TONNERRE SOUS LES AUSPICES
Thunder Road rappelle Moi, toi et tous les autres. Pas pour ce qu’il dit, mais pour ce qu’il est : la révélation fracassante d’un visage, d’un corps, d’un univers inattendus, aussi étranges que séduisants. Comme Miranda July, Jim Cummings est acteur, réalisateur et scénariste, et a lui-même assemblé le décor de sa naissance parfaite au cinéma. Il s’y est donné un faux beau rôle et un vrai cadeau. Et comme elle, il s’inscrit faussement dans des sentiers balisés pour mieux surprendre, et donner une ampleur folle à son numéro, devant et derrière la caméra.
En l’occurrence, Thunder Road a tout du petit drame indé typé Sundance : dans une petite ville du sud des Etats-Unis, un policier un peu dépressif, séparé de sa femme, en difficulté dans son rôle de père, commence à dérailler suite à la mort de sa mère. Le programme aurait pu être parfaitement balisé, mais c’était sans compter sur la douce folie de Jim Cummings, qui interprète un clown triste passablement déstabilisant, aussi flippant que minable.
SALE MARIAGE ET UN ENTERREMENT
Avant Thunder Road le long-métrage, il y a eu Thunder Road le court-métrage, présenté et récompensé à Sundance en 2016. Les coulisses expliquent en partie la douce folie à l’écran, Jim Cummings ayant vendu les alliances de son mariage échoué sur les plages des séparations pour financer son essai, inspiré par l’anecdote d’un ami entendue dans un jacuzzi. Il n’y avait alors qu’un plan-séquence, où un policier craque lors de l’enterrement de sa mère, et se lance dans une mauvaise chorégraphie sur Thunder Road de Bruce Springsteen.
Par un cheminement qui donne parfois de petites merveilles, comme le récent The Strange Ones, le court est devenu long-métrage. L’histoire s’ouvre sur le même sketch doux-amer dans l’église, qui dévoile avec une sincérité désarmante ce protagoniste curieux, éternel égaré qui semble avoir été rejeté du cinéma de Quentin Dupieux ou Michel Gondry. Au-delà du gag, a priori évident, qui repose sur le décalage, la scène illustre tout le propos de Thunder Road : brouiller la ligne entre le rire et les larmes, la moquerie et la gêne, la tendresse et la pitié.
Et si se donner le premier rôle a tout d’un pari narcissique sur le papier, il relève plutôt de la pulsion autodestructrice à l’écran tant le rôle est un incroyable numéro d’équilibriste kamikaze. N’hésitant pas à étirer le malaise et l’étrangeté, à fixer sa propre caméra comme un flingue sur la tempe de ce beau loser, et donc sur son propre travail de comédien, Cummings crée un espace inattendu, déstabilisant et fragile, où le spectateur est amené à voir et vivre des choses bien étonnantes.
Une fillette aussi flippante que son père
GUEULE D’ANGEREUSE
Et c’est bien lui qui illumine tout le film, du début jusqu’à ce magnifique plan final rivé sur son visage. De sa moustache un peu ridicule à ses yeux électrisants, de son corps d’Apollon en sommeil à ses gestes de grand môme maladroit, Jim Cummings est le cœur du film. Et il bat à la chamade, frôlant autant l’hystérie que la dépression abyssale. Impossible de ne pas être totalement captivé par son interprétation folle, qui ne cesse de souffler le chaud et le froid.
C’est grâce à son charme fou, et sa manière attendrissante et étonnante d’écrire cet homme esseulé et gauche, que Thunder Road surpasse ses défauts. A commencer par une intrigue un peu classique et limitée, à laquelle il manque ce grain de folie ou cette originalité qui anime le héros. Mais l’important n’est pas là, et le film ne le cache jamais. Montage et cadrages épousent sobrement et simplement le numéro, quand certaines parenthèses (le beau jeu de mains avec sa fille, l’étonnante opération dans un restaurant rythmé par une superbe musique) viennent dynamiser le récit.
Dans ce décor américain typique, c’est l’acteur (plus que le réalisateur) qui explose. Pas de demi-mesure, de niaiserie calibrée, de performance dans les clous et de démonstration maîtrisée. Ici, il y a l’impression de voir des vagues (d’émotion, de folie, d’énergie) venir s’écraser sur les fauteuils de la salle de cinéma, à intervalles réguliers. On ressort de Thunder Road un peu lessivé, un peu perdu, mais avec une évidence en tête : Jim Cummings est un acteur de génie.
Quand on clique sur le lien de Jim Cummings, on se retrouve sur le mauvais Jim Cummings, lequel est accusé de viol.
Ce serait bien de rectifier l’erreur.
« rejeton de Dupieux et gondry »
Marrant : l’affiche m’a rapidement rappelé le perso d’Eric Judor dans Wrong Cops, dans son rôle de flic compositeur de techno-trance-progressive allemande (de mauvaise facture, faut bien le dire) et qui fait le difficile lorsqu’il s’agit de revendre sa Roland TR-808. Trop drôle.
Ici, avec cette affiche, je me suis de suite demandé : mais qu’est-ce que c’est ce flic qui fait son David Getta (ou son Travolta, c’est selon).