Onoda : 10 000 nuits dans la jungle - critique d'Apocalypse Now 2

Salim Belghache | 20 février 2022
Salim Belghache | 20 février 2022

Onoda – 10 000 nuits dans la jungle, ce soir à 20h55 sur Canal+ Cinéma.

Après avoir remis au goût du jour le polar dans Diamant noir, le réalisateur français Arthur Harari fait son grand retour avec un passionnant film de guerre se déroulant en Asie et au casting intégralement japonais. Basé sur l’histoire vraie du lieutenant Hiroo Onoda, envoyé sur une île des Philippes en 1944, dont il ne repartit que 29 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Onoda : 10 000 nuits dans la jungle mêle astucieusement le film de guerre au survival, sans chercher à dupliquer la folie d'un Apocalypse Now.

Les diamants sont éternels

Qui aurait cru qu’un réalisateur français s’intéresse de près à l'histoire de l’armée japonaise ? En se détachant du sujet passionnant qu’est cette perte dans la jungle, l'intérêt d’Arthur Harari pour cette histoire n’est pas très étonnant quand on fait le parallèle avec Diamant noir, son premier long-métrage. Dans le contexte d’un polar animé par une vengeance familiale, il dévoilait sa fascination envers Pier (Niels Schneider). Un personnage incluant les composantes d’une masculinité en tension permanente, où la sensualité de ses mains et de son regard ajoutait à ce personnage une complexité rarissime.

Pier partageait sa fidélité entre deux familles (celle de sang et celle de ses collègues gangsters) et une croyance immodérée à un code d’honneur ancien, que l'on pourrait associer à celui des samouraïs ou de la mafia, qu'Harari ne manque pas de remettre en perspective dans Onoda.

 

photo, Yuya Endo"On est entre frères !"

 

Car c’est bien cette affection toute particulière pour la masculinité et de son expression dans un groupe, qui paraît avoir intéressé le cinéaste français. En effet, Arthur Harari met en évidence un groupe de soldats exclusivement masculin, dont le devoir moral envers l’institution militaire précède une réalité historique comme la fin de la guerre, et où finalement, l'entraide est essentielle entre tous les membres, qui sont à la fois intègres et au combien exemplaires dans leurs tâches.

Pour matérialiser cette solidarité, Harari n’hésite pas à raviver une tendresse entre les personnages, notamment lorsqu’Akatsu (Kai Inowaki), le plus jeune de la section, est en larmes à cause des fourmis qui remontent tout le long de son corps. Son acolyte Shimada (Shinsuke Kato) vient alors le réconforter et le coucher.

Ce dernier en profite pour lui avouer que pour l’aider à dormir, il essaie de se remémorer les noms de tous ses camarades de classe et d’un seul mouvement de caméra, Harari passe sur les deux autres soldats dont l’un, affecté par la douceur de son frère d’armes, se caresse le bas du corps sans que cela devienne outrancier ou malvenu. Une direction que prendra également Harari lorsqu’Onoda (Yuya Endo) et son second Ozuka (Yûya Matsuura) se rendent sur la plage et qu’un plan de coucher de soleil ellipse majestueusement une bromance qui ne les quittera plus.

 

photo, Yuya Endo, Yûya MatsuuraUn rendez-vous chez le coiffeur entre bro

 

Une question de regard

Au-delà de la grande délicatesse qu’il accorde à ses personnages, Arthur Harari semble animé par la question du regard et plus particulièrement de celui d’Onoda. Car si la guerre est terminée, Onoda est mû par l'adhésion aux codes de son école militaire, au-delà de ses sentiments ou doutes qu’il peut avoir. C’est en partie pour cela que le regard d’Onoda sera toujours épris d’un doute allant du détournement jusqu’à la pure et simple vision.

En atteste la séquence où Akatsu revient sur l’île avec le père et le frère d’Onoda, pour convaincre au jeune lieutenant que la guerre est terminée et qu’il peut à présent rentrer au Japon. Et alors qu’il est muni de jumelles et qu’il reconnaît la voix des membres de sa famille, Onoda prend la décision de croire en une manipulation plutôt qu’en la réalité que lui offre son regard. Il suivra par la suite ce même processus, lorsqu’accompagné de Kozuka, il cartographie le monde et imagine le nouvel ordre mondial et ces enjeux politiques.

 

photo, Onoda : 10 000 nuits dans la jungle"Il fait tout noir, je ne vois rien."

 

Dans ce même ordre d’idée, Onoda et Kozuka parcourent plus tôt dans le film l’île au complet, en attribuant à chaque partie de l’île des noms. Les deux se rendent un moment au sommet d’une colline et tombent nez à nez face à un immense sommet que Kazuka renomme en l’associant à la forme des mamelles d’une de ses conquêtes. Yazuka dans le contrechamp reproduit la forme du sommet et agit sur la perception de son supérieur. Finalement, tout est une question de croyance dans Onoda, et le choix de croire ou non à une idée, qu’elle soit absurde ou légitime.

Malgré le fait que les motivations d’Onoda soient assez rapidement précisées par un flashback, la durée de réclusion que se sont imposée ces soldats relève tout de même de l’inexplicable. Et Harari ne semble pas résolu à nous fournir une résolution toute faite et propose au contraire, une forme de réalité imbriquée dans les corps des personnages à tout jamais. Par exemple, Onoda est motivé par une forme de retenue et de pesanteur, préférant se muer dans le silence et la mélancolie, plutôt que de laisser éclater sa colère ou un quelconque ressentiment.

 

photo, Yuya Endo, Yûya Matsuura"Tu vois ça ressemble à ça."

 

À la guerre, comme à la rigueur

Outre les problématiques thématiques, Arthur Harari impose plus largement l'héritage du cinéma classique qu'il affectionne, en s’appuyant stylistiquement sur une mise en scène limpide et rigoureuse. L’immersion comme la conçoit Harari ne repose pas sur une réalisation proche de ses comédiens dans l’espoir de créer une empathie. Le cinéaste opte plutôt pour des compositions de cadre structurées et riches, bien assisté par la photographie en 35mm de son frère Tom Harari.

Malgré quelques injections de virtuosité comme certains travellings ascendants ou latéraux, Arthur Harari propose une rigueur et une pureté assez inhabituelles dans le paysage du cinéma français. Influencé par l’imminent cinéaste japonais Kenji Mizoguchi (Les Contes de la lune vague après la pluieL'Intendant Sanshô), le réalisateur français ne sombre pas dans l’austérité, mais choisit plutôt de prendre de la hauteur, évitant de tomber dans les travers de l’immersion sans inspiration. Cette rigidité assumée est en adéquation avec le refus de mettre en exergue les excès de folie de ses personnages. Harari joue sur la durée des plans, fait ressortir le meilleur de ses cadres, par la force de son montage, truffé de raccords bienvenus, faisant d'Onoda, un film d’une grande richesse plastique.

 

photo, Yuya EndoLa tenue exemplaire

 

Et cette île cartographiée par les personnages démontre également l’importance d’avoir une vision d’ensemble, car les prises de hauteur des travellings verticaux accordent un rôle presque mystique à une jungle jamais tout à fait menaçante, mais ô combien difficile à apprivoiser. Cette représentation imagée du spirituel est également porteuse lorsqu'Harari fixe les transitions temporelles (ellipses et raccords à partir d’un détail de son décor) comme si les personnages n’étaient jamais les principaux protagonistes de leur temps.

On notera également le goût pour le genre (de polar ou de guerre) d'Harari dont la cinéphilie déborde à chaque image. Néanmoins, loin de l'exercice de style reprenant les codes du film de guerre ou la grandiloquence du cinéma japonais (au hasard celle d'un Akira Kurosawa, le réalisateur s'inspirant clairement des Les Sept samouraïs pour caractériser ses personnages), Arthur Harari s'inscrit dans une alternative de cinéma associant le populaire et l’art le plus sérieux qui soit. Et dans le fond, le réalisateur est tellement imprégné de l’histoire qu’il raconte et de la croyance envers les pouvoirs de la mise en scène, que les 2h45 de film se trouvent entièrement justifiées.

 

Affiche française

Résumé

Avec Onoda : 10 000 nuits dans la jungle, Arthur Harari réalise un tour de force magistral en offrant une œuvre exigeante, accomplie et admirable. Jamais dépassé par son grand sujet et l’aspect monumental de son projet, le réalisateur français est concrètement en passe d’être l’une des grandes figures d’un cinéma hexagonal, partagé entre la question du genre populaire et la beauté de l’art avec un grand A. 

 

Autre avis Alexandre Janowiak
Captant l'aliénation mentale de son héros dans l'immensité d'une jungle hors du temps et proposant une réflexion fascinante sur l'humain et la futilité de la guerre, Arthur Harari délivre une œuvre dont l'ambition force le respect avec Onoda. Éblouissant.
Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.1)

Votre note ?

commentaires
Ziggy
06/01/2023 à 00:04

Je suis littéralement scotchée..je viens de regarder un film de 3 heures et aurais aimé arrêter le générique , pour rester dans ce moment de grâce..la première pensée sans avoir jamais avoir entendu parler de ce film, ni lu aucune critiques..Palme d'or.

Ozymandias
18/06/2022 à 21:57

Perso j'ai tenu 45 minutes et.j'ai arrêté. Aucune émotion, réalisation très classique, pas pour moi.

Dernière
27/12/2021 à 20:52

J'avais bien aimé et c'est le dernier film que j'ai vu au cinéma. Depuis j'ai plus le droit d'y aller sans scéance de torture nasale.

GrGarnier
30/07/2021 à 18:05

Aïe, j’étais très emballé par une fresque de 2h45 sur cette île du pacifique, mais déception ce fut, l’ennui a malheureusement pointé le bout de son nez pour ne jamais me quitter … l’histoire était très intéressante, mais je ne suis jamais rentré dans le film et sa mise en scène exigeante pour le spectateur. Mais je continuerai à m’intéresser à vos recommandations, toutes plus variées les unes que les autres !

Gerard
23/07/2021 à 09:42

JE viendrai voir le film d'Arthur Harari projeté au Melies dimanche et je m'en fait une joie! L'histoire de ce fim remarquable invite au voyage à la découverte et au fanatique endoctrinement Japonais en temps de guerre. Un régal pour la curiosite.

Gerard
23/07/2021 à 09:24

JE viendrai voir le film d'Arthur Harari projeté au Melies dimanche et je m'en fait une joie

BadTaste
22/07/2021 à 23:38

@Marc
La question ne se pose pas vraiment : Onoda ne concourrait pas pour la Palme, et faisait partie de la sélection Un certain regard.
Après, il est possible que le film de Arthur Harari avait potentiellement sa place en compétition (je n'ai pas encore vu le film, je précise). Vu son sujet, son parti pris de raconter son histoire complètement dingue sur presque trois heures...
Ce n'est pas le premier film sélectionné dans une section parallèle, qui aurait tout à fait eu sa place en compétition officielle (je pense à The Lighthouse, J'ai perdu mon corps, Girl, Climax, Le monde est à toi, The Florida Project, The rider, Jeannette l'enfance de Jeanne d'Arc...).

Flash
22/07/2021 à 19:05

C'est quand même incroyable cette histoire, j'en avais entendu parler quand j’étais beaucoup plus jeune. je vais le rajouter à ma liste.

Cinégood
22/07/2021 à 17:29

@Marc
Le temps fera son effet et on verra dans 10 ou 20 ans quel film sera resté dans les mémoires.

Marc
22/07/2021 à 15:49

Ce film aurait il mérité plus de gagner la palme d'or de Canne ? Sûrement plus classique dans la forme que TITANE. Plus j'y pense a TITANE plus je déteste ce film qui joue la provoque le trangenre se veut choquant . C'est mon impression je faillis quitter la salle du Ciné c'est pour dire.

votre commentaire