (en 12 chapitres), sa richesse et son élan sans cesse renouvelé. Le tempo de notre héroïne marque le pas, mais pas ses questionnements intérieurs. Une idée que la mise en scène adopte avec un mélange de sophistication et de douce évidence, qui transforme progressivement chaque séquence en petit festival d'inventivité, inscrit dans une rigoureuse étude de caractère.

Tandis que Julie s'efforce de trouver aussi bien sa voix que sa voie, le découpage, lui, nous laisse perpétuellement apprécier l'état de ses recherches, qu'il l'enferme dans le cadre, crée des tableaux au sein des tableaux, ou constate combien le personnage s'échine à en sortir. Moteur physique comme émotionnel de ce récit, elle en contamine bien sûr, le fond et la forme. Forme qui feint le littéraire, pour mieux pulvériser son concept de chapitrage, à coups de pirouettes, d'explorations et d'habiletés scénaristiques, mais aussi fond mouvant, fond-mouvement, qui prend le pouls de plusieurs générations sans jamais les juger.

 

photo, Renate Reinsve, Anders Danielsen LieLe rire, et les larmes

 

UNE JOIE SANS FIN

À l'heure où on ne compte plus les productions plus ou moins poseuses, plus ou moins inspirées, plus ou moins opportunistes, dont le programme pourrait se résumer en une captation superficielle des questions, doutes et débats qui embrasent un certain air du temps, Julie (en 12 chapitres) parvient dans un même mouvement à les convoquer et à les désamorcer avec une intelligence affolante.

Que son héroïne se livre à une joute pompette avec un homme plus âgé pour qualifier le "néo-féminisme" ; qu'elle se voit signifier les ravages de sa versatilité ou explore les doutes d'un compagnon plus âgé, frustré par les codes émergents d'une sphère artistico-médiatique plus que jamais soucieuse des apparences, le réalisateur parvient à faire voler en éclat barrières et débats stériles.

 

Photo Anders Danielsen Lie, Renate ReinsveRéussir sa soirée, mode d'emploi

 

Au contact d'un scénario d'une finesse psychologique remarquable, que sublime une comédienne à la palette de jeu ahurissante, sa mise en scène peut se permettre une multiplicité d'effets et de réflexions, telles qu'on n'en avait sans doute pas connu précédemment dans sa filmographie. Probablement plus démonstratif qu'à l'accoutumée, porté par le désir de séduire le spectateur. En découle une sorte de Bridget Jones radicale, qui aurait troqué les sourires agrafés pour les larmes libératrices, le refus du conflit pour la grâce de son dépassement, et l'angoisse de ne pas se métamorphoser en turbine à placenta par la nécessité de trouver un sens à son existence.

Et Julie de tomber, se relever, accélérer encore, à la faveur de scènes marquantes d'évidence. D'un trip champignonneux qui renvoie James Wan au bac à sable, en passant par une course effrénée vers un baiser suspendu, tout ici transperce le coeur, jusqu'à la maladie, jusqu'à la mort. Des bouleversements, des retournements, qui pourtant n'effacent jamais les maelstroms de joie que traverse le personnage.

Et nous, de demeurer suspendus, à son esprit comme à ses lèvres, s'échappant à regret du film comme après une longue nuit de beuverie aux airs de coup de foudre qui nous rappellent et nous encouragent à adopter le courage fondateur de Julie, remettant chaque jour sur le métier l'ouvrage d'une vie cabossée, mais grandiose.

 

Affiche

Résumé

De chutes en renaissances, Julie échappe à son film comme au spectateur, grâce à son interprète, grâce au scénario d'Eskil Vogt et la mise en scène de Joachim Trier. Porté avec incandescence par Renate Reinsve, le film embrasse son époque et son public, pour souligner ses doutes, ses vertiges et ses aspirations avec un élan vital communicatif.

Autre avis Alexandre Janowiak
Portrait sublime dans sa simplicité et pertinent dans sa modernité, à la fois bouleversant et réconfortant dans son regard sur le monde, les relations, l'amour, l'existence... Julie (en 12 chapitres) détient un souffle et une beauté rares. Un grand film vivant et déchirant.
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Lecteurs

(2.7)

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commentaires
Dirty Harry
07/06/2022 à 14:07

Une co...nasse qui va finir seule à force de forcer l'individualisme tant vanté par la société moderne. Tout va lui glisser entre les doigts alors qu'elle aurait pu connaitre le bonheur conjugal . En fait pour une féministe ce film devrait être considéré comme misogyne car "la liberté de la faaammme" en prend un sacré coup ! Le scénario semble avoir été écrit par Gaspard Proust tant il rudoie le sexe féminin dans toutes les bêtises de l'époque...
Le film est bien réalisé, au découpage inventif parfois et excepté un ou deux chapitres qui s'étirent, c'est bien rythmé...mais en tout cas chapeau d'avoir sorti ce scud qui balaie toutes les fadaises des magazines féminins (ou culturels comme les niaiseries sur la vie dites plus haut dans cette critique).

Rienderienderien
27/05/2022 à 23:57

J'aime beaucoup Joachim Trier.
Mais j'ai un problème avec ce film qui se perd un peu... dans l'histoire d'une jolie chieuse qui ne sait pas ce qu'elle veut...

Tearsin Rayne
27/05/2022 à 14:31

Joachim Trier est un réal sous-estimé.

Stivostine
27/05/2022 à 11:28

Joachim Trier un real bien surestimé

Tengaar
15/03/2022 à 18:07

Personnellement, je n'ai pas vu l'intérêt de raconter l'histoire spécifique de ces personnages. Elle a des problèmes insignifiants et des dilemmes creux. Qu'elle couche avec Gars 1, Gars 2 ou Gars 3, grand bien me fasse. Alors oui, l'actrice est jolie et agréable à suivre, mais ça ne fait pas un film.

Hem
16/11/2021 à 20:59

Merci de rajouter un e à radical, Bridget Jones est une fille, donc radicale...

jopam
04/11/2021 à 20:01

vivifiant,roboratif,Julie en 12 ....sans les sous chapitres emporte mon adhésion inconditionnelle tant le ton ,les intentions non intentionnelles de son héroïne ramassent tous les suffrages.
Quelle femme assoiffée de liberté ne s’est -elle pas rêvée ainsi?

Maximo
21/10/2021 à 23:42

Il y a eu quelques bon film cet année, celui ci fait parti des meilleurs

MLTSM
19/10/2021 à 08:58

Un tourbillon de Vie et de Joie cette Julie .Un film qui bouscule et enthousiasme. Etonnant et brillant. Courez-y !

Simon Riaux
15/10/2021 à 10:04

@Clem199@

Le plus rigolo étant que les intéressés ne réalisent pas qu'ils sont en train de causer d'une comédie romantique.

Ce qui enfonce encore le clou.

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