Mignonnes : critique le boule au ventre

Simon Riaux | 23 février 2023 - MAJ : 24/02/2023 10:15
Simon Riaux | 23 février 2023 - MAJ : 24/02/2023 10:15

Remarqué à Sundance et au Festival de Berlin, Mignonnes de Maïmouna Doucouré suit le quotidien d'une môme ballottée entre sa famille et ses amies.

KIDS ARE NOT ALRIGHT

En 2015, Maïmouna Doucouré avait remporté ex aequo le César du Meilleur Court-Métrage pour Maman(s) qui auscultait le mal-être d’Aida alors que la polygamie faisait irruption dans sa famille. De prime abord, on a le sentiment que c’est précisément ce sujet que veut creuser la réalisatrice avec Mignonnes, tant les premières séquences de son film donnent le sentiment d’une relecture, plus ample et maîtrisée, de son précédent effort (notamment lors d’une séquence dont elle duplique l’idée centrale, plaçant son personnage en position de témoin muet, dissimulé sous le lit parental). 

 

photo, Fathia Youssouf Abdillahi, Medina El AidiDeux pré-adolescentes stupéfiantes

 

Mais très rapidement, la cinéaste opère un décalage et élargit ses thématiques, extrayant à la faveur d’un plan hallucinant sa jeune héroïne de son milieu familial. Alors qu’elle revient d’une réunion de prière où se réunissent les femmes musulmanes du quartier dans lequel sa mère a fraîchement emménagé, Amy entraperçoit une de ses voisines, scolarisée dans le même établissement qu’elle, dansant et lissant ses cheveux. À la faveur d’un long plan qui glisse imperceptiblement du naturalisme vers un écho du cinéma d’horreur nippon, la caméra offre à la jeune fille une échappatoire. 

Dès lors, le récit se fera chronique d’un dilemme particulièrement cruel, alors qu’Amy intègre progressivement les “mignonnes”, troupe de copines impertinentes, portées sur la danse. Devenir paillasson, aux côtés d’une mère tenue de valider la polygamie et le patriarcat, ou devenir viande, auprès de copines envisageant l’hypersexualisation via la danse comme une forme d’émancipation. Une fois cette tension rapidement établie, Maïmouna Doucouré fait face à un défi artistique et technique particulièrement casse-gueule, qu’elle relève pour l’essentiel haut la main. 

 

photo, Fathia Youssouf AbdillahiUne jeune actrice renversante

 

ENTRE LE MARTEAU ET L'ENCLUME

Alors qu’elle a fait – l'excellent – choix de s’entourer de non-professionnels pour donner vie à ces mômes qui twerkent avec plus de ferveur qu’un trader découvrant la cocaïne (beaucoup de ferveur, donc), elle réussit à conférer à son casting enfantin un naturel et une énergie confondants. Les scènes en extérieur, dans la cour de récréation de leur collège, impressionnent par le naturel qui les traverse, comme la capacité du film à appréhender une situation aussi complexe qu’éprouvante pour le spectateur, sans jugement stérile, ou complaisance malvenue. 

Si elle adopte un découpage presque systématiquement à hauteur d’enfants, Maïmouna Doucouré ne recule pas pour autant devant la violence que charrie son intrigue. Violence symbolique des rapports genrés au sein d’une cellule familiale qui veut la mater, pas moins insidieuse que celle qu’elle intègre quand elle veut se dépasser à travers la danse. La caméra capture ses élans, ses égarements et ses moments d’oubli avec une distance intelligente, mais parfois éprouvante, qui confère au film beaucoup de sa tranchante acuité. 

 

photoMedina El Aidi et Fathia Youssouf Abdillahi

 

Mais le film a parfois un peu de mal à maintenir la tension recherchée par la réalisatrice. Les scènes avec les adultes manquent de relief, ainsi qu'en témoigne cruellement l'épilogue du film, qui a du mal à trouver un véritable centre de gravité, à fortiori quand il faut ménager le regard d'une enfant avec celui d'adultes, qui sabordent partiellement le principe même de la mise en scène du film.

Parallèlement, les rares plans très percutants qui versent dans un registre plus symboliste (comme cette robe qui saigne) paraissent trop rares, tant ils parviennent à rehausser une poignée de scènes un peu fades. Conséquences d’un dispositif de cinéma courageux plus que véritable problème, ces menues scories n’entachent en rien l’impact durable de Mignonnes sur son spectateur.

 

affiche française

Résumé

Ni complaisant ni moralisateur, Mignonnes est une chronique intelligente et souvent dure.

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Lecteurs

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commentaires
Flo
28/02/2023 à 12:34

Perdition et tiraillements, entre soumission religieuse et culturelle, et autodestruction violente...
Le classique « film de bande », l’émancipation se faisant par l’intégration d’un groupe intimidant, pour se sentir soi-même plus fort et échapper aux humiliations…
Mais ici, avec des petites filles de 11 ans ! Dénonçant l’hyper sexualisation précoce (en « dansant » sur le fil de la fascination), l’abus toxique de réputations virtuelles, voir même l’abandon parental.
Jouant sur un effet « criminel » allant crescendo pour l’héroïne principale, avec beaucoup de force émotive et d’énergie mouvante. Ainsi que de petits moments d’onirisme, qui sont des parenthèses permettant de revenir vers l’innocence perdue (enfantine).

Sam7777
04/05/2021 à 16:46

C'est vrai... Je ne me rends sans doute pas compte de la visibilité de scarface à l'époque. Je prenais juste en compte la déformation du message surtout l'état d'esprit de certaine jeune personne et leur manière de l'interpréter. Mais j'ai sans doute tort et on s'éloigne du cinéma. Laissons donc nos mamans tranquille et disons qu'on interprète différemment.

Simon Riaux
04/05/2021 à 16:07

@Sam7777

Comparer la visibilité de Scarface et celle de Mignonnes, c'est assez absurde. Sans compter que leur discours est également radicalement différent, notamment en matière d'ambiguité.

Sam7777
04/05/2021 à 16:03

Combien de gosse on vu la cité rose ou même Scarface en sont temps et en on tiré de mauvaises conclusions par exemple...

Sam7777
04/05/2021 à 15:59

Ha oui on est bien d'accord, mon argumentaire marche autant pour ce film que pour le dernier Marvel.
Et si, pas mal de gosses verront le film je pense. Sans se préoccupé de son statut en terme de cinéma mais en se basant sur l'affiche, simplement, au détour d'une plateforme de vod, de streaming ou de téléchargement. C'est ainsi que nous même, bien plus jeune avons découvert certains films ( bon plus en vidéo club pour nous hein...)
Bonne chose pour l'apprentissage du cinéma, peut être moins pour celui de la vie, mais gardez en mémoire que je suis un homme, "à l'ancienne" ceux qu'on aime plus trop de nos jours (et sûrement pas le plus malin en plus) . Donc mon avis, même nuancé, reste anecdotique.

Simon Riaux
04/05/2021 à 15:27

@Sam7777

Question qui se pose avec... tous les films, depuis les débuts du cinéma.

Du reste, la quantité d'enfants entrant en contact avec du cinéma d'auteur de festival est... faible, à tout le moins.

Sam7777
04/05/2021 à 15:24

Le propos du film est une chose, sa mise en scène est délicate et le film n'est évidement pas mauvais ... Ce qui me gêne, comme chaque fois, hors les biens pensants qui estiment que ceux qui ne sont pas d'accord ont juste le droit de la fermer (en disant chut, ça évite d'argumenter) c'est le fait de montrer pour dénoncer. D'autres échapatoires scenaristiques auraient été possible pour analyser le comportement d'enfants concernés par la polygamie et les traditions (et là encore, on part du principe qu'automatiquement c'est mal... Par contre, faire twerker des gosses, ça va... ) surtout dans l'univers des quartiers. Comment les gamines qui vont immanquablement le voir interpréteront le film... Seront elles aussi mature que vous?
Je pense que le problème n'est pas ce qui a été fait mais ce qui aurai pu être fait d' autre, scenaristiquement.

Tra
03/05/2021 à 09:09

Ce film montre bien la dérive de la société et la sexualisation des pré-ado de plus en plus jeune à mesure que le capitalisme ce délite ... Tout ça est flippant pour qui veut des enfants . Dans 20 ans les mômes de 12 ans ce balladeront en string dans la rue si on fait rien . Le film est pas mauvais et ne mérité pas tout ce batage médiatique .

Garamante
03/05/2021 à 00:49

Superbe film ayant hélas subi une campagne odieuse de dénigrement par une horde de fanatiques n'ayant jamais vu le film. Intelligent, dur, drôle, subtil.

Citedesfemmes
03/12/2020 à 21:08

A travers ce film, on perçoit le moment où toutes les jeunes filles sont en quête de leurs identité de femmes. C’est à l’adolescence qu’on sort de son cocon. On cherche à s’intégrer à un groupe, et on a de plus en plus conscience de son image sociale. Mais toujours pas le recul nécessaire pour se poser des limites….

Amy, comme beaucoup d’entre nous à son âge se retrouve coincée entre deux systèmes de valeurs qui se combattent. Mignonnes est un film à voir. Certaines images sont choquantes, certes. C’est ce qui a valu ce déferlement sur les réseaux sociaux. Pourtant, il m’apparaît paradoxal que cette tendance à l’hyper sexualisation reste tabou à l’heure où des jeunes filles fondent leurs popularités sur TikTok en postant des danses suggestives.

Ce film est d'apparence superficielle mais il est très profond. C'est pour cette raison que j'ai consacré un article sur mon blog à l'effigie de "Mignonnes". J'y développe un point de vue très féminin : https://lacitedesfemmes.fr/la-polemique-autour-du-film-mignonnes/ .

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