Lux Æterna : critique qui s'embrase

Simon Riaux | 22 septembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 22 septembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Une autrice lutte contre une production décidée à la virer. Une star tente de garder le contrôle d'elle-même, alors que la révolte couve jusque chez les techniciens. Et quand, pendant une scène de bûcher, les lumières s'emballent, c'est tout un tournage qui se transforme en délire paranormal. Bienvenue chez Gaspar Noé.

LE BÛCHER DES VANITÉS

Technicien hors pair et expérimentateur insatiable, Gaspar Noé s’est parfois un peu égaré, perdu entre ses ambitions plastiques et ses interrogations métaphysiques. Une quête à la fois absolue et naïvequi culmina avec Enter the Void, pensum virtuose, mais indigeste. Depuis, le cinéma de Noé s’est resserré autour de concepts plus terre-à-terre, explorant la représentation de l’amour (Love) ou s’immergeant jusqu’à la suffocation dans l’extase (Climax).  

 

photoQu'est-ce qui pourrait bien mal tourner ?

 

Avec Lux Æterna, il pousse son dispositif plus loin dans l’apparent dénuement, pour mieux nous offrir une explosion sensorielle et métaphysique hors du commun. On suit ici quelques heures dans la vie d’un tournage voué à une apocalypse totale, alors qu’une réalisatrice pour le moins incendiaire tente de contrôler un plateau au bord de l’implosion. L’occasion de tirer à boulets rouges sur une industrie dont le film se moque ici, croquant une galerie de fous furieux, de parasites et opportunistes tous sur le point de sombrer dans la démence. L’idée est bonne, le ton souvent féroce, quand bien même cet aspect phagocyte un peu trop la première partie de l’intrigue. 

Ce qui pourrait n’être qu’un gadget formaliste ou maniéré ne causant que du milieu du cinéma pour les cinéphiles avertis ou nombrilistes se transforme rapidement en boulet de démolition hallucinogène. Dans un geste simultanément chaotique, malicieux et ludique, il s’amuse de ses références filmiques, qui explosent à l’image, tout en se moquant de la vanité de ses personnages et de leur entreprise. Le résultat est d’une revigorante agressivité, et n’en restant pas à sa surface de dézingage azimuté, offre au cinéaste un terrain de jeu phosphorescent. 

 

photo, Béatrice DalleBéatrice Dalle, incandescente

 

LANCE-DRAME 

Gaspar Noé a multiplié les tours de force techniques et les défis technologiques, offrant au cinéma français quelques-uns de ses plus beaux tours de force, et s’il obtient avec Lux Æterna un impact équivalent, il y parvient en usant pour l’essentiel d’un dispositif inédit dans son univers : le split screen. Utilisé comme vecteur du fourmillement puis de l’embrasement du plateau, le procédé est à la fois vecteur de vertiges plastiques quand des points de vue concomitants se superposent, de sens quand il rend palpable la furie du plateau, mais aussi de l’emprise physique du métrage sur son spectateur. 

Car c’est aussi un des désirs de Noé : engendrer un matériau qui interagisse physiquement avec le public. Et pour ce faire, le réalisateur nous prend une nouvelle fois par surprise, en feignant le geste de petit malin, pour mieux créer un objet inclassable, qui en appelle presque exclusivement aux sens.

 

photoLe chaos, c'est maintenant

 

Jubilatoire, éreintant, le film quitte soudain son vorace flingage du milieu pour se transformer en stroboscope de chairs et de photons mêlés. Les émotions engendrées par l'expérience sont d'autant plus étonnantes qu'elles ne naissent ni dans l'esprit, ni dans le coeur de l'observateur, mais bien à la surface même de sa cornée, irradiée par une succession d'images qui n'ont pas d'autres désirs que d'engendrer des décharges de stimulus inédits.

Un mauvais trip maléfique, qui jouit des limites cognitives dans lesquelles il pousse Charlotte Gainsbourg ainsi que le spectateur/voyeur qui l’accompagne. Gaspar Noé y parvient avec ivresse, mais sans gueule de bois, grâce au format de l’œuvre, plongée abismale de 50 minutes à peine. C’est aussi la limite de Lux Æterna, sauvé par son incroyable densité, limité par le statut de curiosité indéchiffrable qu’elle lui confère. Chacun jugera s’il découvre là une installation vidéo baignée d’acide ou un film à proprement parler, mais personne n’en sortira indemne.    

 

photo, Affiche officielle

Résumé

Trip méta, hallucination, expérimentation en roue libre... Lux Æterna est un peu de tout cela. Mais derrière le vernis du gadget arty, l'expérience demeure un des gestes les plus obsédants, ramassés, et ravageurs de son auteur.

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Lecteurs

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commentaires
Simon Riaux
28/09/2020 à 10:18

@AffreuxSaleEtMechant

Voilà un chantier qui nous intéresse, mais pas pour tout de suite.
Aujourd'hui, les interviews se scindent en deux prototypes. Les junkets ou interviews à la chaîne, qui sont très accessibles mais ne permettent pas d'obtenir de matos intéressant (passer 5 minutes avec un artiste, c'est même pas le temps d'un café). Et les interviews au sens classique, où on a entre 30 minutes et une heure.

C'est un exercice très intéressant mais qui présente deux écueils : tout le monde s'en cogne, c'est très peu lu et regardé, et ça demande beaucoup de temps de travail (prépa, débrief, rédaction ou montage). Donc pour le moment, ce n'est pas une priorité de notre côté.

AffreuxSaleEtMechant
25/09/2020 à 00:42

@redaction
Vous ne faites pas d’interviews ? Pourtant ça serait sympa d’en avoir une de Noé. Le Gaspar, il est sympa et surtout pas langue de bois.

Bubble Ghost
24/09/2020 à 06:44

Mon pauvre TheKiller... Ah bein ouai, Simon, dans la connerie sarcastique, faut pas le chercher. Sinon, il a vite de te montrer qui c'est le patron ^^

Simon Riaux
23/09/2020 à 21:12

@thekiller

Comme un auteur mais avec un vagin.

Thekiller
23/09/2020 à 20:55

Qu'est ce qu'une "autrice" ?

Alexandre Bahloul
22/09/2020 à 22:24

J'ai tellement aimé ce film, l'un des premiers films de 2020 devant lequel je n'ai pratiquement rien à redire. Ce film est l'exemple parfait de pourquoi 1917 n'est pas un aussi grand " chef d'oeuvre absolu " comme tant de gens l'hurlent juste pour son plan séquence. C'est bien beau de faire un plan séquence ( surtout quand on a 90 millions de dollars en poche... ) mais si ce n'est pour rien raconter et ne jamais le transcender, ça ne sert à rien. Lux Aeterna montre exactement ce que c'est un vrai objet filmique, une vraie claque formelle comme on en voit peu. C'est tout bonnement ahurissant le travail constant que fait Noé sur la forme depuis ses débuts, comment il pousse toujours le plus loin possible ce qui est possible avec le cinéma. Le travail de collage, de montage, d'agencement, de timing dans ces 50 minutes, avant ce "feu d'artifice" final , c'est tout bonnement magique, c'est ça qu'on veut quand on va au cinéma.
Même sur le fond le film est brillant. Ce n'est pas pour rien qu'au début du film, Beatrice Dalle dit " j'ai souffert sur le tournage mais le résultat final est cool donc c'est pas grave " en parlant d'une précédente expérience, car c'est justement ce qui va se passer, sans qu'elle le sache, dans les instants qui vont suivre. C'est cette furie, cette instabilité sur ce tournage qui vire au cauchemar qui va faire éclater le jeu d'acteur, intensifier la mise en scène et l’énergie de la création. C'est par le pur hasard d'un bug que l'éblouissement final va éclore. C'est le chaos, l'inattendu, l'imprévu qui va finalement rendre ce simple film tourné sous nos yeux en un objet unique... La transcendance par le cinéma, le cinéma par la transcendance. Raaaaah, merci Gaspar !

ghfgfhdfh
22/09/2020 à 21:56

pluriel de stimulus = stimuli ;-)

Sentenza
22/09/2020 à 19:16

Pour moi son meilleur film avec le boucher et meilleur film tout court reste Seul contre tous...une vraie claque !

Hard Gamer
22/09/2020 à 18:01

beaucoup de Q dans la metaphysique de Noé...
moi je prefere conserver ses meilleurs, les 2 films avec le boucher incestueux Philippe Nahon, Irreversible et Enter the Void, j'ai pas eu l'occas de voir ses films d'aprés, soit qu'ils passent jamais sur la Tv soit que j'en ai jamais vu en vente bluray dans les boutiques remplies de blurays 2K, 4K ou dvd..;

Davidbros
22/09/2020 à 16:45

Quand je vois ce que ça raconte, je pense à Maps to the Stars du grand David

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